Rechercher
Rechercher
Rechercher
Rechercher

« L’impasse de l’euthanasie »

Juriste engagé au sein de l’association Alliance Vita, Henri de Soos a longtemps été impliqué dans l’écoute des personnes en fin de vie. À l’approche d’un nouveau débat sur l’euthanasie, il a publié un excellent livre qui bat en brèche les cinq grands arguments en faveur de l’ « aide médicale à mourir. »

Trouver le livre chez son éditeur

1. Suivre l’exemple des pays étrangers ?

Une première fausse bonne idée : il ne s’agirait que de suivre le (bon) exemple de nos voisins, plus en avance que nous sur le sujet ; comme si le respect de la vie constituait un retard… Or un regard objectif montre que seul un petit nombre de pays occidentaux, de mentalité profondément individualiste, ont légalisé l’euthanasie et/ou le suicide assisté, au terme de processus qui n’étaient pas forcément démocratiques. Et tout cela pour un tableau… contrasté.

Un regard sur la situation dans ces pays, après parfois 20 années de pratique (Pays Bas et Belgique), montre que les arguments habituels (réduire et encadrer un phénomène qui serait endémique mais clandestin) ne jouent pas… du tout ! Le nombre d’euthanasie n’a cessé d’augmenter au Benelux depuis la légalisation, représentant jusqu’à 5% des décès environ, sans pour autant que l’on puisse constater de baisse des euthanasies clandestines (plus de 45% en Wallonie).

En revanche les conditions supposément restrictives de l’acte ont très vite sauté, devant la priorité absolue donnée à la pseudo-liberté de la personne, dans des cultures qui ont rapidement banalisées l’euthanasie. 15% au moins des actes concernent des personnes qui ne sont pas en phase terminale : anorexiques, victimes d’abus, prisonniers, autistes… Il est patent que la commission belge de contrôle ne joue pas son rôle, puisqu’un seul cas a été déféré à la justice en vingt ans, pour aboutir à une relaxe : constituée en partie de médecins pratiquant eux-mêmes l’euthanasie, elle ne peut vérifier les faits et ne les regarde qu’a posteriori, sans même sanctionner ceux qui omettent de déclarer leurs actes.

L’euthanasie s’est rapidement banalisée dans ces sociétés, au point qu’elle a été étendue en Belgique aux enfants sans condition d’âge, en Hollande aux nourrissons, et que l’on parle désormais de l’ouvrir officiellement aux personnes « fatiguées de vivre, » handicapées, atteintes de troubles psychiatriques ou de démences, aux prisonniers…

Ces pressions (plus ou moins) démocratiques ne sont qu’un reflet de celles subies par le corps médical : l’euthanasie vient remplacer les soins palliatifs (dont elle prétend relever comme recours ultime), changeant radicalement la vision de la médecine et des traitements. La clause de conscience dont les professionnels étaient censés bénéficier a déjà largement sauté (directement ou indirectement – par le biais des pressions financières exercées sur les institutions).

2. Se fier aux sondages d’opinion ?

Des sondages sont régulièrement publiés depuis 20 ans qui donnent une majorité écrasante (soviétique – au-dessus de 90%) et croissante aux partisans de l’euthanasie. Mais un simple regard sur la question posée et le commanditaire des études (l’ADMD, principale association militant pour l’euthanasie) conduit à beaucoup de nuance : la formulation reprend plusieurs fois les termes « souffrance, » « insupportable, » « incurable… »; celui qui refuserait – pour les autres – une telle disposition semble être un affreux bourreau. Mais qu’en serait-il si l’on posait la question franchement, en s’intéressant à la réaction des personnes si elles étaient directement concernées, pour elles ou pour leurs proches ? Des sondages plus équilibrés montrent alors que l’euthanasie arrive en dernier dans la liste des préoccupations des français relativement à leur fin de vie. 

[1]« Certaines personnes souffrant de maladies insupportables et incurables demandent parfois aux médecins une euthanasie, c’est à dire qu’on mette fin à leur vie, sans souffrance. Selon vous, … Continue reading : celui qui répondrait négativement serait un bourreau.

3. Les euthanasies clandestines

L’argument de la nécessité d’une loi pour éviter les dérives des euthanasies clandestines est répété à l’envi, sur la base d’une étude de l’INED[2]Institut National d’Études Démographiques : « Les décisions médicales en fin de vie en France », Populations et sociétés (revue de l’INED), n°494, novembre 2012 de 2012. Or l’institut lui-même a de nombreuses fois mis en garde contre des extrapolations indues à partir d’une étude réalisée sur un très petit nombre de cas (cinq mille décès en 2010 en France, soit moins d’1% du total, parmi lesquels 0,2% auraient pu être le fait d’une euthanasie clandestine). En revanche, l’expérience des pays voisins montre que la pratique n’a pas diminué en Belgique et aux Pays-Bas. Au contraire, la mentalité de nos pays de contrat social (« ce qui est légal est moral ») conduit à lever l’interdit du meurtre, et ouvre la voie à une large banalisation, alors que le phénomène devait demeurer « soigneusement encadré. »

4. Mourir vite pour ne pas souffrir ?

Cet argument est le plus fort, le plus personnel souvent, car nous avons le souvenir parfois traumatisant d’une fin de vie mal accompagnée autour de nous, face à laquelle l’euthanasie apparaîtrait comme une solution. Ce raisonnement recouvre cependant deux « pièges dialectiques » que dénonce Henri de Soos :

– doit-on choisir entre souffrir beaucoup et devancer la mort ? N’y a-t-il pas une troisième voie ? En réalité, mourir naturellement n’implique pas forcément de grandes souffrances, on meurt souvent péniblement, alors que la mort provoquée n’est pas forcément apaisée et indolore (ni pour soi ni pour les autres). On doit chercher à humaniser la mort (mieux mourir) et non à la déshumaniser par une irréparable violence.

– en un amalgame médiatiquement bien efficace, les partisans de l’aide à mourir dénoncent l’« acharnement palliatif » : comme si l’on pouvait trop soulager et accompagner… Les militants pro-euthanasie la présentent comme le soin palliatif ultime, la dernière option de l’accompagnement. Philosophiquement pourtant, la démarche est tout autre, contradictoire : on cherche à accompagner l’œuvre de la nature d’une part, à s’en rendre maître en plaçant d’autre part l’autonomie personnelle au-dessus de tout, sans tenir compte de la relation aux personnes. On finit alors par relativiser l’interdit de tuer, au motif que le corps de chacun lui appartient.

Pour répondre à cet argument, Henri de Soos reprend la réalité des soins palliatifs en France : les textes de loi (1999, 2002, loi Léonetti de 2005, Léonetti-Claeys de 2016), les moyens, les différents types d’offre (souvent mal connus). Au global, d’après un rapport de l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales)[3]Évaluation de l’application de la loi du 2 février 2016 sur la fin de vie, IGAS, avril 2018 datant de 2018, autour de 60% des personnes nécessitant un accompagnement palliatif en fin de vie y ont effectivement accès. La proportion demeure bien sûr insuffisante, mais ne peut justifier les affirmations univoques sur le thème « on meurt mal en France, » et a beaucoup augmenté au cours des dernières décennies grâce aux moyens engagés par les gouvernements successifs (l’auteur note cependant une baisse depuis 2017).  

Au point de vue médical, l’auteur montre que les différentes douleurs physiques et psychiques peuvent souvent être correctement soulagées face à la mort : chirurgie, traitements antidouleurs, comportementaux, accompagnement humain… la réponse se trouve dans une présence quotidienne, qui ne consiste plus à « ajouter des jours à la vie » mais « de la vie aux jours. » Face à la démarche palliative, l’euthanasie se présente comme une rupture brutale, symptôme d’une volonté de maîtrise absolue. Au-delà des affaires médiatisées à grand renfort de publicité et d’émotion[4]l’auteur revient notamment sur deux cas terribles et qui ont défrayé la chronique : Vincent Humbert et Vincent Lambert, l’euthanasie est une mort violente, à la brutalité souvent cachée ou niée, dont les conséquences sur les proches et le personnel médical peuvent être terribles.

5. L’euthanasie, ultime liberté ?

Le dernier argument est philosophique, et pourtant tellement banalisé : l’euthanasie serait l’ultime expression de la liberté humaine. Henri de Soos reprend le sujet en posant quelques questions.

– La personne qui veut se suicider, est-elle réellement libre ? La liberté peut-elle consister à choisir de ne plus jamais choisir ?

– Devrait-on reconnaître un droit au suicide ? Il faut distinguer entre la « faculté-liberté » : ce qu’une personne peut effectivement faire, et le « droit-créance, » qui implique des devoirs pour les autres. Si l’euthanasie est une légalisation (voire une incitation) du suicide, comment encore faire la prévention d’un phénomène qui recouvre souvent un vrai aspect de contagion (« effet Werther »).

– On serait euthanasié pour « mourir dans la dignité »… Mais peut-on seulement perdre sa dignité ? Elle est un attribut essentiel de tout être humain. En la concevant comme relative ( c’est la mentalité portée par les partisans de l’euthanasie et du suicide assisté, symptomatique de l’individualisme occidental), on nie l’évidence de nos interdépendances, la nécessité de nos relations, on tombe dans le fantasme du surhomme, du refus de nos fragilités. Or c’est la dégradation des relations humaines qui conduit à ce relativisme : c’est notre regard sur la personne qui lui octroie ou qui obscurcit sa dignité.

– « Liberté pour tous, obligation pour personne » clament les militants de l’euthanasie : l’expérience prouve que les pressions existent, et que la pente peut rapidement devenir glissante. Avec le caractère normatif de la loi, le phénomène s’ancre dans les mentalités (pour nos contemporains, la loi fait le bien – l’auteur relève l’exemple de la peine de mort). Le message renvoyé aux personnes vulnérables et dépendantes est alors terrible : chacun se pose la question de la valeur de sa vie, de celle de ses proches. Ces pressions intériorisent chez nos anciens une générosité détournée (« ma vie n’a plus de sens, je suis un poids, autant laisser la place »). La pression est souvent celle de l’entourage, avec des difficultés relationnelles, familiales, parfois même des préoccupations financières. L’argument pécuniaire est plus présent encore au niveau des sociétés : le Canada a déjà fait le calcul des économies réalisées, et s’y ajoute désormais celui de l’écologie…

– Alors cette liberté n’enlève-t-elle rien à personne ? L’argument ne peut sembler vrai qu’au niveau purement individuel, car l’impact sur les médecins, les institutions médico-sociales, les entourages des malades et plus généralement les personnes fragiles est terrible et patent.

Autant de questions qui devraient engager nos contemporains – et nos dirigeants – à aborder avec une grande circonspection le sujet de la fin de vie : on ne joue pas impunément avec l’interdit de tuer, dans des sociétés déjà profondément blessées par la mentalité individualiste. Le livre d’Henri de Soos vient le rappeler avec beaucoup de justesse, arguments et faits objectifs à l’appui. Une lecture importante en cette période cruciale.  

 

Sur le même sujet lire aussi: 
Euthanasie et médecine : mariage forcé envisagé ?

 

Références

Références
1 « Certaines personnes souffrant de maladies insupportables et incurables demandent parfois aux médecins une euthanasie, c’est à dire qu’on mette fin à leur vie, sans souffrance. Selon vous, la loi française devrait-elle autoriser les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie de ces personnes atteintes de maladies insupportables et incurables, si elles le demande ? »
2 Institut National d’Études Démographiques : « Les décisions médicales en fin de vie en France », Populations et sociétés (revue de l’INED), n°494, novembre 2012
3 Évaluation de l’application de la loi du 2 février 2016 sur la fin de vie, IGAS, avril 2018
4 l’auteur revient notamment sur deux cas terribles et qui ont défrayé la chronique : Vincent Humbert et Vincent Lambert
Retour en haut

Abonnez-vous à notre newsletter,
et soyez informés des derniers articles parus.