Du prestigieux trône patriarcal d’Alexandrie – pour lequel il était pressenti, et dont il sera écarté par jalousie – à la simplicité d’un petit couvent de moniales, le film “L’Homme de Dieu” (Man of God, actuellement au cinéma) retrace le parcours spirituel de l’un des saints les plus vénérés de Grèce, Nektarios d’Égine. En sortant de la salle obscure, on a envie de prier, de faire du bien aux âmes, et de prier encore : parfait pour le Carême.
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« Malheur à moi si ma foi dépendait des hommes. » Rappel précieux du saint religieux à l’homme paralysé (incarné par le célèbre Mickey Rourke) qui gît à côté de lui, dans une fulgurante scène finale inspiré d’un dialogue de Dostoïevski. Certes, notre foi s’appuie sur Dieu, non sur les hommes : mais il est des hommes qui, sans le rechercher peut-être, affermissent notre foi[1]comme il en est d’autres qui, hélas, l’ébranlent. ; témoins placés sur notre route par la Providence pour incarner la présence de Dieu. C’est ce que l’on ressent en découvrant la vie de ce saint métropolite orthodoxe. Dans ce film d’1h 50 de la réalisatrice serbe Yelena Popovic , il n’est pas question de scènes d’action spectaculaires ni de suspense insoutenable ; mais d’une profonde méditation sur la foi en Dieu au milieu des épreuves, portée par un très bon jeu d’acteurs, une bande originale inspirée, et un style dépouillé, simple et très visuel, loin des codes habituels du « film religieux » sentimental américain.
Sans négliger la douloureuse fracture qui sépare l’orthodoxie du catholicisme, il faut reconnaître au christianisme oriental le mérite d’avoir conservé, du moins pour ceux qui veulent en vivre, une certaine radicalité évangélique (on songe aux starets de Dostoïevski) qui manque parfois cruellement chez nous. De quoi réveiller nos consciences somnolentes, et nous donner l’envie d’être des saints, des vrais, sans nous faire croire que c’est à portée de main : car seul Dieu fait les saints.
Charnelle liturgie orientale
La grande tradition liturgique d’Orient a conservé cette simplicité de l’âme, qui sait qu’elle a besoin du corps, du charnel, pour se relier à Dieu. L’Homme de Dieu exploite à fond la fibre liturgique de l’homme et parvient à mettre en scène l’acteur principal du drame qui se joue, celui qui n’apparaît jamais à l’écran mais qui transfigure la plupart des plans : Dieu. Cela passe par la beauté des couvents grecs, par le symbolisme des icônes, et surtout par la noblesse des gestes liturgiques : car l’orthodoxe prie avec tout son corps, et même courbé par le poids de l’âge comme saint Nektarios, il se prosterne encore jusqu’à terre devant son Dieu. Dès la première scène du film, on découvre la prière traditionnelle orientale, la métanie (de metanoia, la conversion en grec), durant laquelle le corps se ploie profondément et à plusieurs reprises, jusqu’à toucher le sol, soit de la main droite, soit avec le front, en signe de pénitence.
Ainsi, ce film est avant tout un beau film, d’une beauté simple et dépouillée, à l’image de sa photographie désaturée : porté par la musique de Zbigniew Preisner (connu pour son magnifique Lacrimosa repris dans The Tree of Life de Terrence Malick) et sublimé par la voix inimitable de Lisa Gerrard (qui avait déjà séduit Hans Zimmer pour la BO de Gladiator). Un bel hommage à Saint Nektarios d’Égine, connu pour avoir composé l’hymne célèbre à la gloire de Marie : Agni Parthene.
« J’ai vu Dieu dans un homme »
Le film, selon le voeu de sa réalisatrice, a cette capacité de parler à tous, car il décrit des situations et des réalités profondément humaines : l’injustice, la calomnie, le pardon, le service, la fidélité… Mais il faut lui reconnaître ce mérite – rare – de n’avoir pas cédé à la facilité mondaine, celle qui aurait consisté à faire passer les vertus héroïques du saint pour de simples valeurs humaines universelles.
Non : si cet homme est ce qu’il est, c’est parce que c’est un homme de Dieu. Le film est irradié par le surnaturel, et pas seulement dans les scènes de miracles. Car le saint, c’est justement celui qui n’agit plus uniquement selon la raison et la prudence humaine, mais qui s’abandonne à Dieu, qui parle, agit, et prie en lui. La réalisatrice, croyante, a su capter cette originalité propre aux saints, qui diffère d’une manière mystérieuse de l’homme simplement et naturellement bon, et qui faisait dire par exemple, au contact du curé d’Ars : « J’ai vu Dieu dans un homme ». D’où ce rayonnement, encore aujourd’hui : saint Nektarios est l’un des saints les plus populaires de Grèce.
Kyrie Eleison
Nous connaissons bien cette invocation, récitée au cours de la messe : Kyrie Eleison, Seigneur, ayez pitié. Cependant son sens, profondément pénitentiel, nous échappe souvent. Ainsi, un autre mérite du film est de remettre à l’honneur ce cri à la pitié de Dieu, que produit en nous la conscience de notre faiblesse et de nos fautes. L’invocation accompagne tout le film en fond sonore, telle une prière perpétuelle, comme en témoigne cette piste de la bande originale de Zbigniew Preisner. En accomplissant la métanie, Saint Nektarios accompagne son geste de la parole, répétée inlassablement : « Jésus-Christ Fils de Dieu (on se redresse, pour glorifier Dieu), aie pitié de moi pécheur (on s’incline jusqu’au sol en signe de pénitence) »
Demander la pitié de Dieu, c’est reconnaître notre condition de pécheur. Voilà des réalités qu’il est bon de rappeler aujourd’hui, et spécialement en ce temps de carême. Le caractère ascétique de vie chrétienne n’est pas masqué dans le film, il est au contraire assumé comme un signe de sainteté, et une porte vers l’union à Dieu.
Un cœur de prêtre persécuté
C’est peut-être l’aspect le plus visible et le plus remarquable de la vie de saint Nektarios : sa bonté qui demeure intacte, au milieu des épreuves. Le saint se reconnaît à la tendresse qu’il a pour les âmes, image de la tendresse de Dieu pour les pauvres et les pécheurs. Cette miséricorde est profondément sacerdotale dans le film, et un prêtre ne peut qu’être touché par ces scènes toutes simples, capturées presque en cachette par Yelena Popovic, dans lesquelles cet homme pourtant hiérarque prend soin des âmes les plus simples et des pauvres, se rend disponible, passe et perd du temps pour eux, les instruit, les nourrit, les encourage dans la foi, loin des complots de salon qui se trament contre lui.
Scènes d’une douceur remarquable, qui tranchent avec la violence morale de la persécution subie par l’homme de Dieu, d’une manière si injuste et si mensongère que l’on ne peut y voir qu’une marque du démon, furieux du bien fait aux âmes par le prêtre ; une persécution qui, loin de durcir son cœur, lui permet de comprendre mieux la misère humaine. Une belle incarnation de la dernière béatitude, sans doute la plus dure à suivre, certainement celle qui nous fait le plus ressembler à Jésus :
Bienheureux serez-vous quand on vous insultera, quand on vous persécutera et qu’on vous calomniera à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense sera grande dans les cieux[2]Mt 5, 11-12