Cofondateur et premier supérieur de la Fraternité Saint-Pierre, l’abbé Josef Bisig a plusieurs fois rencontré le cardinal Ratzinger et le pape Benoît et a pu faire l’expérience de son fort attachement au monde traditionnel.
De nombreux commentaires et hommages des dernières semaines ont décrit le pape Benoît XVI comme un traditionaliste. Il ne l’était certainement pas, si l’on désigne par traditionalisme le fait de s’en tenir unilatéralement au passé de l’Église, antérieur au Concile Vatican II. Comme nous pouvons le constater dans de nombreuses publications, le pape Benoît avait cependant une compréhension très profonde de la tradition de l’Église. C’est pourquoi il était prédestiné à jouer le rôle d’homme de paix entre les traditionalistes de la Fraternité Saint-Pie-X et l’Église. Cela apparaît clairement dans le Motu proprio Ecclesia Dei du saint pape Jean-Paul II, sciemment inspiré par celui qui était alors préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le cardinal Joseph Ratzinger.
Celui-ci voit en effet la cause de la rupture de Monseigneur Lefebvre et de sa Fraternité dans une compréhension incomplète et contradictoire de la Tradition de l’Église. Incomplète car elle ignore l’approfondissement et le développement homogène de la Tradition. Contradictoire car elle néglige le rôle du Magistère vivant comme instrument nécessaire de la transmission du contenu de la Tradition[1]voir Motu proprio Ecclesia Dei, n°4.
Le même Motu proprio exhorte également les franges progressives de l’Église à la fidélité à la Tradition de l’Église : « Le résultat auquel a abouti le mouvement promu par Monseigneur. Lefebvre peut et doit être une occasion pour tous les fidèles catholiques de réfléchir sincèrement sur leur propre fidélité à la Tradition de l’Église, authentiquement interprétée par le Magistère ecclésiastique, ordinaire et extraordinaire, spécialement dans les Conciles œcuméniques, depuis Nicée jusqu’à Vatican II. »[2]Motu proprio Ecclesia Dei, n°5
Dans le même esprit, le cardinal Ratzinger appelait les fidèles, dans un discours prononcé en Juillet 1988 à Santiago du Chili, à ne pas faire du concile de Vatican II un « superdogme » qui abrogerait tous les dogmes antérieurs. Son expression célèbre : l’herméneutique de la continuité, selon laquelle doit être compris Vatican II, est une grande aide pour de nombreux traditionalistes, ainsi qu’une clé pour leur fidélité au Magistère vivant de l’Église.
Le cardinal Joseph Ratzinger, bientôt pape Benoît, n’a pas seulement posé les bases théoriques d’une possible réconciliation des traditionalistes avec l’Église : il a pris plusieurs mesures concrètes et effectives dans ce sens. Il faut mentionner en premier naturellement le Motu proprio Summorum Pontificum, permettant un enrichissement mutuel de l’ancien rite romain et de celui nouvellement réformé, selon l’esprit du principe éprouvé de l’Église : « ne rien innover hors de ce qui a été transmis ! » ( Nihil innovetur, nisi quod traditum est, attribué au pape Etienne Ier).
En tant que cofondateur et premier supérieur général de la Fraternité Saint-Pierre, je me permets de mentionner quelques événements qui montrent à quel point le cardinal Ratzinger puis le pape Benoît XVI eut à cœur cette intégration des traditionalistes dans la sainte Église de Dieu. Il se réjouissait en Juillet 1988, au sujet du « protocole d’accord » signé le 5 mai 1988 avec Monseigneur Lefebvre, en la fête de saint Pie V, qu’au moins quelques membres de la Fraternité Saint-Pie X aient saisi la main tendue de Rome. En une audience privée de dernière minute, le 5 juillet 1988, il nous rassurait par cette parole : « Monseigneur Lefebvre n’est pas le seul responsable de ce schisme », poursuivant : « nous savons que Dieu est tout puissant, et est capable de faire sortir le bien du mal. »
J’ai souvent pu expérimenter par la suite à quel point le cardinal Ratzinger tenait à notre fondation. Chaque fois que je suis venu à Rome, j’ai pu lui partager mes préoccupations. Il a aidé notre Fraternité, non seulement par ses bons conseils, mais souvent aussi en intervenant directement. Pour confirmer la fondation de notre Séminaire Saint-Pierre de Wigratzbad, il tint à y célébrer pour nous la messe pontificale de Pâques 1990. Je n’oublierai jamais ses mots étonnés au sortir de la sainte messe : « je ne me souvenais plus à quel point la messe pontificale traditionnelle (qu’il n’avait encore jamais célébrée comme évêque) est exaltante et solennelle. » Alors que nous cherchons en 1991 à étendre nos activités aux Etats-Unis pour répondre à de nombreuses demandes de fidèles, je ne parvenais pas à trouver, en dépit de nombreuses visites, un évêque qui fut le premier à nous y autoriser un apostolat régulier. Face à cette difficulté, je me suis finalement tourné vers le cardinal Ratzinger. Il n’hésita pas une seconde et me promis de parler en ce sens à son ami Monseigneur Grahman lors de sa prochaine visite à Dallas. Et quelques semaines plus tard nous pouvions y envoyer un prêtre. Je pourrais encore cité de nombreux autres événements qui montrent que notre société sacerdotale n’aurait guère survécu aux difficiles années de sa fondation sans le soutien efficace du cardinal Ratzinger.
J’ai eu l’honneur et la joie de rendre visite à notre bien aimé pape émérite le 23 juillet 2014 dans sa retraite du Vatican. Comme je m’ouvrais d’une inquiétude au sujet de la situation de l’Église, il m’encouragea encore à la confiance en Dieu : « Dieu est avec son Église, votre foi ne peut pas changer, Jésus-Christ est votre tête ! »