« Le disciple, celui que Jésus aimait, dit donc à Pierre : c’est le Seigneur ! Simon Pierre, entendant “c’est le Seigneur”, se ceignit d’un vêtement – car il était nu -, et se jeta dans la mer » (Jn 21, 7). Quel sens donner à ce geste de saint Pierre, s’habillant… pour plonger dans l’eau ?
L’Évangile selon saint Jean s’achève par un chapitre extraordinaire, qui nous montre Jésus ressuscité apparaissant à ses disciples retournés vivre en Galilée. Au bord du lac de Tibériade, Jésus est reconnu par le disciple bien-aimé, depuis la barque où il pêche avec Pierre et cinq autres disciples. Pierre se jette immédiatement à l’eau, mais après avoir bizarrement remis son vêtement : on admire l’émouvant enthousiasme… mais pourquoi donc se rhabiller, ce qui n’est vraiment pas commode pour nager ?
Une nudité relative
En réalité la traduction du verset est difficile. Le mot grec traduit par « nu » peut aussi signifier que Pierre est légèrement vêtu. Mais le mot traduit par « vêtement », que l’on ne trouve qu’ici dans le Nouveau Testament, doit désigner un vêtement extérieur, et non pas un sous-vêtement. Ce n’est pas une tenue idéale pour nager, et de plus il faut rendre la notion de « ceindre ». On peut imaginer que Pierre a ceint son sarrau, pour être moins gêné. En tout cas, la pudeur juive était telle qu’on ne peut concevoir la possibilité d’une nudité totale.
Si Pierre n’est donc pas complètement nu, on doit noter toutefois que l’auteur insiste sur sa nudité, cette incise venant en surcharge dans la phrase : « – car il était nu – ». Pourquoi cette remarque ? Le plongeon impétueux de Pierre montre qu’il ne craint pas de se retrouver face à celui qu’il a trahi, mais le geste de s’habiller manifeste tout de même son sentiment de honte, la nudité et la honte allant souvent de pair dans la Bible. Le souvenir de la trahison de Pierre est d’ailleurs présent à travers un détail : le mot grec utilisé pour décrire le feu de braises préparé par Jésus sur le rivage est un mot rare, que l’auteur n’a utilisé qu’au moment du reniement. En conformité avec l’ambivalence de son caractère, Pierre éprouve des sentiments mélangés : enthousiasme confiant et culpabilité honteuse. Cette ambiguïté est représentée par les deux éléments de son geste : se jeter à l’eau d’une part, mais en se rhabillant d’autre part.
La situation fait penser à la gêne d’Adam et Ève après le péché originel. Ils ont maladroitement caché leur nudité au moyen de feuilles de figuier. Pierre réagit d’une manière semblable. Sa « nudité » était symbolique : elle était la sanction du triple reniement, et une honte supplémentaire.
Un jeu de mots
Même si l’Évangile a été composé en grec, on peut remarquer que la langue hébraïque permet sur ce thème un jeu de mots intéressant : le mot beged a un double sens. Il peut signifier soit vêtement (c’est le sens la plus fréquent), soit trahison (comme en Is 24, 16 ou Jr 12, 1). De même on peut souligner que me’il, qui désigne le manteau de dessus, a la même racine que ma’al, qui peut signifier infidélité et fausseté. On retrouve d’ailleurs dans la langue française cet emploi de la métaphore du vêtement pour désigner une action malhonnête : agir sous le manteau, voiler ses intentions… Ainsi, en prenant son vêtement, Pierre assume sa trahison. Il a trahi et s’est montré infidèle : la nudité autant que le vêtement le lui rappellent, comme à Adam et Ève.
Ce rapprochement avec Adam est très suggestif. Même si on ne peut être sûr que l’auteur ait cherché à faire ce lien, on peut croire que Pierre, après son triple reniement, se sait nu : en tenue… d’Adam, c’est-à-dire pécheur. Les yeux de son cœur se sont ouverts, il se voit dénudé, il se voit dénué. Il a perdu l’habit de gloire dont l’avait vêtu l’appel apostolique de Jésus. Alors il met son vêtement de trahison, habit de mort et de misère, image des feuilles de figuier et de l’habit de peau de bêtes successivement portés par Adam. Par trois fois il va dire son amour. Et alors il pourra recevoir la grâce, vêtement de gloire et de justice, habit de fête et d’innocence, robe d’immortalité. En ce sens la plongée de Pierre, précédant le repas préparé par Jésus, est une belle image du baptême, lui-même prélude à l’eucharistie. La plongée évoque aussi son futur martyre, que Jésus va lui annoncer. Pierre a ceint un vêtement pour aller vers Jésus, mais son maître le prévient qu’un jour il perdra cette liberté : « quand tu seras devenu vieux, tu étendras les mains, et ce sera quelqu’un d’autre qui attachera ta ceinture pour te conduire où tu ne veux pas ».
Tout est transformé
Une autre explication est encore envisageable, si on rapproche le travail de Pierre de celui d’Adam après la faute. Pierre est revenu à son point de départ, il a retrouvé ses filets au bord du lac de Tibériade. Dans sa barque, il travaille à la sueur de son front. Il s’est mis en tenue légère à cause de la chaleur, mais alors le dénuement et la sueur rappellent la conséquence de la faute pour Adam : « c’est à la sueur de ton visage que tu mangeras ton pain». Après l’ascension de Jésus, les disciples sont retournés à leur ancien labeur, ils travaillent à la sueur de leur front, comme si rien n’avait changé depuis le péché d’Adam.
Mais le Christ est ressuscité ! Le travail lui-même va en être modifié. « Il leur dit : “Jetez le filet à droite du bateau et vous trouverez”. Ils le jetèrent donc et ils n’avaient plus la force de le tirer, tant il était plein de poissons». Ainsi la pêche devient-elle miraculeuse : le travail se fait sans effort, sans sueur, il n’est plus nécessaire de se dénuder. Et devant Jésus ressuscité, Pierre ne cherche pas à se cacher comme Adam : bien au contraire, il se jette à l’eau sans attendre. C’est donc que son amour est plus fort que sa honte. S’il ceint son sarrau, ce n’est pas pour se présenter décemment devant Jésus, mais c’est pour nager plus vite et hâter la rencontre. Et le sentiment sollicité à trois reprises par Jésus ne sera pas la honte, mais l’amour (« M’aimes-tu ? » Jn 21, 17). Finalement le rapprochement entre Adam et Pierre est peut-être plus subtil qu’il n’y paraît. Ici, devant Jésus, c’est Pierre qui est le nouvel Adam, mais tout est transformé. La résurrection du Christ change les notions de honte et de pardon, ce qui implique aussi un changement dans la symbolique du vêtement. Jésus fait « toutes choses nouvelles», y compris le banal quotidien !
Nager tout habillé ?
« Le disciple, celui que Jésus aimait, dit donc à Pierre : c’est le Seigneur ! Simon Pierre, entendant “c’est le Seigneur”, se ceignit d’un vêtement – car il était nu -, et se jeta dans la mer » (Jn 21, 7). Quel sens donner à ce geste de saint Pierre, s’habillant… pour plonger dans l’eau ?
L’Évangile selon saint Jean s’achève par un chapitre extraordinaire, qui nous montre Jésus ressuscité apparaissant à ses disciples retournés vivre en Galilée. Au bord du lac de Tibériade, Jésus est reconnu par le disciple bien-aimé, depuis la barque où il pêche avec Pierre et cinq autres disciples. Pierre se jette immédiatement à l’eau, mais après avoir bizarrement remis son vêtement : on admire l’émouvant enthousiasme… mais pourquoi donc se rhabiller, ce qui n’est vraiment pas commode pour nager ?
Une nudité relative
En réalité la traduction du verset est difficile. Le mot grec traduit par « nu » peut aussi signifier que Pierre est légèrement vêtu. Mais le mot traduit par « vêtement », que l’on ne trouve qu’ici dans le Nouveau Testament, doit désigner un vêtement extérieur, et non pas un sous-vêtement. Ce n’est pas une tenue idéale pour nager, et de plus il faut rendre la notion de « ceindre ». On peut imaginer que Pierre a ceint son sarrau, pour être moins gêné. En tout cas, la pudeur juive était telle qu’on ne peut concevoir la possibilité d’une nudité totale.
Si Pierre n’est donc pas complètement nu, on doit noter toutefois que l’auteur insiste sur sa nudité, cette incise venant en surcharge dans la phrase : « – car il était nu – ». Pourquoi cette remarque ? Le plongeon impétueux de Pierre montre qu’il ne craint pas de se retrouver face à celui qu’il a trahi, mais le geste de s’habiller manifeste tout de même son sentiment de honte, la nudité et la honte allant souvent de pair dans la Bible. Le souvenir de la trahison de Pierre est d’ailleurs présent à travers un détail : le mot grec utilisé pour décrire le feu de braises préparé par Jésus sur le rivage est un mot rare, que l’auteur n’a utilisé qu’au moment du reniement[1]cf. Jn 18, 18.. En conformité avec l’ambivalence de son caractère, Pierre éprouve des sentiments mélangés : enthousiasme confiant et culpabilité honteuse. Cette ambiguïté est représentée par les deux éléments de son geste : se jeter à l’eau d’une part, mais en se rhabillant d’autre part.
La situation fait penser à la gêne d’Adam et Ève après le péché originel[2]cf. Gn 3, 8-10.. Ils ont maladroitement caché leur nudité au moyen de feuilles de figuier. Pierre réagit d’une manière semblable. Sa « nudité » était symbolique : elle était la sanction du triple reniement, et une honte supplémentaire.
Un jeu de mots
Même si l’Évangile a été composé en grec, on peut remarquer que la langue hébraïque permet sur ce thème un jeu de mots intéressant : le mot beged a un double sens. Il peut signifier soit vêtement (c’est le sens la plus fréquent), soit trahison (comme en Is 24, 16 ou Jr 12, 1). De même on peut souligner que me’il, qui désigne le manteau de dessus, a la même racine que ma’al, qui peut signifier infidélité et fausseté. On retrouve d’ailleurs dans la langue française cet emploi de la métaphore du vêtement pour désigner une action malhonnête : agir sous le manteau, voiler ses intentions… Ainsi, en prenant son vêtement, Pierre assume sa trahison. Il a trahi et s’est montré infidèle : la nudité autant que le vêtement le lui rappellent, comme à Adam et Ève.
Ce rapprochement avec Adam est très suggestif. Même si on ne peut être sûr que l’auteur ait cherché à faire ce lien, on peut croire que Pierre, après son triple reniement, se sait nu : en tenue… d’Adam, c’est-à-dire pécheur. Les yeux de son cœur se sont ouverts, il se voit dénudé, il se voit dénué. Il a perdu l’habit de gloire dont l’avait vêtu l’appel apostolique de Jésus. Alors il met son vêtement de trahison, habit de mort et de misère, image des feuilles de figuier et de l’habit de peau de bêtes successivement portés par Adam[3]cf. Gn 3, 7 et 21.. Par trois fois il va dire son amour[4]cf. Jn 21, 15- 18.. Et alors il pourra recevoir la grâce, vêtement de gloire et de justice, habit de fête et d’innocence, robe d’immortalité. En ce sens la plongée de Pierre, précédant le repas préparé par Jésus, est une belle image du baptême, lui-même prélude à l’eucharistie. La plongée évoque aussi son futur martyre, que Jésus va lui annoncer. Pierre a ceint un vêtement pour aller vers Jésus, mais son maître le prévient qu’un jour il perdra cette liberté : « quand tu seras devenu vieux, tu étendras les mains, et ce sera quelqu’un d’autre qui attachera ta ceinture pour te conduire où tu ne veux pas[5]Jn 21, 18. ».
Tout est transformé
Une autre explication est encore envisageable, si on rapproche le travail de Pierre de celui d’Adam après la faute. Pierre est revenu à son point de départ, il a retrouvé ses filets au bord du lac de Tibériade. Dans sa barque, il travaille à la sueur de son front. Il s’est mis en tenue légère à cause de la chaleur, mais alors le dénuement et la sueur rappellent la conséquence de la faute pour Adam : « c’est à la sueur de ton visage que tu mangeras ton pain[6]Gn 3, 19». Après l’ascension de Jésus, les disciples sont retournés à leur ancien labeur, ils travaillent à la sueur de leur front, comme si rien n’avait changé depuis le péché d’Adam.
Mais le Christ est ressuscité ! Le travail lui-même va en être modifié. « Il leur dit : “Jetez le filet à droite du bateau et vous trouverez”. Ils le jetèrent donc et ils n’avaient plus la force de le tirer, tant il était plein de poissons[7]Jn 21, 6». Ainsi la pêche devient-elle miraculeuse : le travail se fait sans effort, sans sueur, il n’est plus nécessaire de se dénuder. Et devant Jésus ressuscité, Pierre ne cherche pas à se cacher comme Adam : bien au contraire, il se jette à l’eau sans attendre. C’est donc que son amour est plus fort que sa honte. S’il ceint son sarrau, ce n’est pas pour se présenter décemment devant Jésus, mais c’est pour nager plus vite et hâter la rencontre. Et le sentiment sollicité à trois reprises par Jésus ne sera pas la honte, mais l’amour (« M’aimes-tu ? » Jn 21, 17). Finalement le rapprochement entre Adam et Pierre est peut-être plus subtil qu’il n’y paraît. Ici, devant Jésus, c’est Pierre qui est le nouvel Adam, mais tout est transformé. La résurrection du Christ change les notions de honte et de pardon, ce qui implique aussi un changement dans la symbolique du vêtement. Jésus fait « toutes choses nouvelles[8]Ap 21, 5.», y compris le banal quotidien !
Références[+]