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Les racines bibliques du jubilé

Le concept biblique de jubilé s’enracine dans la particularité calendaire du judaïsme ancien, centré sur le repos sabbatique, fixant un rythme septénaire qui se déployait pour les jours, mais aussi pour les années. De la même manière que chaque semaine se terminait par un jour de repos en l’honneur du Seigneur (le sabbat proprement dit), chaque « semaine d’année » se concluait par une année sabbatique, lors de laquelle la terre devait chômer : le livre du Lévitique prescrit ainsi une abstention des travaux agricoles, le Seigneur promettant de fournir la sixième année la triple ration nécessaire à la subsistance de l’année courante, de la suivante, et à l’ensemencement des champs en vue de la huitième. Toutes les sept semaines d’années, une année jubilaire s’ajoutait encore[1]Les auteurs débattent sur le fait de savoir si l’année jubilaire était la cinquantième année, suivant donc immédiatement l’année sabbatique qui concluait la septième semaine, ou si les … Continue reading, en laquelle était prescrit un affranchissement presque total.

 

Une année de confiance et de prière

À l’instar du précepte sabbatique, la prescription de l’année jubilaire invite le peuple élu à la confiance et à la prière. Sans commander d’œuvres religieuses spécifiques, mais en demandant l’abstention de toute activité agricole (ensemencement, moisson, vendange) le Seigneur appelle Israël à se reposer sur la bénédiction promise pour la sixième année (Lv 25, 21). L’année commençait et se terminait début automne (au moment de la fête des expiations : Yom Kippour), juste après la fin des récoltes, avant les semailles, qui étaient donc reportées à l’année suivante.

 

Une année de grâce

Mais surtout, l’année jubilaire était une année de « grâce », c’est à dire d’amnistie et de libération : tous les cinquante ans, toutes les dettes, hypothèques et autres aliénations étaient annulées, les servages affranchis. Chaque famille d’Israël rentrait dans la possession du bien qui lui avait été historiquement échu lors de la grande répartition de Josué. Puisque chaque portion de sol agricole revenait à la famille qui la détenait originellement, la propriété était finalement inaliénable, puisqu’elle avait été confiée en quelque sorte par Dieu. Le Lévitique prévoyait ainsi que les prix des transactions foncières soient fixés selon le nombre d’années restant avant le jubilé. Flavius Josèphe ajoute qu’au moment de la rétrocession des biens, vendeurs et acheteurs pouvaient convenir d’une indemnisation sur la base des dépenses et des fruits de la propriété. En revanche, il semble que le jubilé n’avait pas d’effet dans les villes entourées de murs, où les maisons pouvaient être définitivement acquises, sauf celles des Lévites.

La pratique du jubilé dans le monde de l’Ancien Testament

De nombreux passages de la Bible montrent l’importance de la pratique du jubilé à l’époque de la monarchie d’Israël :

– « L’héritage des enfants d’Israël ne passera pas d’une tribu à une autre tribu, et les enfants d’Israël s’attacheront chacun à l’héritage de la tribu de ses pères » (Nb 36, 4)

– « Si c’est dès l’année du jubilé qu’il consacre son champ, on s’en tiendra à ton estimation ; mais si c’est après le jubilé qu’il consacre son champ, le prêtre en évaluera le prix à raison du nombre d’années qui restent jusqu’au jubilé, et il sera fait une réduction sur ton estimation. » (Lv 27, 16)

– « Si le prince fait un don à quelqu’un de ses fils, ce don sera l’héritage de ses fils ; ils le posséderont comme un héritage. Mais s’il fait à l’un de ses serviteurs un don pris sur son héritage, ce don appartiendra au serviteur jusqu’à l’année de la libération ; puis il retournera au prince ; c’est à ses fils seulement que restera son héritage. Le prince ne prendra l’héritage de personne en l’expulsant violemment de sa propriété ; c’est de sa propriété qu’il donnera un héritage à ses fils, afin que mon peuple ne soit pas chassé, chacun de sa possession. » (Ez 46, 16)

Mais la loi n’est pas toujours respectée, puisque Jérémie raconte comment les princes du temps de Sédécias firent mine de l’appliquer, puis se dédirent : « La parole qui fut adressée à Jérémie[343] de la part de Yahweh, après que le roi Sédécias eut fait un accord avec tout le peuple de Jérusalem pour publier à leur adresse un affranchissement, afin que chacun renvoyât libre son esclave et chacun sa servante, hébreu ou hébreuse, et qu’il n’y eût personne qui retînt en servitude un Judéen son frère. Tous les chefs et tout le peuple, qui étaient entrés dans cet accord, consentirent à renvoyer libres chacun son esclave et chacun sa servante, pour ne plus les retenir en servitude ; ils y consentirent et les renvoyèrent. Mais ensuite ils changèrent d’avis et firent revenir les esclaves, hommes et femmes, qu’ils avaient renvoyés libres, et les obligèrent à redevenir esclaves et servantes. » (Jr 34, 8-11)

Dans le Second livre des Rois, c’est l’impie Achab, époux de Jézabel, roi d’Israël, qui prend la vigne de Naboth, un bien inaliénable, et va jusqu’à le tuer pour en obtenir la possession perpétuelle. Les prophètes avertissent ainsi contre ceux qui, au mépris de la loi du jubilé, ajoutent maison à maison et champ à champ, dans une logique d’accroissement perpétuel.

Il semble cependant que la pratique du jubilé ne survécut pas aux temps de l’exil (du Royaume du Nord, en 722, puis du Sud, en 586) : il n’en est pas fait mention dans le livre de Néhémie au moment où ce dernier parle de l’année sabbatique (Ne 10, 31). La notion dernier jubilé demeura cependant profondément inscrite dans les esprits, puisqu’elle est mentionnée à plusieurs reprises par l’historien Flavius Josèphe à la fin du Ier siècle de notre ère[2]Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, III, 12, 3.

Que veut dire « jubilé » ?

Au début de l’automne, lors de la cinquantième année, l’ouverture du jubilé était annoncée par le son d’une corne appelée yobel. Ce cor avait retenti en deux circonstances historiques exceptionnelles : au pied du Sinaï, pour appeler le peuple à s’approcher de la montagne de Dieu ; autour de Jéricho, lorsque les prêtres terminèrent le dernier tour autour de la ville.

Le mot qui signifiait sans doute initialement « bélier », l’animal dont la corne était employée comme instrument, en vint par une suite de métonymies à désigner la solennité que ce dernier annonçait, et même l’esprit qui y était associé, puisque Flavius Josèphe conclut que le mot signifie au Ier siècle « liberté ».

 

De l’Ancien au Nouveau Testament : prophétie et accomplissement

Le prophète Daniel annonçait dans un oracle célèbre[3]Dn 9, 24. l’affranchissement final d’Israël au terme de soixante-dix semaines, soit dix périodes jubilaires. Cette prophétie devait s’accomplir 490 ans après la reconstruction du Temple, lorsque le Seigneur y serait de retour.

Aux premiers temps de son ministère public, de passage dans la synagogue de Nazareth, Jésus fait la lecture du passage d’Isaïe 61 qui annonce la venue du messie en utilisant les termes qui se rapportent à l’année jubilaire : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par son onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres, et il m’a envoyé guérir ceux qui ont le cœur brisé, annoncer aux captifs la délivrance, aux aveugles le retour à la vue, pour rendre libres les opprimés, publier l’année favorable du Seigneur » (Lc 4, 18-19). Refermant le livre, Jésus ajoute : « Aujourd’hui vos oreilles ont entendu l’accomplissement de cet oracle » (Lc 4, 20). Il présente ainsi sa mission comme un accomplissement de la prophétie jubilaire : une année de grâce et de liberté, un affranchissement des liens du péché.

Conclusion

De la corne de bélier aux savants calculs d’hypothèque à la mode hébraïque, le concept de jubilé nous plonge dans les racines de notre foi et jusqu’au cœur des pratiques de l’Ancien Testament. Lorsque l’Église reprit l’institution jubilaire, elle n’entendit certes pas ressusciter toutes les modalités pratiques de la loi ancienne : elle en conserva l’esprit, tel que le Christ lui-même avait voulu le sanctifier en en faisant l’annonce prophétique de sa mission. En réalité, dans le monde du Nouveau Testament et pour le chrétien, chaque année et chaque jour sont une « année de grâce pour le Seigneur », un temps de libération et d’affranchissement : nous vivons désormais dans le temps de l’Esprit et de la Pentecôte[4]La fête juive de la Pentecôte, placée, justement le cinquantième jour après la Pâque, le départ de la servitude, avait une véritable tonalité jubilaire..

Références

Références
1 Les auteurs débattent sur le fait de savoir si l’année jubilaire était la cinquantième année, suivant donc immédiatement l’année sabbatique qui concluait la septième semaine, ou si les deux étaient identifiées.
2 Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, III, 12, 3.
3 Dn 9, 24.
4 La fête juive de la Pentecôte, placée, justement le cinquantième jour après la Pâque, le départ de la servitude, avait une véritable tonalité jubilaire.
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