Rechercher
Rechercher
Rechercher
Rechercher

Les sacramentaux

pexels - photo de Berna
De la bénédiction d’une voiture ou d’un chapelet à la consécration d’une église ou d’un calice, en passant par les prières d’exorcisme, les funérailles ou même le sacre des rois, l’Église déploie autour des sept sacrements une multitude de rites complémentaires que l’on a souvent du mal à appréhender et qualifier : les sacramentaux.

 

Les sacramentaux : essai de définition

Que sont les sacramentaux ? Des actions ou choses que l’Église a l’habitude d’employer pour obtenir par sa prière des effets avant tout spirituels. Des signes sacrés par lesquels, à l’imitation des sacrements, sont signifiés et obtenus à la prière de l’Église des effets spirituels.

Les bénédictions sont des rites approuvés par l’Église, accomplis en son nom par des ministres légitimes, ayant pour but, ou bien de consacrer des personnes ou des objets au service de Dieu, ou bien de procurer aux fidèles des bienfaits spirituels ou temporels[1]Dom B. Darragon, « Les Bénédictions » in A. Martimort (dir), L’Eglise en prière, Desclée, 1961..

Les sacramentaux comme écrin des sacrements

En un premier sens, les sacramentaux sont les rites institués par l’Église dans l’administration des sacrements, destinés à en entourer l’essence (le cœur du sacrement, en lequel se réalise l’action qui produit la grâce). Ces cérémonies ne sont pas indispensables pour la validité des sacrements, mais elles participent à leur utilité en tant qu’elles aident à se disposer à la grâce qui en est le fruit.

La sainte Église, notre mère, a institué certains rites, […] cérémonies, bénédictions mystiques, luminaires, encensements, ornements et autres choses de ce genre, que lui ont d’ailleurs transmis les traditions et la discipline des apôtres, et cela afin d’inculquer aux esprits le sentiment de la majesté d’un si grand sacrifice et afin d’exciter les âmes par le moyen de ces signes extérieurs de religion et de piété à s’élever jusqu’à la contemplation des profonds mystères que recouvre ce sacrifice[2]Concile de Trente, Session XXII, chapitre 5..

Les sacramentaux participent donc de ces cérémonies qui sont comme la parure ou l’ornement des sacrements : ces rites sont comme l’écrin dans lequel le diamant est conservé et présenté, qui en rehausse et met en valeur la beauté.

Qu’ils leur soient directement liés ou non, les sacramentaux viennent ainsi préparer et compléter l’œuvre de sanctification opérée par Dieu à travers les sacrements. Leur institution est souvent une transposition dans l’ordre religieux de symbolismes naturels de l’existence humaine.

Ces rites ont une similitude extérieure avec les sacrements : ils sont des signes sensibles et symboliques, mais en diffèrent essentiellement, puisqu’ils ne sont pas institués par Jésus-Christ, mais par l’Église, et ne sont pas destinés à produire la grâce dans les âmes. S’ils sont appelés « sacramentaux », c’est en tant qu’ils sont destinés à produire certains effets spirituels.

Soulignons encore que les sacramentaux sont d’institution ecclésiastique (institués par l’Église, et non directement par le Christ), puisqu’ils sont directement des signes de sa prière maternelle. Ils obtiennent par elle des effets premièrement spirituels (sans exclure certains bienfaits temporels), mais ne sont pas ordonnés à produire la grâce sanctifiante dans les âmes. À l’instar des sacrements en revanche, ils sont des signes visibles et concrets, dont la production est normée (par l’Église). Leur ministre est donc le clerc (diacre rarement, prêtre souvent, évêque – seul – parfois), muni des pouvoirs requis. Toutefois certains sacramentaux peuvent aussi être administrés par des laïcs possédant les qualités requises.

D’où viennent les sacramentaux ?

Le mot date du XIIe siècle, mais l’usage de rites non sacramentels dans l’œuvre de sanctification de l’Église remonte bien plus haut, parfois désignés sous le terme générique de « sacramentum ». Tertullien appelle ainsi l’imposition des mains qui suivait le baptême. Dans les premiers siècles, tout ce qui était en rapport (choses, lieux ou personnes) avec les sacrements ou le sacrifice était consacré par une bénédiction particulière. Ainsi des rites préparant le baptême : le signe de la croix, l’exorcisme, le geste de l’effata, l’onction d’huile des catéchumènes… Saint Augustin parle de « sacrement » au sujet du Credo ou du Pater comme au sujet du baptême ou de la messe[3]Sermon 228, n°3.. Saint Ambroise désigne quant à lui sous ce nom la lotion des pieds du jeudi saint. En Orient, le pseudo-Denys désigne sous le nom de « sacrements » (mysteria) la consécration du chrême et de l’autel, le rite de la sépulture…

Le théologien Hugues de Saint-Victor (XIIe siècle) établit le premier une distinction entre les sacrements et les sacramentaux, en distinguant une catégorie de rites qui, sans être nécessaires au salut, sont utiles à la sanctification en favorisant l’exercice de la vertu et l’acquisition de la grâce (eau bénite, cendre…). À la même époque, les canonistes établissent quatre catégories de sacrements : sacramenta salutaria, ministratoria, veneratoria, et preparatoria, parmi lesquelles les trois dernières correspondent aux sacramentaux. D’autres distinguent entre les sacramenta majora (grands sacrements) et minora (petits), ou encore entre sacrements « de nécessité » et « de dignité », entre sacrements « principaux » et « non nécessaires ». Le mot « sacramental » apparaît à cette époque, d’abord dans un sens juridique. Il semble admis cependant chez les grands théologiens (Pierre Lombard, Alexandre de Halès, saint Bonaventure, saint Thomas d’Aquin).

Sacramentaux au sens strict ou au sens large

On peut ainsi dégager plusieurs possibilités de définition :

  • Pour certains (sens large) les sacramentaux sont tous les rites employés à l’occasion des sacrements, mais aussi les bénédictions extrasacramentelles, les choses bénites elles-mêmes, les œuvres pies…
  • D’autres donnent au mot un sens plus restreint, en n’y incluant que les bénédictions proprement dites, ou seulement les rites accessoires à l’administration des sacrements (Suarez).

Le code de 1917 donnait une définition officielle au canon 1144 : « Les sacramentaux sont des choses ou des actions que l’Église utilise, en une manière d’imitation des sacrements, pour obtenir par sa prière des effets principalement spirituels. » Cette définition souligne bien la différence essentielle entre sacrements et sacramentaux : dans les premiers, l’efficacité du signe pratique vient de la volonté même du Christ qui les a institués, dans les seconds c’est la prière de l’Église qui intervient pour demander les bienfaits divins. La seconde différence est donc qu’alors que les sacrements ont pour effet de produire la grâce sanctifiante, les effets spirituels des sacramentaux relèvent plutôt de l’ordre des grâces actuelles.

Différents types de sacramentaux

Comment peuvent être classifiés les sacramentaux ? Les théologiens contemporains ont souvent proposé des distinctions qui recoupent celles du Code de Droit Canonique, qui sépare les choses et actions. Les objets sont des réalités plus ou moins permanentes (objets et lieux bénits ou consacrés). Les actions sont quant à elles transitoires (consécrations, bénédictions, exorcismes).

Parmi les bénédictions, on distingue habituellement entre les bénédictions simplement invocatives, (appliquées à des choses ou des personnes pour obtenir de Dieu faveur et protection, sans en changer la nature : bénédiction du pain, des maisons, des champs, bénédiction nuptiale, bénédiction des relevailles, exorcismes…) et les bénédictions constitutives et consécrations (qui députent la chose ou la personne de manière permanente au service de Dieu et en changent la nature profonde : consécration d’un calice, d’une église, d’un ou d’une consacré).

 

Comment agissent les sacramentaux ?

Le fondement théologique des sacramentaux se trouve dans la doctrine du péché originel : la lutte entre les « deux cités » (selon le mot de saint Augustin) de Dieu et de Satan s’étend à tout l’univers. Son enjeu est le salut de l’homme, dont le destin n’est pas encore fixé, et ce combat entraîne avec lui l’ensemble de la création, dont la clé de voûte (l’homme) s’est détournée de Dieu et soumise à l’influence du mauvais. L’entreprise de la Rédemption doit donc aussi faire échapper les choses à l’emprise du démon : d’où les exorcismes qui précèdent ou commencent souvent les bénédictions (ils étaient plus nombreux autrefois : on les trouve encore par exemple dans la bénédiction de l’eau, du sel, de l’or, de l’encens et de la myrrhe pour l’épiphanie, ou encore dans la bénédiction de la médaille de saint Benoît).

Mais si les conséquences du péché et l’emprise mauvaise s’étendent à l’univers (sans pour autant pouvoir détruire sa bonté profonde et sa beauté), la Rédemption du Christ, obtenue par la valeur infinie de sacrifice, s’étend elle aussi à tous le cosmos. Le salut mérité par Notre Seigneur, communiqué aux hommes par l’intermédiaire de l’Église dans les sacrements, se prolonge (envers les hommes, les lieux et les choses) dans les sacramentaux.

En outre, puisque tout l’univers a pour fin ultime la gloire divine, l’Église marque par ses bénédictions que tous les êtres, naturels et artificiels, doivent être tournés vers le Créateur. Tout le corporel et matériel peut être mis au service du spirituel, et tout ce que la liturgie demande au bénéfice du corps doit être ultimement au profit de l’âme. « Que ces fruits de la terre servent à nous faire passer du salut temporel au salut éternel » demande-t-elle dans la bénédiction des herbes médicinales pour la fête de l’Assomption.

On l’a dit, le mode d’action des sacramentaux se rapproche et se distingue de celui des sacrements. Ces derniers, puisqu’ils sont institués par le Christ, ont une puissance divine : on dit qu’ils agissent ex opere operato. Ainsi quand le rite est posé par le ministre, la grâce est immédiatement produite dans l’âme, sauf obstacle direct : le sacrement est un instrument qui prolonge l’action du Christ à travers l’Église. En revanche, lorsqu’un sacramental est posé, c’est la puissance d’intercession de l’Église qui est engagée immédiatement et par elle-même (ex opere operantis) en vertu de l’institution ecclésiastique des rites. Cela signifie que l’Église engage dans ces rites toute sa puissance d’intercession, à laquelle Dieu ne peut rien refuser. La certitude de son effet dépend toutefois des bonnes dispositions du sujet, des obstacles qui peuvent s’interposer, du degré d’importance et de solennité dont l’Église revêt tel ou tel rite (consécration, bénédiction, objet bénit…). L’effet produit est d’abord et surtout d’ordre spirituel, mais il peut rejaillir également – on l’a vu – dans l’ordre matériel.

Un trésor à redécouvrir

Les sacramentaux représentent donc un trésor immense de rites à travers lesquels l’Église entière vient appuyer nos demandes et soutenir notre vie, dans ses dimensions matérielles et spirituelles. L’usage des sacramentaux fait intégralement partie de la vie des chrétiens depuis les origines, et répond particulièrement bien à la nature spirituelle et corporelle de l’homme. À la frontière du matériel et de l’immatériel, les sacramentaux sont une réponse intemporelle à la crise bien actuelle d’un monde désenchanté, dont les habitants se tournent de plus en plus facilement vers des faux-semblants ou des ersatz de spiritualité.

Leur pratique renvoie à la puissance de prière de la sainte liturgie, en laquelle le Christ lui-même, à travers son corps mystique, rend un culte à son Père, et au mystère de la communion des saints, qui fonde la capacité d’intercession de l’Église.

Enfin, puisque les sacramentaux, à la différence des sacrements, peuvent également être demandés et reçus par des non-catholiques, ils sont un signe de la volonté de salut universelle de Dieu, qui veut que tous les hommes soient sauvés, et propose à tous le salut en Jésus, communiqué par l’Église.

Références

Références
1 Dom B. Darragon, « Les Bénédictions » in A. Martimort (dir), L’Eglise en prière, Desclée, 1961.
2 Concile de Trente, Session XXII, chapitre 5.
3 Sermon 228, n°3.
Retour en haut

Abonnez-vous à notre newsletter,
et soyez informés des derniers articles parus.