Dans l’Évangile du vendredi de la première semaine de Carême, saint Jean raconte la guérison d’un paralytique au bord d’un mystérieux plan d’eau, appelé Bethesda ou piscine probatique. Longtemps perdu, ce bassin servit d’argument aux ennemis de l’historicité de la Révélation pour en miner la crédibilité. Les découvertes effectuées à partir de 1871 près de la basilique française Sainte-Anne de Jérusalem changèrent radicalement la donne.
Une piscine à l’emplacement incertain
Jérusalem, 1871. La France, quoiqu’en pleine crise de la commune, est de plus en plus influente en Terre Sainte, où elle a su s’attirer les bonnes grâces du Sultan à la faveur de la guerre de Crimée. À l’est de la ville, près de « porte des Brebis », se trouve l’antique basilique Sainte-Anne, construite par les croisés en 1130 sur le lieu identifié par la Tradition comme celui de la maison natale de Marie. Les autorités ottomanes manifestèrent en 1856 leur gratitude à la France en lui donnant l’église et son périmètre, qui furent bientôt confiés à la garde des Pères Blancs de Mgr Lavigerie. La basilique Sainte-Anne est aujourd’hui encore une enclave française au cœur de la vieille ville de Jérusalem, volontiers visitée par les chefs de l’État lors de leurs voyages en Israël et Palestine.
Une tradition ininterrompue remontant au IVe siècle faisait également de ce lieu celui de la piscine probatique, aussi nommée Bethesda, où saint Jean place la guérison d’un singulier infirme. L’identification du lieu était cependant jusqu’alors très incertaine : l’évangéliste parlait d’un plan d’eau entouré par cinq portiques, or aucune découverte archéologique n’avait pu confirmer son existence ; la localisation du miracle était encore compliquée des variations dans l’orthographe du nom araméen de Bethesda, et par le choix de saint Jérôme de le rendre par Bethsaïda, faisant du lieu de la guérison de l’infirme un homonyme de la ville de Galilée dont étaient originaires Pierre et André, à plus de 100 kilomètres au nord de Jérusalem. Il n’en fallait pas plus pour que les exégètes rationalistes et libéraux qui faisaient la loi dans les universités européennes ne s’appuient sur cet épisode pour miner la crédibilité historique du quatrième Évangile et de la Révélation en général.
Retournement avec l’arrivée de la France
Un retournement total intervint en cette fin de XIXe siècle lorsque les français ouvrirent la zone de la basilique aux fouilles archéologiques. Achetant systématiquement les terrains disponibles autour de leur périmètre initial, les Pères Blancs permirent l’accroissement de la zone de recherche, dans laquelle on finit par découvrir, creusant en profondeur, un temple dédié au dieu Esculape (dieu médecin) et bâti au IIe siècle de notre ère, à l’époque où l’empereur Hadrien voulut faire de Jérusalem une grande ville païenne, dont le nom aurait été Aelia Capitolina. La présence d’un culte au dieu guérisseur remit en selle l’hypothèse de la piscine probatique, car on apprend dans l’Évangile que le lieu était fréquenté par de nombreux infirmes attendant d’y être guéris par un phénomène extraordinaire.
Les fouilles furent menées plus profond encore, et l’excavation finit par mettre au jour deux ensembles de piscines. Le premier, comportant deux grands bassins, remonterait au roi Ezéchias (VIIe siècle avant Jésus-Christ, époque du prophète Isaïe). Ces deux plans d’eau de dimensions impressionnantes – presque des piscines olympiques – étaient entourés par des constructions qui semblent correspondre à quatre des cinq portiques mentionnés par saint Jean, le dernier se situant sur le barrage qui séparait les deux bassins. Comme s’il était encore besoin de préciser les éléments permettant l’identification du lieu, les archéologues découvrirent encore plusieurs ex-voto des IIe et IIIe siècle, témoins de la gratitude de malades guéris en ce lieu, tel ce pied votif de marbre blanc, aujourd’hui conservé au musée du Louvre, signé d’une dignitaire romaine de l’époque d’Hadrien : Pompeia Lucia. On aurait même retrouvé sur un mur une fresque représentant un ange venant agiter l’eau du bassin.
Il est aujourd’hui hautement probable que ce lieu soit bien celui de la piscine de Bethesda, appelée aussi piscine probatique – du grec probata : les brebis – peut-être parce qu’on y lavait les victimes avant leur abattage rituel dans le temple voisin. La vocation thérapeutique du site affirmée par saint Jean est confirmée de manière éclatante par l’archéologie.
Quand l’archéologie confirme la tradition et réduit au silence la critique rationaliste
La tradition identifiait sans hésitation le lieu du miracle rapporté par le quatrième Évangile : Origène mentionne les cinq portiques au IIIe siècle, Eusèbe constate au IVe qu’ils sont en ruine mais connaît encore leur emplacement, visité à la même époque par un pèlerin bordelais qui nous a laissé de précieuses descriptions des lieux saints au temps de Constantin. Sophrone de Jérusalem réunissait au VIIe siècle en ce lieu les mémoires de la naissance de Notre-Dame et de la guérison de l’infirme. La tradition se transmit fidèlement au cours des époques suivantes.
Le rationalisme du XIXe siècle, largement sous influence du protestantisme libéral allemand, dédaignait comme à son habitude ces témoignages de la tradition. Il prenait argument de l’absence de mention du bassin chez l’historien juif Flavius Josèphe pour attribuer sa création à l’imagination du quatrième évangéliste. Il fut magistralement contredit par les conclusions archéologiques de la fin du siècle, permises par la tutelle française sur le site de la basilique Sainte-Anne. Le cinquième chapitre de saint Jean qui était utilisé par les exégètes critiques pour mettre en doute l’historicité des Évangiles devint du même coup un exemple de choix pour en soutenir l’authenticité et la véracité. La découverte parmi les rouleaux de Qumran (appelés parfois parchemins de la Mer Morte) d’une nouvelle mention de la piscine vint encore renforcer cet argument dans la deuxième moitié du XXe siècle.
La providence divine sait nous surprendre dans les éléments du monde
Comment ne pas voir dans l’histoire de ce changement de paradigme une ressemblance avec le miracle opéré par Jésus au bord de la piscine probatique ? Visitant ce lieu dont la vocation médicinale était probablement païenne, le Christ prend à contrepied l’usage local : venant là où il n’était pas attendu, il guérit un homme qui ne le lui avait pas demandé. Cet infirme qui plaçait son espérance dans un phénomène sans doute préternaturel ou démoniaque, est guéri par la miséricorde absolument gratuite du Sauveur. Jésus fait le premier pas vers lui, il lui adresse la parole en premier : « veux-tu être guéri ? » et le délivre de son infirmité sans passer par la médiation de l’eau, en laquelle le paralytique espérait : « lève-toi, prends ton grabat et marche ». La providence divine permit dix-neuf siècles plus tard que ce passage d’Évangile et le lieu qu’il décrit, utilisés pour miner la crédibilité de la révélation, devinssent des arguments de poids pour en défendre la force et la véracité. Bethesda est ainsi doublement un signe de gratuité de la miséricorde divine, selon la vocation à laquelle la prédestinait son nom : « Beth-Hesed », maison de la miséricorde.
La piscine perdue
Dans l’Évangile du vendredi de la première semaine de Carême, saint Jean raconte la guérison d’un paralytique au bord d’un mystérieux plan d’eau, appelé Bethesda ou piscine probatique. Longtemps perdu, ce bassin servit d’argument aux ennemis de l’historicité de la Révélation pour en miner la crédibilité. Les découvertes effectuées à partir de 1871 près de la basilique française Sainte-Anne de Jérusalem changèrent radicalement la donne.
Une piscine à l’emplacement incertain
Jérusalem, 1871. La France, quoiqu’en pleine crise de la commune, est de plus en plus influente en Terre Sainte, où elle a su s’attirer les bonnes grâces du Sultan à la faveur de la guerre de Crimée. À l’est de la ville, près de « porte des Brebis », se trouve l’antique basilique Sainte-Anne, construite par les croisés en 1130 sur le lieu identifié par la Tradition comme celui de la maison natale de Marie. Les autorités ottomanes manifestèrent en 1856 leur gratitude à la France en lui donnant l’église et son périmètre, qui furent bientôt confiés à la garde des Pères Blancs de Mgr Lavigerie. La basilique Sainte-Anne est aujourd’hui encore une enclave française au cœur de la vieille ville de Jérusalem, volontiers visitée par les chefs de l’État lors de leurs voyages en Israël et Palestine.
Une tradition ininterrompue remontant au IVe siècle faisait également de ce lieu celui de la piscine probatique, aussi nommée Bethesda, où saint Jean place la guérison d’un singulier infirme. L’identification du lieu était cependant jusqu’alors très incertaine : l’évangéliste parlait d’un plan d’eau entouré par cinq portiques, or aucune découverte archéologique n’avait pu confirmer son existence ; la localisation du miracle était encore compliquée des variations dans l’orthographe du nom araméen de Bethesda, et par le choix de saint Jérôme de le rendre par Bethsaïda, faisant du lieu de la guérison de l’infirme un homonyme de la ville de Galilée dont étaient originaires Pierre et André, à plus de 100 kilomètres au nord de Jérusalem. Il n’en fallait pas plus pour que les exégètes rationalistes et libéraux qui faisaient la loi dans les universités européennes ne s’appuient sur cet épisode pour miner la crédibilité historique du quatrième Évangile et de la Révélation en général.
Retournement avec l’arrivée de la France
Un retournement total intervint en cette fin de XIXe siècle lorsque les français ouvrirent la zone de la basilique aux fouilles archéologiques. Achetant systématiquement les terrains disponibles autour de leur périmètre initial, les Pères Blancs permirent l’accroissement de la zone de recherche, dans laquelle on finit par découvrir, creusant en profondeur, un temple dédié au dieu Esculape (dieu médecin) et bâti au IIe siècle de notre ère, à l’époque où l’empereur Hadrien voulut faire de Jérusalem une grande ville païenne, dont le nom aurait été Aelia Capitolina. La présence d’un culte au dieu guérisseur remit en selle l’hypothèse de la piscine probatique, car on apprend dans l’Évangile que le lieu était fréquenté par de nombreux infirmes attendant d’y être guéris par un phénomène extraordinaire.
Les fouilles furent menées plus profond encore, et l’excavation finit par mettre au jour deux ensembles de piscines. Le premier, comportant deux grands bassins, remonterait au roi Ezéchias (VIIe siècle avant Jésus-Christ, époque du prophète Isaïe). Ces deux plans d’eau de dimensions impressionnantes – presque des piscines olympiques – étaient entourés par des constructions qui semblent correspondre à quatre des cinq portiques mentionnés par saint Jean, le dernier se situant sur le barrage qui séparait les deux bassins. Comme s’il était encore besoin de préciser les éléments permettant l’identification du lieu, les archéologues découvrirent encore plusieurs ex-voto des IIe et IIIe siècle, témoins de la gratitude de malades guéris en ce lieu, tel ce pied votif de marbre blanc, aujourd’hui conservé au musée du Louvre, signé d’une dignitaire romaine de l’époque d’Hadrien : Pompeia Lucia. On aurait même retrouvé sur un mur une fresque représentant un ange venant agiter l’eau du bassin.
Il est aujourd’hui hautement probable que ce lieu soit bien celui de la piscine de Bethesda, appelée aussi piscine probatique – du grec probata : les brebis – peut-être parce qu’on y lavait les victimes avant leur abattage rituel dans le temple voisin. La vocation thérapeutique du site affirmée par saint Jean est confirmée de manière éclatante par l’archéologie.
Quand l’archéologie confirme la tradition et réduit au silence la critique rationaliste
La tradition identifiait sans hésitation le lieu du miracle rapporté par le quatrième Évangile : Origène mentionne les cinq portiques au IIIe siècle, Eusèbe constate au IVe qu’ils sont en ruine mais connaît encore leur emplacement, visité à la même époque par un pèlerin bordelais qui nous a laissé de précieuses descriptions des lieux saints au temps de Constantin. Sophrone de Jérusalem réunissait au VIIe siècle en ce lieu les mémoires de la naissance de Notre-Dame et de la guérison de l’infirme. La tradition se transmit fidèlement au cours des époques suivantes.
Le rationalisme du XIXe siècle, largement sous influence du protestantisme libéral allemand, dédaignait comme à son habitude ces témoignages de la tradition. Il prenait argument de l’absence de mention du bassin chez l’historien juif Flavius Josèphe pour attribuer sa création à l’imagination du quatrième évangéliste. Il fut magistralement contredit par les conclusions archéologiques de la fin du siècle, permises par la tutelle française sur le site de la basilique Sainte-Anne. Le cinquième chapitre de saint Jean qui était utilisé par les exégètes critiques pour mettre en doute l’historicité des Évangiles devint du même coup un exemple de choix pour en soutenir l’authenticité et la véracité. La découverte parmi les rouleaux de Qumran (appelés parfois parchemins de la Mer Morte) d’une nouvelle mention de la piscine vint encore renforcer cet argument dans la deuxième moitié du XXe siècle.
La providence divine sait nous surprendre dans les éléments du monde
Comment ne pas voir dans l’histoire de ce changement de paradigme une ressemblance avec le miracle opéré par Jésus au bord de la piscine probatique ? Visitant ce lieu dont la vocation médicinale était probablement païenne, le Christ prend à contrepied l’usage local : venant là où il n’était pas attendu, il guérit un homme qui ne le lui avait pas demandé. Cet infirme qui plaçait son espérance dans un phénomène sans doute préternaturel ou démoniaque, est guéri par la miséricorde absolument gratuite du Sauveur. Jésus fait le premier pas vers lui, il lui adresse la parole en premier : « veux-tu être guéri ? » et le délivre de son infirmité sans passer par la médiation de l’eau, en laquelle le paralytique espérait : « lève-toi, prends ton grabat et marche ». La providence divine permit dix-neuf siècles plus tard que ce passage d’Évangile et le lieu qu’il décrit, utilisés pour miner la crédibilité de la révélation, devinssent des arguments de poids pour en défendre la force et la véracité. Bethesda est ainsi doublement un signe de gratuité de la miséricorde divine, selon la vocation à laquelle la prédestinait son nom : « Beth-Hesed », maison de la miséricorde.