Le film sorti en 2023 a largement fait polémique : le réalisateur et l’acteur principal serait proche de diverses théories complotistes, sans parler de la personnalité controversée dont l’histoire aurait inspiré le scénario, ou du soutien de Mel Gibson à la production. Malgré les critiques (nettement plus sévères en France qu’Outre-Atlantique), « Sound of Freedom » a été un large succès au box office, quasi inespéré (parmi les 20 premiers films de l’année 2023). Notre lecture, et quelques remarques…
Synopsis
« Tim » Ballard est un agent du département américain de la sûreté intérieure, membre d’une cellule de lutte contre la pédopornographie. À l’aide d’outils sophistiqués et selon des processus bien rôdés, il intervient pour prendre en flagrant délit les criminels et saisir leur matériel. Après plusieurs années de service et de nombreuses missions réussies, le policier pourrait s’estimer heureux des résultats de son travail. Pourtant Ballard, marié et père de 6 enfants, se sent profondément insatisfait : ayant arrêté plusieurs centaines d’individus impliqués dans les réseaux de pédocriminalité, il n’a jamais sauvé un seul enfant. Or il le sait, derrière chaque délit ou crime commis par ces personnes se trouvent des mineurs parfois très jeunes, arrachés à leurs parents et livrés à des réseaux d’esclavagisme d’une brutalité sans nom. N’y tenant plus (ce « boulot le démolit »), Ballard demande à son patron une semaine de congés pour enquêter sur un premier cas et, remontant la piste à partir d’un homme récemment pris en flagrant délit, il parvient à retrouver et à rendre à son père un garçon hondurien d’à peine huit ans. Mais « Timoteo » ne peut s’arrêter là : le petit Miguel a une sœur, Rocio, enlevée en même temps que lui par une mystérieuse américaine, son père et lui ont demandé de l’aide pour la retrouver. L’agent finira par quitter son poste et se consacrer totalement au sauvetage des enfants réduits en esclavage par les réseaux pédocriminels d’Amérique centrale, et parviendra grâce à l’aide providentielle de plusieurs personnages (policiers, anciens mafieux, jeune millionnaire) à monter une opération qui en libèrera plus d’une cinquantaine, toujours à la recherche de la petite hondurienne…
« Based on a true story »
« Sound of Freedom » prétend s’inspirer de faits réels : Tim Ballard est le vrai nom d’un agent fédéral américain qui a effectivement quitté son poste après avoir lutté plusieurs années contre la pédocriminalité, pour monter une organisation entièrement dédiée à la libération de ces enfants réduits en esclavage[1]L’organisation en question : « Operation Undergound Railroad », a récemment annoncé devoir se séparer de Ballard, président depuis la fondation, en raison d’accusations de violences et … Continue reading. À la fin du film apparaissent quelques images réelles, tournées pendant l’opération qui parvint effectivement à libérer plusieurs dizaines d’enfants, ou encore durant l’audition de Ballard devant le Sénat de Washington.
Les critiques ont souligné que le scénario avait été remanié et enjolivé, qu’une large partie de l’histoire (à la recherche de la petite Rocio avait été ajoutée)… Remarquons de notre côté que le film ne prétend pas à une reproduction exacte et documentaire des faits : l’intrigue liant la famille hondurienne avec l’agent américain, lui même époux et père, rajoute bien sûr de l’émotion et du suspense – on ne peut reprocher à des hommes de cinéma de faire du 7e art ! On peut noter cependant certaines simplifications, impasses ou manque de détails, sans doute pour les besoins du scénario, qui donnent l’impression de ficelles assez grosses, et d’un dénouement parfois très rapide : les trafiquants qui tombent sans méfiance dans les pièges montés par Ballard et les siens paraissent bien amateurs et se laissent prendre dans un filet aux mailles plutôt grossières (pour la première et la seconde opération, chez un groupuscule autonome colombien type « FARC »). On a du mal à comprendre qui sont les différents personnages évoluant autour de Ballard, leur origine et leur motivation. Certains éléments sténographiques assez stéréotypés peuvent prêter à sourire : le héros qui garde la bonne habitude du footing matinal même lorsqu’il vient se faire passer pour un riche gringo décadent et infiltrer les réseaux.
Les points forts : un film qui marque
Quoiqu’en disent les critiques (notamment en France, où les titres de la presse et les amalgames entre complotisme, dénonciation du trafic d’enfants ou combat pro-vie laissent songeur), « Sound of Freedom » est un film qui marque et qui laissera une trace. Au-delà des quelques maladresses de scénario, relevons d’abord la beauté des images, le jeu des enfants, le choix des musiques et l’hommage rendu à la dignité des populations pauvres d’Amérique centrale, que l’engagement du héros vient souligner avec beaucoup de respect. On notera aussi que les réalisateurs ont réussi à faire de « Sound of Freedom » un film vraiment « tous publics », évitant les images choquantes ou violentes, autour d’un sujet pourtant particulièrement difficile et dérangeant.
Du côté des dialogues, on ne prétendra pas y trouver une richesse extraordinaire, mais on retiendra tout de même le beau plaidoyer de Ballard en faveur de ces enfants abandonnés à l’horreur de la pire cruauté humaine : lorsque le héros essaie de convaincre le millionnaire Delgado d’assister son opération et parle de deux millions d’enfants enlevés chaque année, on doit certainement entendre le véritable cri du cœur de ceux qui ont eu le courage de vouloir, de réaliser et de distribuer ce film. Autre beau passage, d’une certaine profondeur humaine, le témoignage de l’ancien mafieux converti à sa sortie de prison par le regard enfantin d’une fillette prostituée de force : ayant senti une présence de Dieu en ce moment, parmi les pires de sa vie, « Vamprio » a décider d’œuvrer « pour faire disparaître la tristesse » et se consacre au rachat des enfants esclaves (le cigare et le panama en moins, on penserait presque à saint Jean de Matha ou saint Félix de Valois en leur temps).
Notre coup de cœur va au courage de tous ceux qui ont contribué à réaliser ce film et à en faire un vrai succès : le silence coupable dont notre monde entoure la glaçante et terrible réalité du trafic d’enfants, jusque dans nos sociétés modernes et aseptisées, n’est pas le moins grave des crimes que dénonce et combat « Sound of Freedom ». L’accusation facile de complotisme jetée à la face de presque de tous les intervenants (de l’acteur principal, Jim Caviezel – Jésus dans la Passion de Mel Gibson – au réalisateur et au producteur) masque au mieux la gêne d’une société largement permissive et dépravée à l’encontre de crimes dont l’horreur ne peut manquer de frapper, mais dont on sent au moins confusément qu’ils ne sont pas sans liens avec la licence généralisée des mœurs.
Parmi les graves phénomènes que « Sound of Freedom » contribue à dénoncer et combattre, on ne pourra manquer de citer le raz-de-marée de la pornographie en ligne, qui atteint si profondément les sociétés et les familles, et blesse très durablement les âmes. Bien sûr, les crimes combattus par Ballard et les siens paraissent être d’une nature plus terrible encore, puisqu’ils concernent des enfants : mais même alors certains – et c’est le cas dans le film – argumenteront du consentement libre des victimes d’un système oppresseur bien en place et générateur de profits faramineux. Mineures ou majeures, les victimes de la pornographie sont d’abord ces personnes soumises au même esclavage de ces réseaux criminels, que leurs blessures fragilisent pour la vie. Pour ceux qui en sont victimes du côté « consommateur », le pas est vite franchi (consciemment ou non d’ailleurs) de la pornographie à la pédocriminalité. « Sound of Freedom » rappelle douloureusement que ce « clic » si facile, qui tue en nous la vie de la grâce, nous coupe totalement de Dieu, nous isole de notre environnement, blesse profondément notre âme, marque durablement notre cerveau (les neurosciences le montrent), contribue aussi à l’asservissement de personnes humaines parfois (souvent) réduites en esclavage depuis leur plus jeune âge, avec si peu d’espoir de retrouver un jour « le son de la liberté ».