La messe atteint son point culminant dans le renouvellement du sacrifice, le moment le plus solennel de la consécration. Nous touchons au moment solennel du sacrifice.
Ces articles sont extraits d’une série plus large publiée par le père Emmanuel-Marie André, du Mesnil-Saint-Loup, dans le Bulletin de Notre-Dame de la Sainte Espérance (numéros de mars 1880 à février 1881).
Retrouvez ici tous les articles de la série (sept commentaires de la liturgie de la messe).
Jusqu’alors, le prêtre s’était mis en communication fréquente avec l’assemblée. Désormais, il entre dans le silence, dans le secret de Dieu, comme Moïse dans la nuée, comme Aaron dans le Saint des Saints.
Toutefois, il est plus uni que jamais à l’assemblée des fidèles ; il ne parle jamais qu’en leur nom collectif. Comme Aaron, quand il entrait dans le sanctuaire, portait sur ses épaules et sur sa poitrine les noms des enfants d’Israël gravés sur des pierres précieuses, ainsi le prêtre porte-t-il devant Dieu toute l’assemblée des fidèles, il les porte sur ses épaules par le devoir de sa charge, il les porte dans son cœur par la douce loi de la charité.
Prières avant la consécration
Le prêtre commence par lever les yeux au ciel, les bras étendus, puis il les abaisse sur l’autel en joignant les mains et en s’inclinant profondément, et il supplie Dieu, comme un Père très clément, d’agréer, par son Fils Jésus-Christ, les dons, les présents, les sacrifices immaculés qui reposent sur l’autel, et de les agréer pour toute l’Église catholique répandue par toute la terre, et spécialement pour le pape et pour le corps épiscopal en qui consiste l’unité de cette Église.
Il nomme l’oblation du pain et du vin des dons, parce que ces fruits de la terre nous sont donnés de Dieu ; des présents, parce que nous les offrons à Dieu ; des sacrifices immaculés, parce qu’ils vont être changés en l’adorable victime du calvaire. Avant de les nommer, il baise l’autel ; en les nommant, il les marque du signe de la croix, dont la vertu va se répandre sur eux.
Après cet acte de charité qui s’étend à toute l’Église et à toute la terre, le prêtre, dans la prière qui suit, dirige spécialement son intention vers ceux pour lesquels il offre le sacrifice, vers ceux aussi qui y assistent ; et il embrasse tous leurs besoins spirituels et corporels, montrant ainsi que tous les biens nous viennent avec Jésus immolé.
Ensuite, il élève ses regards vers l’Église du Ciel ; il s’y unit par une fervente intention, et spécialement à la sainte Vierge, aux douze apôtres, et à douze martyrs des premiers siècles. Il ne mentionne pas les anges, parce que la victime qui va être immolée est une victime humaine. Il mentionne les apôtres et les martyrs, parce que l’effusion du sang les a rendus plus particulièrement victimes avec Jésus-Christ. Il récite vingt-quatre noms ; ce nombre est consacré par la vision de saint Jean qui aperçut dans le Ciel, autour du trône et de l’autel de l’Agneau, vingt-quatre personnages vénérables vêtus de blanc, ceints de couronnes d’or, ayant à la main des harpes et des vases de parfum (Ap 4).
Après ces prières, le prêtre étend les mains sur les dons qui vont être offerts. Par cette imposition des mains, rite obligé des sacrifices, il s’unit, lui et toute l’assemblée, à l’oblation qui est faite, il se dévoue avec elle. Le sens de la prière qui accompagne cette cérémonie est que désormais l’oblation est chargée des vœux de toute l’assemblée. Notre Seigneur, en se substituant au pain et au vin, se présente donc à son Père comme intercesseur, avec le fardeau de toutes nos âmes.
Il reste à demander à Dieu cette substitution ineffable qui donne une valeur infinie à l’oblation de l’humanité. Le prêtre la demande, en multipliant les signes de croix sur l’oblation ; il demande que Dieu daigne la bénir, en prendre acte, la ratifier, la rendre spirituelle et agréable à ses yeux, en sorte qu’elle soit faite, pour nous, le corps et le sang de Jésus-Christ.
La consécration
Alors, revêtant la personne même de Jésus-Christ, et faisant ce qu’il a fait la veille de sa passion, le prêtre opère la consécration. Le grand mystère est consommé. Il n’y a plus sur l’autel que le corps et le sang de Jésus-Christ.
La victime du calvaire est là, comme dit Bossuet, sous des signes de mort. Saint Jean vit au Ciel l’agneau debout et comme immolé (Ap 5, 6). Le même agneau, sur l’autel de la terre, porte, quoique vivant, les marques de l’immolation. Il se présente à Dieu, comme si son corps et son sang étaient réellement séparés l’un de l’autre.
Il y a même mieux qu’une simple représentation de l’immolation sanglante du calvaire. L’immolation de Notre Seigneur sur nos autels est actuelle, en ce sens que la force des paroles de la consécration tend à mettre le corps tout seul sous l’espèce du pain, le sang tout seul sous l’espèce du vin. Ces paroles sont un glaive mystique ; elles produiraient réellement la séparation, si elle pouvait se produire. Supposez, dit un grand théologien, qu’une victime reste miraculeusement vivante, tout en ayant le cœur percé, et le sang répandu : vous aurez quelque idée du sacrifice de nos autels.
Sous cette image de mort, Notre Seigneur est notre intercesseur et notre avocat, parce que, étant notre victime, il est chargé de nos vœux et de nos prières ; il fait corps avec nous qui sommes ses fidèles, et nous formons une même oblation avec lui. Cette considération nous ouvrira le sens des prières qui suivent la consécration.
Prières après la consécration
Dans la première de ces prières, le prêtre, en union avec le peuple, en mémoire des mystères de Notre Seigneur, offre à la glorieuse majesté de Dieu l’hostie qu’elle-même nous a donnée ; il l’élève pour ainsi dire spirituellement devant lui, et la présente à ses regards très saints. Elle est pour lui une hostie pure, sainte, immaculée, un parfait sacrifice ; elle est en même temps, pour nous, le pain de la vie éternelle, le calice du perpétuel salut, un aliment complet et tout divin. Le prêtre accompagne cette prière de plusieurs signes de croix sur les dons sacrés, chose admirable ! Représentant de Notre Seigneur, il bénit l’oblation, qui est Notre Seigneur lui-même, afin qu’elle devienne pour le peuple une fontaine de bénédictions célestes.
Dans une seconde prière, le prêtre demande à Dieu qu’il daigne arrêter ses regards sur l’oblation qui lui est présentée, et l’agréer, comme il agréa les sacrifices d’Abel, d’Abraham, de Melchisédech. Il demande, selon Bossuet, « que comme les dons sont agréables par eux-mêmes (puisqu’ils contiennent Jésus-Christ), les prières qu’on offre avec eux, et pour ainsi dire sur eux, le soient aussi, comme l’étaient celles d’Abel et des autres saints qui ont levé à Dieu des mains innocentes, et qui lui ont offert leurs dons avec une conscience pure ».
Mais il ne suffit pas que Dieu regarde du haut du Ciel l’oblation sacrée, il faut encore qu’elle soit transportée sur l’autel du Ciel, ce qui marque une acceptation complète[1]« Porter jusqu’à Dieu nos oblations, dit Bossuet, les élever jusqu’au Ciel où il les reçoive, c’est les lui présenter de telle sorte et avec une conscience si pure qu’elles lui soient … Continue reading. C’est l’objet d’une troisième prière, toute mystérieuse, dont voici à peu près le sens. Notre Seigneur descend sur nos autels, pour nous prendre avec lui, pour former de nous et de lui une même oblation ; nous demandons que cette oblation soit transportée sur l’autel du ciel, c’est-à-dire unie à l’oblation que Notre Seigneur y fait de lui-même et de toute la cité céleste, en sorte que la première ne soit pas moins agréable à Dieu que la seconde. Elle ne l’est pas moins du côté de Jésus-Christ ; nous demandons qu’elle soit agréée de même en tant que nous y sommes renfermés, et nous le demandons si instamment que nous prions Dieu d’ordonner qu’il en soit ainsi, jube haec perferri. Enfin, pour obtenir cette grâce, nous employons l’intervention de toute la cité céleste, et en particulier du saint ange qui, selon saint Jean, est chargé de présenter à Dieu les prières des saints (Ap 8).
Cette prière, faite proprement pour ceux qui participent actuellement au sacrifice, est complétée par les deux suivantes, dont la première étend les effets du sacrifice aux âmes souffrantes du purgatoire, avec mention des défunts pour lesquels il est offert ; la seconde les applique spécialement aux prêtres, qui ont d’autant plus besoin d’être purifiés qu’ils intercèdent pour les péchés du peuple. Dans cette supplication sont mentionnés plusieurs saints et saintes, couronnés du martyre, dont les noms n’avaient pu trouver place parmi les vingt-quatre personnages énumérés plus haut.
La petite élévation
Toute cette série de prières se termine par une élévation simultanée du calice et de l’hostie, comme ne faisant qu’un seul et même sacrifice. Elle est précédée de signes de croix, tracés avec la main sur l’oblation, puis avec l’hostie elle-même au-dedans du calice et au-dehors. En élevant ainsi les dons sacrés, le prêtre marque, par un signe extérieur, l’offrande spirituelle qu’il en a faite ; il semble qu’il veuille envoyer jusqu’à Dieu le corps et le sang de son Fils. Durant toute cette action, il contemple tour à tour Notre Seigneur comme Verbe éternel, par qui le Père ne cesse de produire, de sanctifier, de vivifier, de bénir les oblations des hommes, puis comme Verbe Incarné, comme étant lui-même l’oblation des hommes, par laquelle, avec laquelle, en laquelle revient à Dieu le Père, en l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire.
Et c’est ainsi que se termine le canon de la messe. Puissent nos lecteurs obtenir de Dieu l’intelligence de ces admirables prières !
Retrouvez en un grand détail les gestes et paroles de cette partie de la messe avec la vidéo produite par la Fraternité Saint-Pierre pour l’apprentissage du rit traditionnel.
Références[+]
↑1 | « Porter jusqu’à Dieu nos oblations, dit Bossuet, les élever jusqu’au Ciel où il les reçoive, c’est les lui présenter de telle sorte et avec une conscience si pure qu’elles lui soient agréables. » Cette façon de parler est tirée du rite des anciens sacrifices. Nous avons vu qu’on élevait la victime ; c’était en quelque sorte l’envoyer à Dieu, et le prier par cette action de la recevoir ; ce qui paraissait plus sensible dans les holocaustes, dont la fumée, se portant en haut, s’allait mêler avec les nues, et semblait vouloir s’élever jusqu’au trône de Dieu. Les prières qu’on y joignait semblaient aussi aller avec elle, ce qui faisait dire à David : que ma prière, ô Seigneur, soit dirigée vers vous comme l’encens ! c’est-à-dire, comme la fumée de la victime brûlée, car c’est ici ce que veut dire le mot incensum. |
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