L’année liturgique comporte deux dimanches « en rose » : le troisième de l’Avent et le deuxième du Carême. Autrefois, elle comportait également un dimanche « des roses », entre l’Ascension et la Pentecôte, où l’élément floral était mis à contribution de manière spectaculaire pour évoquer les mystères du salut.
Une pluie de roses au Panthéon
À Rome, jusqu’au XVe siècle, le dimanche après l’Ascension portait le nom de « Dimanche des roses », en référence à la cérémonie grandiose qui avait lieu dans l’antique basilique Sainte-Marie-des-Martyrs, mieux connue sous le nom de Panthéon. Le Pape lui-même y célébrait la messe et avait coutume d’y prononcer une homélie où il annonçait au peuple la venue prochaine du Saint-Esprit. Pour donner une forme plus sensible au thème qu’il développait et à la descente des langues de feu, tandis que le Pontife prêchait, on faisait tomber sur les fidèles, depuis l’ouverture centrale au centre de la coupole, une pluie de roses « en figure du Saint-Esprit[1]Cf. Cardinal Alfredo Ildefonso Schuster OSB, Liber Sacramentorum, Vromant & Co, Bruxelles, 1929, p. 35 ; 171 ». D’après certains historiens, une coutume semblable avait cours dans d’autres églises, où l’on jonchait le sol de pétales de roses en l’honneur de l’entrée triomphale du Christ au paradis[2]Cf. Dom Prosper Guéranger, L’année liturgique. Le temps pascal, t. III, Houdin, Poitiers, 1902, p. 189.
En vertu de cette double référence symbolique, ces « Pâques des roses », formaient donc la charnière liturgique entre la fête de l’Ascension et celle de la Pentecôte. Avec le temps, cependant, ce fut la fête de la Pentecôte elle-même qui reçut à Rome le nom de « Pâques des roses » ou de « Pâques roses[3]Cf. Schuster, op. cit., p. 35 », en sorte que, lorsque la pluie de roses du Panthéon fut rétablie à la fin du XXe siècle, elle fut fixée au dimanche de la Pentecôte.
De l’Ascension à la Pentecôte
On n’oubliera pas cependant que l’usage antique soulignait la continuité entre les deux événements de l’Ascension et de la Pentecôte, d’autant plus que l’articulation et, pour ainsi dire, la dépendance mutuelle des deux mystères est explicitement enseignée par Notre-Seigneur :
« Il vous est utile que je m’en aille ; car, si je ne m’en vais pas, le Paraclet ne viendra point à vous ; mais, si je m’en vais, je vous l’enverrai[4]Jn 16, 7. »
Saint Thomas nous aide à entrer dans l’intelligence de cette parole. L’Incarnation et la Pentecôte constituent en effet les « missions visibles » du Fils et du Saint-Esprit, par lesquelles nous sont manifestés les mystères invisibles :
« À toute chose, Dieu pourvoit selon le mode qui lui convient. Or, c’est le mode connaturel à l’homme, d’être conduit par le visible à l’invisible ; on l’a dit plus haut. Aussi a-t-il fallu manifester à l’homme, par des choses visibles, les mystères invisibles de Dieu[5]Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique [ci-dessous : ST], Ia, q. 43, art. 7, corpus. »
En l’occurrence, l’ordre des processions trinitaires – le Fils procédant du Père et le Saint-Esprit procédant du Père et du Fils – est en quelque manière manifesté par l’ordre des missions visibles – le Fils est envoyé par le Père et le Saint-Esprit est envoyé par le Père et le Fils :
« Il fallait en effet que la mission visible du Christ précède celle du Saint-Esprit ; car le Saint-Esprit manifeste le Fils, comme le Fils manifeste le Père[6]ib., ad 6m. »
Mais les missions visibles du Fils et du Saint-Esprit manifestent également leurs « missions invisibles » dans notre âme, où nous recevons les Personnes divines dans la grâce sanctifiante :
« De même donc que Dieu, par des créatures visibles présentant quelques signes révélateurs, s’est en quelque mesure montré aux hommes, lui et les processions éternelles de ses Personnes, ainsi convenait-il qu’à leur tour les missions invisibles de ces Personnes divines fussent manifestées par quelques créatures visibles[7]ib., corpus. »
À ce titre également, il convenait que la mission visible du Fils précédât celle du Saint-Esprit :
« Puisque le Saint-Esprit procède comme l’Amour, il lui appartient d’être le don de la sanctification ; le Fils étant principe du Saint-Esprit, il lui appartient d’être l’auteur de cette sanctification. Le Fils est donc visiblement envoyé comme auteur de la sanctification, tandis que le Saint-Esprit l’est comme signe de la sanctification[8]ib.. »
De la glorification du Fils à notre sanctification
Résumons. L’ordre chronologique entre l’Incarnation et la Pentecôte manifeste l’ordre éternel des processions du Fils et du Saint-Esprit ainsi que l’ordre de notre sanctification. L’Ascension, certes, ne marque pas la fin de l’Incarnation – car c’est bien en tant qu’homme, selon sa condition humaine, que le Christ est monté aux Cieux[9]ST, IIIa, q. 57, art. 2 – mais elle marque la fin de la mission visible du Fils. L’extinction du cierge pascal après le chant de l’évangile de l’Ascension en est le symbole. Elle marque également l’achèvement de l’exaltation du Fils, qui entre dans la Gloire du Ciel. Nous avons vu que c’est ce mystère que voulait honorer la coutume de répandre des pétales de roses sur le pavé des églises. La glorification du Fils est également le gage de la nôtre : « Le Christ […] a acquis à jamais pour lui et pour nous le droit et la dignité de résider dans le Ciel[10]ST, IIIa, q. 57, art. 6, ad 3m . » Et l’on comprend ainsi qu’elle soit immédiatement suivie de la mission visible du Saint-Esprit, « don » de la sanctification, que symbolise liturgiquement la pluie de roses de Sainte-Marie-des-Martyrs.
Le Ciel ouvert
Il n’est pas anodin que ce soit dans l’ancien Panthéon que se déroule cette cérémonie qui souligne la continuité entre l’Ascension et la Pentecôte. La coupole de cet ancien temple païen, dédié « à tous les dieux » par le consul Agrippa (Ier s. av. J-C) puis l’empereur Hadrien (IIe s. ap. J-C), a en effet la particularité d’être percée en son sommet d’un oculus – littéralement, un « œil » – central de 8,7 mètres de diamètre. L’historien des religions Mircea Eliade note que ce genre d’ouverture avait un sens typiquement religieux :
« Les plus anciens sanctuaires religieux étaient hypèthres[11]C’est-à-dire, dépourvus de toit. ou présentaient une ouverture dans le toit : c’était l’“œil du dôme”, symbolisant la rupture de niveaux, la communication avec le transcendant[12]Mircea Eliade, Le sacré et le profane, Gallimard, 1965, p. 52-53. »
L’oculus du Panthéon de Rome était donc comme la pierre d’attente et le témoin d’une aspiration que seule pouvait combler la véritable et définitive « ouverture » du Ciel par l’Ascension de Notre-Seigneur et la descente du Saint-Esprit à la Pentecôte.
Références[+]
↑1 | Cf. Cardinal Alfredo Ildefonso Schuster OSB, Liber Sacramentorum, Vromant & Co, Bruxelles, 1929, p. 35 ; 171 |
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↑2 | Cf. Dom Prosper Guéranger, L’année liturgique. Le temps pascal, t. III, Houdin, Poitiers, 1902, p. 189 |
↑3 | Cf. Schuster, op. cit., p. 35 |
↑4 | Jn 16, 7 |
↑5 | Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique [ci-dessous : ST], Ia, q. 43, art. 7, corpus |
↑6 | ib., ad 6m |
↑7 | ib., corpus |
↑8 | ib. |
↑9 | ST, IIIa, q. 57, art. 2 |
↑10 | ST, IIIa, q. 57, art. 6, ad 3m |
↑11 | C’est-à-dire, dépourvus de toit. |
↑12 | Mircea Eliade, Le sacré et le profane, Gallimard, 1965, p. 52-53 |