Un roman captivant qui plonge le lecteur dans une vision troublante d’un futur dystopique… La collection Ephata Littérature réédite en traduction française de poche « Lord of the World » (Le maître de la terre), le maître roman de Robert Hugh Benson. L’occasion de (re)découvrir un incontournable.
Robert Hugh Benson, Le maître de la terre (La crise des derniers temps), Ephata Littérature, 2024, 418p, 9€.
Synopsis
L’histoire se déroule dans un monde (futur) où les valeurs morales traditionnelles se sont effondrées, et où une nouvelle ère de sécularisme radical s’est imposée. Dans ce contexte, un homme charismatique, Julian Felsenburgh, émerge comme un leader mondial aux pouvoirs quasi surnaturels. Sa capacité à unir les nations sous une seule bannière de paix et de progrès technologique en fait rapidement une figure vénérée par des millions de personnes.
Mais derrière ce masque de paix, se cache un plan sinistre. Le héros de l’ouvrage, Percy Franklin, prêtre catholique, commence à percevoir la véritable nature de Felsenburgh et à comprendre que le monde est sur le point de sombrer dans une tyrannie spirituelle et morale sans précédent. Le roman explore les thèmes de la foi, de la lutte entre le bien et le mal, du pouvoir corrupteur des idéologies utopiques et de leur imprégnation discrète dans les sociétés modernes.
L’auteur : qui est Robert Hugh Benson ?
Né le 18 novembre 1871, Robert Hugh était le plus jeune fils d’Edward White Benson, tout simplement l’archevêque de Canterbury : la plus haute autorité de l’Église anglicane. Sa jeunesse fut donc profondément marquée par la position de sa famille aux carrefours intellectuels et religieux de l’Angleterre victorienne.
Benson suivit bien sûr la voie familiale en se destinant à une carrière ecclésiastique au sein de l’Église anglicane. Il y fut ordonné comme ministre en 1895. Cependant, au fil des années, il traversa une crise spirituelle majeure, provoquée et entretenue par ses lectures, ses rencontres, et ses réflexions sur la théologie. Il fut en particulier profondément touché par le mouvement de renouveau catholique et les écrits de figures telles que saint John Henry Newman (1801-1890), ancien pasteur anglican également converti au catholicisme.
En 1903, après une intense période de discernement et de lutte intérieure, Benson fit le choix radical de quitter l’anglicanisme pour embrasser le catholicisme. Compte tenu de la position éminente de sa famille dans l’Église anglicane, son choix ne manqua pas d’être largement controversé. Néanmoins, convaincu de la vérité de la foi catholique, il fut reçu dans l’Église en septembre 1903, puis ordonné prêtre en 1904. Il conserva tant bien que mal des liens avec sa famille : son père était décédé une quinzaine d’années auparavant mais sa mère eut beaucoup de difficulté à accepter et comprendre sa démarche, de même que ses frères Arthur et Edward, avec lesquelles les relations furent tendues un temps, avant de se pacifier.
Désormais prêtre catholique, Benson fut actif dans le ministère pastoral, mais c’est surtout par son œuvre littéraire qu’il exerça une influence majeure. Il écrivit de nombreux romans, essais et pièces de théâtre, souvent centrés sur des thèmes religieux, sociaux et historiques. Parmi ses œuvres les plus célèbres, Le Maître de la Terre (« Lord of the World », 1907) fut considéré comme prophétique dans son anticipation des régimes totalitaires du XXe siècle.
Outre ses œuvres de fiction, l’abbé Benson était un conférencier et un prédicateur très demandé. Il parcourut l’Angleterre et d’autres pays pour prêcher et enseigner, attirant de nombreux fidèles par sa passion et sa profondeur spirituelle.
La vie de Robert Hugh Benson fut malheureusement écourtée par la maladie. En 1914, il contracta une pneumonie alors qu’il séjournait à Salford, près de Manchester, où il était engagé dans des activités pastorales. Malgré les soins reçus, il rendit son âme au Père le 19 octobre 1914, à l’âge de 42 ans. Sa mort prématurée fut un choc pour ceux qui le connaissaient et appréciaient son travail, tant au sein de l’Église que dans le monde littéraire britannique.
Christ et Antéchrist dans Le maître de la terre
Julian Felsenburgh apparaît dans le roman comme un homme extraordinairement charismatique, doté d’une capacité presque surnaturelle à unir les nations et à instaurer une paix mondiale. Il incarne les espoirs et les aspirations de l’humanité, qui voit en lui un sauveur capable de résoudre les conflits et d’apporter un nouvel âge d’or. Sous cette apparence de bienveillance se cache cependant une figure sombre et manipulatrice. Felsenburgh, tout en prêchant la paix et l’unité, impose un régime totalitaire qui supprime toute opposition, notamment religieuse.
Dans la tradition chrétienne, l’Antéchrist est décrit comme un leader trompeur qui apparaîtra à la fin des temps, séduira les nations par des promesses de paix et de prospérité, et cherchera à usurper la place de Dieu. Il est souvent dépeint comme un faux messie, opposé à Jésus-Christ, qui tentera de détourner les fidèles de la vraie foi (voir les avertissements de saint Jean [1Jn 2, 18.22 ; 4, 3], saint Paul [2Th 2, 3-4] et la figure de la Bête dans l’Apocalypse [Ap 13]).
– Comme l’Antéchrist, Felsenburgh utilise son charme et sa rhétorique pour séduire les masses et instaurer son règne. Il est vu comme un sauveur, mais en réalité, il conduit l’humanité vers la destruction spirituelle. Le règne de cette « Bête » s’accomplit en unissant les nations sous un régime global, mais au prix de la destruction de la liberté religieuse et morale. Le vrai visage de Felsenburgh se dévoile lorsqu’il entreprend de persécuter l’Église catholique et toute forme de croyance religieuse, imposant une nouvelle idéologie qui remplace Dieu. Il présente d’autant plus les traits de l’Antéchrist qu’il reçoit bientôt les marques d’une véritable adoration : empreinte peut-être de la vision anglo-saxonne de Benson, qui peut surprendre les français, plus habitués à un athéisme qui entend montrer un visage “rationnel”. Felsenburgh apparaît ainsi comme une incarnation littéraire de l’Antéchrist, un personnage qui illustre les dangers d’un pouvoir mondial sans ancrage spirituel, où l’illusion d’une paix terrestre masque une réalité de contrôle totalitaire et d’oppression morale.
– L’abbé Percy Franklin est quant à lui un prêtre catholique, caractérisé par sa profonde spiritualité, son humilité et son dévouement total à Dieu. Tout au long du roman, Franklin incarne les vertus chrétiennes, s’opposant à la montée de Felsenburgh et au nouvel ordre mondial qu’il impose. Là où Felsenburgh séduit les masses par son charisme et sa promesse de paix terrestre, Franklin reste fidèle à l’Évangile, prêchant la vérité de la foi chrétienne même face à une persécution croissante. Face à la montée de l’Antéchrist-Felsenburg, Franklin présente une véritable figure christique. Comme Jésus-Christ, il est prêt à se sacrifier pour ses convictions et pour le bien de l’humanité. Il porte sur ses épaules le poids de la résistance spirituelle contre le mal, conscient que cela pourrait lui coûter la vie. Homme de prière et de pénitence, l’abbé Franklin s’astreint à des exercices spirituels et ascétiques très réguliers, au milieu d’un monde qui perd la tête. Benson insiste sur cette dimension en décrivant avec précision le mouvement intérieur de recueillement par lequel le jeune prêtre retrouve en lui-même la présence divine, en toutes circonstances. Il en vient à agir comme un guide spirituel pour ceux qui refusent de se soumettre à Felsenburgh. Il est un berger pour les croyants, les aidant à rester fidèles malgré les pressions extérieures, à l’image de Jésus guidant ses disciples. Là où Felsenburgh représente la corruption et la fausseté, Franklin incarne la vérité et la lumière. Il résiste non seulement au nouvel ordre politique, mais aussi à la tentation de compromettre sa foi, rappelant la résistance du Christ face aux tentations de Satan. Enfin, le prêtre porte un rôle rédempteur, non seulement pour les autres personnages, mais symboliquement pour l’humanité dans son ensemble. Sa lutte contre l’Antéchrist est une lutte pour l’âme du monde, une tentative de sauver ce qui peut l’être dans un temps de grande apostasie.
Là où Felsenburgh représente la fausse lumière et la séduction du mal, Franklin incarne la véritable lumière du Christ, un symbole de résistance spirituelle et de fidélité divine. Benson utilise ce contraste pour explorer les tensions entre le bien et le mal, la foi et le doute, dans un monde qui semble sombrer dans l’apostasie. Franklin, comme figure christique, rappelle aux lecteurs l’importance de la foi et du sacrifice dans la lutte contre les forces du mal.