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Vers le sacerdoce (2/6)

Prêtre de paroisse dans la Genève protestante du début du XXe siècle, polémiste catholique, professeur au séminaire, philosophe et théologien, cardinal et figure de l’Église suisse, qui est Charles Journet (1891-1975) ? Une figure de sainteté dont la vie et l’enseignement sont à redécouvrir.

 

1907-1913 : études secondaires à Fribourg

Nous retrouvons Charles Journet adolescent, dans la cour de récréation du grand collège catholique de Fribourg, Saint-Michel. C’est le temps des premières amitiés (et on notera que plusieurs de ses condisciples se retrouveront quelques années après sur les bancs du grand séminaire avec lui – en particulier François Charrière, qui sera plus tard l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg). Ce qu’on retiendra de cette période cruciale, c’est qu’une personnalité se forge peu à peu : on retiendra sa grande piété, un esprit quelque peu caustique caractérisant, dit-on, les Genevois, un intérêt de plus en plus palpable pour l’étude des choses de Dieu.

C’est là que se place un épisode qui fait figure pour lui de seconde conversion : alors qu’il avait 17 ans, la lecture des philosophes instilla dans son cœur un doute de plus en plus troublant. C’est la lecture du grand livre du P. Garrigou-Lagrange, Le sens commun, qui allait rendre à Journet la paix qu’il avait perdue.

On peut résumer ainsi le dilemme qui l’avait perturbé :

  • Une certaine vision du monde insiste tellement sur l’absolu qu’elle nie la réalité des choses singulières (Platon et les Platoniciens).
  • Une autre, plus actuelle encore, nie cet absolu en proclamant le flux universel de l’univers (Bergson).
  • Aristote au contraire réconcilie les deux courants car il défend la multiplicité véritable et le devenir des choses, mais il les fait dépendre d’une source, l’être absolu, « l’acte pur», c’est-à-dire Dieu.

Cette vision du monde était, aux yeux de Garrigou-Lagrange, la seule tenable. Journet partagea cette conviction. Il avait trouvé son chemin philosophique.

Premières influences philosophiques : le rôle du P. Garrigou

Il doit les fondations spéculatives de son œuvre au P. Garrigou-Lagrange, qu’il rencontrera quelques années plus tard, d’abord lors de son essai de vie dominicaine en Italie, puis par l’intermédiaire de Jacques Maritain. Pour Maritain comme pour Journet, Garrigou fut un maître, et si les convictions politiques les éloignèrent avec la crise de l’Action française (1926) et la guerre d’Espagne (1936), l’un et l’autre continueront à proclamer la dette qu’ils ont envers Garrigou, en qui ils voient leur maître en philosophie et en théologie, celui qui les y a introduit avec sûreté et profondeur, leur communiquant la ferveur thomiste qu’ils auront jusqu’à leur dernier souffle. Il est frappant de voir qu’avant même de se connaître (leur première rencontre – début d’une très longue et profonde amitié – date de 1920), ils s’abreuvaient à la même source, à savoir les écrits du P. Garrigou (ainsi, Journet écrira comme jeune professeur de théologie, à Fribourg, qu’il existe pour lui quatre livres fondamentaux en théologie : celui du P. del Prado sur la grâce, celui du P. Marin-Sola sur le développement du dogme, et deux livres de Garrigou : son De Revelatione et Dieu, son existence et sa nature). Le maître-livre de Journet, L’Église du Verbe incarné, doit manifestement sa structure à l’influence de Garrigou, puisque Journet a repris l’idée de présenter le mystère de l’Église selon les quatre causes aristotéliciennes, à Garrigou, qui suit le même plan dans son De Revelatione.

15 juillet 1917 : Grand séminaire de Fribourg et ordination sacerdotale

De cette période de sa vie, on retiendra ce premier contact approfondi avec saint Thomas d’Aquin, mais aussi avec sainte Catherine de Sienne. Le premier lui a ouvert les portes de l’intelligence des mystères de la foi. Toute son œuvre est redevable de sa lecture appliquée de l’Aquinate, et de la fréquentation de ses grands commentateurs (Cajetan, Jean de Saint-Thomas, les Carmes de Salamanque ou « Salmanticenses »). Mais cette période de sa vie le vit aussi lire, presque d’une traite, le Dialogue de sainte Catherine de Sienne, qui lui ouvrit en quelque manière de nouvelles perspectives : celles de la vie mystique.

Je me souviens d’avoir été grondé pour avoir lu sainte Catherine de Sienne et étudié saint Thomas d’Aquin. Puis un jour, j’ai été dans la bibliothèque. Je trouve sainte Catherine de Sienne. J’ai ouvert ce livre-là. Ça a été une révélation de ce qu’était l’Église, l’Église dans sa splendeur[1]P.-M. Émonet, Le cardinal Charles Journet, p. 13..

 Quelques années après mon sacerdoce, à Sienne cette fois, au couvent San Domenico, j’avais ouvert le Dialogue. C’était le soir. Toute la nuit a passé à le lire. Quand je le terminai l’aube se levait sur la campagne avoisinant la cité[2]Ibid., p. 14..

1917-1924 : Sept années de ministère paroissial

Ordonné prêtre le 15 juillet 1917, l’abbé Journet est d’abord nommé vicaire à Carouge (banlieue genevoise), puis à Fribourg (Saint-Pierre), puis enfin à Genève (Sacré-Cœur). C’est aussi l’époque d’un essai de vie dominicaine (1920), qui ne pourra se concrétiser, faute d’une santé suffisante.

Que retenir de ces années, sinon un engagement remarquable pour la défense des dogmes du catholicisme face au protestantisme libéral ? Il écrit ainsi que ce protestantisme n’est pas autre chose qu’une « protestation contre le surnaturel », contre l’Église du Christ et le Christ lui-même, sa grâce et ses miracles : c’est son premier ouvrage, qui le fait connaître comme théologien et polémiste, L’esprit du protestantisme en Suisse.

Journet restera très lié à Genève, ville de sa naissance (il soulignait ainsi l’importance des médiations historiques : ces lieux et ces visages par lesquels la foi nous a été transmise – il regardait la Suisse avant tout comme « le milieu choisi par Dieu pour le faire accéder à la vraie foi »). Il avait, de ce fait, comme une dette envers Genève, la ville de son baptême, qu’il honora scrupuleusement en continuant d’y exercer tout au long de sa vie un ministère de direction spirituelle et d’enseignement. Il venait chaque fin de semaine prêcher en l’église du Sacré-Cœur, ou y donner des conférences (ce qu’il continuera jusqu’à sa mort), y voir ses pénitents.

 

Références

Références
1 P.-M. Émonet, Le cardinal Charles Journet, p. 13.
2 Ibid., p. 14.
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