Qui dit combat, dit ennemis et amis… Notre ennemi c’est le diable, notre ami et Sauveur c’est le Christ, dans l’existence duquel ce combat s’est incarné, qui lutte aujourd’hui avec nous. Le combat spirituel ne consiste cependant pas à considérer la vie comme un champ de bataille mais à choisir le bien, avertit Don Louis-Hervé Guiny, longtemps formateur des séminaristes de la Communauté Saint-Martin. Après une introduction replaçant le combat spirituel dans la perspective de la vie chrétienne, il traite l’un après l’autre de différents défis, obstacles et aspects de cette lutte qui s’incarne dans l’existence de tous ceux qui cherchent Dieu.
Pourquoi faut-il combattre ? L’explication de la lutte se trouve dans la chute originelle : nous n’avons pas inventé le mal, mais nous pouvons en devenir complices. Face à lui, nous sommes appelés à nous engager dans le combat, pour quitter la tristesse du péché, de « n’être pas des saints » (Léon Bloy). L’auteur rappelle que Dieu ne nous tente pas mais nous aide à prendre conscience du combat, qui commence par un acte de confiance en lui et d’humilité : « soumettez-vous donc à Dieu, résistez au diable ! » (Jc 4, 7).
Du désespoir à l’orgueil : les maladies de l’âme
Première maladie spirituelle, la reine de toutes : la désespérance (chapitre 2). Selon l’interprétation c’est de cette atteinte qu’était affligé le paralytique de Bethesda (Jn 5), refusant toute perspective de guérison. Le désespoir est une passion relative à l’anticipation d’un mal à venir, souvent très subjective. La vision moderne est profondément imprégnée par la vision pessimiste de l’idéalisme allemand (Fichte), opposant le moi et le monde. La vision chrétienne de l’épreuve est différente : le grand combat d’Israël, dans l’Ancien Testament, c’est l’abandon à Dieu. La tentation, en conséquence, c’est le désespoir. Contre la désespérance, Don Louis-Hervé recommande de voir le combat comme un chemin, et non comme une fin, une opportunité pour retrouver la vie, demeurer fragiles mais debout.
Un des premiers domaines où se concrétise le combat spirituel est le champ des pensées (chapitre 3), que l’auteur recommande de nommer et de regarder en face, pour les assumer ou les rejeter librement. Une fois le premier mouvement analysé, on peut consentir ou renoncer : l’essentiel n’est pas le premier, mais le deuxième mouvement, affirmait sainte Bernadette. Le discernement intérieur, but de l’accompagnement spirituel, permet une meilleure connaissance, et donc une plus juste estime de soi. Face aux mauvaises pensées, les exprimer est la première étape pour les chasser et les relativiser. Au contraire, l’auteur recommande de nourrir des pensées de droiture et de charité, une patiente purification intérieure qui fait advenir l’homme nouveau. Il conseille aussi de ne pas provoquer l’afflux de pensées : limiter l’anticipation, les scénarios chimériques et sans fin ; laissons Dieu accompagner notre discernement et s’occuper du reste. Le vrai remède contre la dispersion des pensées et paradoxalement pour don Louis-Hervé le retour une vraie intériorité, matrice de bonnes pensées.
La racine de tout péché c’est l’orgueil (chapitre 4), qui nous prend au piège d’une illusion : celle d’être l’origine de tout, mauvaise réponse à un juste désir de gloire, que l’on cherche à accaparer pour soi. Or la recherche de la vraie gloire doit être orientée vers Dieu, qui en est la source. Enraciné dans la blessure originelle de l’amour, l’orgueil peut prendre plusieurs formes selon nos histoires de vie : vision concurrentielle de la vie, dureté et injustice envers soi et les autres, peur, manque d’amour et de confiance. Pour sortir du piège de l’illusion, don Louis-Hervé appelle à considérer son cœur avec lucidité, à savoir exprimer sa vulnérabilité, ses manques, à chercher la sainteté dans la confiance, le lâcher-prise, la sortie de soi, l’élargissement du regard.
De la paresse au combat du bien commun
Acolyte de l’orgueil, la paresse (chapitre 5), qui fait sombrer dans le cercle vicieux du désespoir. Pour saint Thomas d’Aquin, la vraie paresse, c’est l’acédie, la fatigue spirituelle, perte du goût et du désir, du sens de la vie. Lutter contre la paresse n’empêche certes pas de se reposer, au contraire : est paresseux celui qui refuse de vivre ce à quoi il est appelé. La paresse du quotidien, avec parfois une certaine complaisance, entraîne plus loin dans l’orgueil et la recherche de soi, rendant peu à peu indifférent au vrai bien. Le premier remède préconisé par l’auteur est le développement de la vie intérieure, car c’est Dieu qui suscite en nous le désir de la (vraie) Vie. Don Louis-Hervé appelle à pratiquer l’examen de gratitude et d’émerveillement, à se montrer fidèle à ses engagements, sa vocation, à entrer dans l’action en se reconnectant au concret, à sortir de la solitude pour cultiver des relations saines. Loin de l’excès de planification qui empêche de vivre le quotidien, un certain degré d’organisation et de préparation permet, contre la tendance paresseuse, d’assumer ses responsabilités, d’avancer avec humilité, à petits pas, contre ce manque de vitalité humaine et spirituelle.
Après la paresse, l’ouvrage traite de la jalousie (chapitre 6), qui naît d’un regard vicié sur le bien et les qualités de l’autre. Cette convoitise est le signe d’un amour abîmé ou incomplet, qui nie la singularité des talents reçus par chacun. Quand elle porte sur les choses matérielles, don Louis-Hervé invite à la gratitude pour les biens reçus ; quand elle porte sur l’être même, il conseille de chercher une racine psychologique. La jalousie peut en effet se fonder sur le sentiment d’une identité fragile, un vide intérieur que l’on cherche à masquer. La réponse à la question « qui suis-je » nous vient bien souvent d’un autre, dont la présence a pu nous manquer. Pour éviter la comparaison et la convoitise, l’auteur recommande de faire mémoire des moments de bénédiction, des paroles de confiance, des instants privilégiés de notre relation à Dieu, de vivre dans la gratitude, en appréciant les qualités et les talents donnés ou reçus pour faire grandir les autres. Plutôt que de chercher à posséder ceux des autres, il nous faut développer les nôtres, avec la conviction qu’ils nous viennent de Dieu et sont donnés pour servir la communauté, qui nous fait prendre conscience que l’on n’a pas besoin d’avoir les qualités de tout le monde.
Cette conscience d’appartenir à une communauté doit conduire notre conscience à s’élargir, à opérer un discernement plus fin dans l’ordre social. À l’image de Jésus, nous sommes appelés à passer du « je » au « nous », à prendre toujours plus en compte le combat du bien commun (chapitre 7). À quel bien commun sommes-nous appelés ? Ce combat demande un certain pragmatisme, la capacité de faire des choix en fonction de ses désirs, de ses talents, des besoins qui se présentent. Cet esprit de bien commun exige naturellement au fondement un sentiment d’appartenance : comment parle-t-on de la famille, de la société, de l’Église ?
La recherche du bien commun amène à ajuster et pacifier notre rapport à la terre et au réel, à la recherche d’une sobriété heureuse (chapitre 8), qui donne la joie parce qu’elle évite la dispersion et garde notre âme en communion avec Dieu.
Le combat intelligent de la chasteté
Comment parler aujourd’hui de chasteté ? Ce combat est un combat intelligent (chapitre 9) : si l’Église appelle à vivre la chasteté, rappelle don Louis-Hervé, c’est parce qu’il y va de notre intérêt. Elle est une voie de plénitude et de bonheur intense, réalisant à la fois l’idéal du bien, du vrai et du beau, répondant au désir profond du cœur humain. La chasteté ne consiste pas à étouffer ses désirs mais à les éduquer, les faire grandir avec justesse et noblesse, en faisant confiance à Dieu. En ce domaine en particulier, vices et vertu : se libérer de la masturbation peut ouvrir puissamment à la réceptivité et à l’émerveillement. Devenir maître de soi, c’est acquérir la liberté qui ouvre au vrai bonheur. Dieu est ainsi le plus chaste des êtres, marquant envers toutes les créatures un respect infini. Au contraire, renoncer à la chasteté chosifie autrui, soumet à la tristesse, à la frustration et à la haine de soi. Dans le couple, la chasteté permet la vraie rencontre, elle rayonne sur soi et sur l’autre. La sexualité ne peut être vécue en vérité que dans ce cadre : elle sera illuminée par la chasteté ou bassement sordide. L’exemple de nombreux saints aux conversions éclatantes rappelle qu’il ne faut jamais abdiquer mais combattre avec humilité, avec l’aide de Dieu et de Notre-Dame, en demeurant conscients de nos manques de chasteté et de pureté, gardant à l’esprit que cette recherche est pour toute la vie.
Des combats d’une autre nature
Notre époque ne se prête pas aux grandes décisions, entre angoisse paralysante jusqu’au refus d’obstacle et activisme tourbillonnant : au milieu de possibilités infinies, par peur de l’échec souvent, l’engagement est un vrai combat de liberté (chapitre 10). Et pourtant il rend profondément heureux : se donner rend libre. Le combat réside dans l’exercice des biens spirituels de la liberté : vérité et responsabilité. Don Louis-Hervé donne plusieurs critères de discernement éclairant notre capacité d’engagement : mes choix sont-ils les miens ? Quelles sont mes peurs ? Mon entourage est-il sain ? Suis-je à l’écoute ? Nos décisions auront d’autant plus de force qu’elles seront vraiment libres. Face au double écueil de l’orgueil et du désespoir, il rappelle l’importance de la prière (confier à Dieu mes grandes aspirations), de la miséricorde (le pardon raisonne face à la démesure). Le combat de l’engagement, c’est aussi d’en accepter la durée : face à la peur du « toujours », bientôt remplacée par la lassitude, l’auteur recommande de chercher le « chaque jour », l’« aujourd’hui » à ne jamais repousser pour faire toujours mieux. Il exhorte à développer deux « petites vertus » qui aident à vivre cette intensité d’amour du quotidien : la gratitude (encore) et la délicatesse.
Le combat peut parfois prendre une nature toute autre, celle de la maladie (chapitre 11), qui oblige à s’arrêter, qui fait tomber les masques, démontre malgré nous notre vulnérabilité. La première difficulté réside souvent dans une certaine culpabilité : notre relecture de vie doit laisser la place à la bonté de Dieu, ainsi qu’au consentement à nos propres limites. La vraie réponse à la vulnérabilité est l’amour : se laisser aimer, servir, sauver. L’amour conduit à quitter son vieil homme pour découvrir le nouveau, à laisser couler la vie pour faire, même à contrecœur, un acte de confiance en Dieu. La souffrance permet parfois ainsi d’expérimenter une force nouvelle, qui nous transcende. La tentation serait au contraire de s’endurcir, car la souffrance nous humilie : don Louis-Hervé appelle à surmonter la peur de la mort, de la douleur, des séquelles, la tentation du désespoir, pour consentir, accueillir de nouveaux projets : regarder le Christ permet de saisir que la croix est un passage. La prière aide le cœur à recevoir, à se reconnaître dépendant, se laisser aimer : sa puissance nous montre que quelque chose de plus grand se joue sous chaque maladie, qui est aussi une occasion d’exercice de l’espérance, du désir du ciel, de la foi, de l’abandon.
Le dernier combat souvent mais pas le moindre, est celui du pardon (chapitre 12) : un choix à ne pas considérer comme un devoir mais comme une douceur à laquelle on s’abandonne. Le pardon est une grâce reçue de Dieu pour aller jusqu’au bout, à l’impardonnable, face auquel on ne peut penser se débrouiller seul, sous peine de demeurer dans la rancœur. Le pardon vrai n’est pas un oubli du vécu (comme si de rien n’était) mais une guérison de la mémoire, non par volontarisme mais par retour sur l’intériorité. Il n’implique pas nécessairement réconciliation ni dépendance de l’autre, ni même excuse du mal objectif. Mais le pardon est occasion de conversion intérieure, d’exercice de douceur, d’humilité : en lui nous laissons Jésus nous soigner de l’intérieur et nous rendre plus semblable au Père des miséricordes.