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Mère de famille et martyre : la bienheureuse Perrine Turpault

Chapelle des martyrs d'Avrillé
Que faut-il pour être sûr qu’une personne soit sainte, qu’elle soit au Ciel ? Il faut qu’elle soit en état de grâce, dans l’amitié avec le Bon Dieu, au moment de sa mort. Prenez le bon larron, converti in extremis : si sa vie ne fut sans doute pas exemplaire, au point que la condamnation au supplice des criminels lui parut juste, mais ses derniers instants furent marqués par un regret de ses péchés, une reconnaissance publique en forme de confession au Christ, et une absolution particulière qui en fait le premier saint canonisé : « ce soir, tu seras avec moi au Paradis » ! La clef pour entrer au Ciel, c’est la charité, l’amour du Bon Dieu, qui nous fait regretter nos fautes et agir bien à chaque instant.

La clef pour entrer au Ciel ?

Depuis le Bon Larron, il y a eu beaucoup de candidats pour le Ciel. Mais le Christ n’est pas demeuré parmi nous pour actualiser la liste des saints : d’où les efforts de l’Église, tout au long des siècles, pour repérer de manière fiable et certaine les personnes qui ont dit oui au Bon Dieu. Il existe un processus complexe de canonisation, qui a varié dans le temps et passe par plusieurs étapes codifiées. Le but n’est pas de dire : « seuls les saints canonisés sont au Ciel, et personne d’autre », mais à l’inverse de ne présenter que des modèles dont la présence au Ciel est certaine : au Ciel, il y a au moins ces personnes canonisées, très probablement celles béatifiées, sans doute celles déclarées vénérables, nous l’espérons aussi tous les serviteurs de Dieu, et enfin un bon nombre de personnes dont on n’a pas idée et que nous rencontrerons quand nous irons à notre tour !

Il y a cependant un moyen d’accélérer les procédures, une manière d’obtenir plus vite la certitude de la sainteté. Ce moyen, c’est le martyre : une confession publique de la foi qui entraîne la mort : être tué en haine de la religion, et pourtant accepter librement cette mort injuste en pardonnant à ses bourreaux. Alors que le film Vaincre ou mourir est dans nos salles de cinéma, nous allons aujourd’hui plonger dans la tourmente révolutionnaire avec l’histoire d’une martyre mère de famille : la bienheureuse Perrine Turpault.

Qui est Perrine Turpault ?

Perrine est né le 26 avril 1750 en Anjou, à Cléré-sur-Layon. Elle est la première fille de Pierre Potier et de son épouse, Renée Lemoine, jeune ménage marié un an plus tôt. Après elle, huit frères et sœurs viendront compléter la famille Potier, jusqu’au décès de leur mère en 1769. Drame terrible pour la famille, mais il n’y a guère de temps pour s’apitoyer : privés de leur mère, les enfants les plus jeunes ont besoin d’éducation, d’affection, de repères : la dernière n’a que huit mois ! C’est Perrine, âgée de dix-neuf ans, qui se charge des affaires de la maison et de l’éducation de ses frères et sœurs. Au vu des difficultés, la famille décide de déménager : ils quittent Cléré pour venir s’installer dans le village de Nueil-sous-Passavent.

Mariage et vie de famille

Les années passent, et toute la famille grandit. Et vient un jour où Perrine se marie : elle a rencontré un garçon, venant de la paroisse des Aubiers, marchand et fabricant de toile, René Turpault. Les noces sont célébrées le 14 février 1775, et le nouveau ménage s’installe sur la paroisse des Aubiers. De leur union naîtront douze enfants, dont certains moururent en bas-âge, chose courante à l’époque mais drame familial malgré tout. En 1785, la famille Turpault quitte les Aubiers pour rejoindre la ville : ils partent s’installer à Cholet, la célèbre cité des mouchoirs, où René pourra plus facilement gérer ses affaires et son commerce.

La révolution est en marche !

1789 : réunion des Etats Généraux. La France va mal, les cahiers de doléances le prouvent, des réformes sont nécessaires. Mais la réunion des représentants de la nation à Versailles est vite détournée de son objectif : ouverts le 5 mai par le roi, les états généraux sont bloqués dès le 6 par la révolte des représentants du Tiers État, qui précède l’établissement de l’Assemblée Nationale constituante. Si les choses bougent à Paris, la vie choletaise n’est pas encore directement touchée. Puis il y a l’engrenage de la révolution : la prise de la Bastille symbole de l’autorité royale le 14 juillet ; les journées du 5 et 6 octobre où la population parisienne envahit Versailles, massacre les gardes du corps de la famille royale et la ramène sous bonne garde à Paris ; la confiscation des biens de l’Église le 2 novembre, la constitution civile du clergé le 27 novembre, et la conscription pour la défense de la nation.

Entre les atteintes contre l’Église catholique, contre la monarchie, et la conscription qui vient arracher les hommes à leur fermes pour défendre une assemblée qui veut du passé faire table rase, la pression monte sur les terres vendéennes et angevines. La coupe est pleine, et une révolte populaire éclate : dans la Vendée militaire se soulèvent partout des masses paysannes qui luttent « pour Dieu et pour le Roy », qui se cherchent des chefs parmi les hobereaux locaux, tels La Rochejaquelain, Lescure, Charette, et parmi les paysans, comme Jacques Cathelineau.

Cholet, ville bleue, ville blanche ?

Les campagnes affichent leurs sentiments royalistes, qu’en est-il de la ville de Cholet, où réside la famille Turpault ? Les villes ont majoritairement pris le parti des Républicains, des « Bleus », comme on les appelle alors. La population y est cependant partagée : les Turpault, sans être franchement hostiles au nouveau régime, ont des préférences pour l’ordre monarchique, qui respecte la liberté de l’Église ; le beau-frère de Perrine, l’abbé François Turpault, n’est-il pas prêtre non-jureur, réfractaire, ayant refusé de prêter serment à la Constitution civile du clergé ?

La ville de Cholet est un point stratégique, aussi les Vendéens y mettent-ils le siège. Ils prennent la ville en mars 1793, et la tiennent jusqu’au 17 octobre de la même année. Pendant ce laps de temps, la ville est administrée par un comité catholique, dont fut membre René Turpault.

Retour des bleus et arrestation

En octobre 1793, c’est la déroute : Cholet est reprise par les forces républicaines. Il faut fuir, pour éviter les massacres. Mais Perrine ne peut pas aller assez vite : elle est enceinte, sur le point d’accoucher. Escortée de ses belles-sœurs, elle parvint à gagner Le May-sur-Evre, où elles sont rattrapées par les Bleus. Arrêtée, elle est reconduite sans ménagement à Cholet, d’abord gardée dans une maison jusqu’à la naissance de son enfant, qui mourut juste après avoir reçu le baptême ; puis entassée avec d’autres femmes dans l’église Notre-Dame transformée en prison. Elle n’y manquerait pas de compagnie : le comité révolutionnaire, chargé de l’épuration de la ville, arrêta en quatre mois plus de 700 personnes, qui devaient être jugées par la suite. 

Procès et interrogatoire : une femme « vraiment suspecte »

Le 25 Nivôse an II (14 janvier 1794) eut lieu le premier interrogatoire de Perrine. La note concernant Perrine précise qu’au vu de ses réponses, elle était « une femme vraiment suspecte ». Voilà le texte de l’interrogatoire, conservé aux Archives Départementales.

Juge (J) : « Quel est votre nom, âge, profession, domicile et lieu de votre naissance ?

Perrine (P) : – Je me nomme Perrine Potier, femme de René Turpault, fabriquant, je demeure à Cholet. Je suis né à Cléré en Anjou. Je suis âgée d’environ 42 ans.

J : Quel est le motif de votre arrestation ?

P : Je n’en sais rien.

J : Avez-vous tenu des propos contre la Révolution ?

P : Je n’en ai tenu aucun.

J : Avez-vous eu des entretiens ou quelques correspondances avec les Brigands ?

P : Je n’ai eu aucun entretien avec les Brigands, ni aucune correspondance avec eux, sinon avec ceux qui étaient logés chez moi comme il y en avait chez tous les autres habitants.

J : Votre mari n’a-t-il pas été membre du comité provisoire des Brigands ?

P : Oui, il a été membre du comité provisoire de Cholet

J : Combien a-t-il été de temps au service de ce comité ?

P : Il l’a été pendant environ cinq à six semaines, autant que je me rappelle, et ce n’est pas dès l’époque de la prise de Cholet par les Rebelles, mais depuis la prise du Bois Grolleau qu’il a été membre de ce comité, et encore parce qu’il y a été forcé et qu’on est venu le chercher chez nous pour l’y mettre.

J : L’avez-vous engagé à être dans ce comité ?

P : Non au contraire, j’ai beaucoup cherché à le détourner, et j’ai eu beaucoup de chagrin lorsque j’ai su qu’il y avait été mis.

J : Avez-vous logé des émigrés ou des prêtres réfractaires ?

P : Non, mais mon beau-frère, François Turpault, desservant d’une chapelle demeurant à Voultefon, vint se réfugier chez nous lorsque sa maison fut brûlée et n’y resta qu’environ deux jours et ce quelques jours avant la prise de Cholet par les Républicains.

J : Où ce beau-frère est-il allé après être sorti de chez vous ?

P : Je n’en sais rien, et je n’en ai même pas entendu parler depuis. 

J : Etait-il prêtre assermenté ?

P : Non.

J : Avez-vous excité les rebelles au meurtre de patriotes ?

P : Non; au contraire lorsque je voyais passer les prisonniers, je ne pouvais m’empêcher de pleurer, et j’en ai tenu plusieurs pendant près de trois mois, et j’en avais cinq lors de la prise de Cholet par les Républicains ».

Qu’avait-elle donc déclaré ? Tout simplement qu’elle avait eu des contacts avec des Vendéens. Plus précisément, elle n’avait eu de contact qu’avec les Vendéens qui étaient logés chez elle : or pendant la période blanche il y avait des Vendéens dans nombre de maisons de Cholet ! Elle avait aussi accueilli des prêtres non-jureurs ; oui, un seul : son beau-frère, dont elle ignorait où il était parti ensuite. Quant à son mari, s’il avait bel et bien participé au comité catholique de gouvernement de la ville, cela avait été pour lui l’occasion de faire preuve de miséricorde, de sauver trois Bleus de la condamnation à mort, d’en faire libérer une trentaine d’autres : on est loin du fanatisme que reprochent les révolutionnaires ! Toutefois faire preuve à l’endroit des révolutionnaires d’humanité et de miséricorde ne suffit pas à leurs yeux à effacer d’autres crimes : avoir contact avec les hôtes plus ou moins volontaires dans sa maison, et recevoir un membre de sa famille proche ; voilà des motifs suffisant à l’époque pour être déclaré « vraiment suspect » !

On le voit, l’affaire est grave, et ne peut en rester là pour cette criminelle qu’est Perrine : de Cholet, on mène un groupe de femmes à Angers le 27 Nivôse an II (16 janvier), elle est du convoi.  Là, trois interrogatoires supplémentaires auront lieu, les 5 et 21 Pluviôse (24 janvier et 9 février) puis le 13 Germinal an II (2 avril 1794).

Mort et entrée au Ciel

Ces interrogatoires n’augmentèrent pas considérablement les crimes dont était accusée Perrine : elle avait pactisé avec les Brigands, accueilli des prêtres réfractaires, son mari était de mèche avec les troupes contre-révolutionnaires. Autant de chefs d’accusation plus que suffisants pour condamner cette ennemie de la nation à la peine capitale. Elle fut condamnée à mort et fusillée le 17 avril 1794, lors de la dernière des fusillades d’Angers. Elle alla à la mort avec résignation et abnégation, demandant les prières de ceux qui l’entouraient, regrettant d’abandonner sur terre mari et enfants, dont certains en bas âge ; heureuse malgré tout de mourir pour la foi. Elle a été béatifiée par le pape Jean Paul II le 19 février 1984, avec 98 autres martyrs d’Angers.

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