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Halloween : fête chrétienne ?

Les origines de la fête d’Halloween sont aujourd’hui l’objet d’un débat dont les enjeux dépassent l’horizon historique. Halloween est-elle une fête chrétienne, christianisée, christianisable ? Que faut-il en penser ? Nous donnons ici quelques principes et éléments historiques qui permettront à chacun de se faire une idée et de décider de sa manière de célébrer les temps de début novembre. 

Les faits et réflexions dont nous faisons état ici sont issus de nos recherches sur plusieurs sources historiques, principalement aux États-Unis. 

D’où vient Halloween ?

Originaire des Îles Britanniques, célébrée dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, Halloween (« Hallows’Eve » : la veille des saints – vigile de la Toussaint) est nommée par rapport à la fête de la Toussaint. Pour certains, elle serait cependant bien plus ancienne, puisqu’elle remonterait à la célébration païenne de « Samain », nouvel an celte du début de l’automne. Durant ce temps d’avancée des ténèbres et de ralentissement de la vie de la nature, les anciens Celtes et Gaëls avaient pris l’habitude de se travestir et d’allumer de grands feux de joie pour repousser les fantômes et autres esprits malfaisants, comme peut-être aussi pour conjurer leur peur de la mort. La fête semble notamment persister dans la tradition irlandaise (en gaélique « Oiche Shamna »), où l’on retrouve notamment la figure de Jack-o’-lantern (grimaçante citrouille d’Halloween). On va alors parfois jusqu’à attribuer le déplacement de la fête de la Toussaint à la volonté de recouvrir ces festivités païennes. Il semble pourtant que la fête de Samain, évidemment inconnue à Rome, soit alors largement tombée en désuétude jusque dans les régions celtiques, dont le calendrier était par ailleurs lunaire (et dont les dates ne correspondaient pas strictement à celles du calendrier solaire julien). 

Quant à la Toussaint en elle-même, sa célébration remonte au moins au IVe siècle, quand les communautés chrétiennes de l’Empire Romain établirent un jour de mémoire pour tous les martyrs. D’abord fixé au 13 mai, dans l’Église d’Orient et d’Occident, il fut transféré par le pape Grégoire IV au 1er novembre en même temps que la célébration de la dédicace de l’église romaine où étaient vénérés ces martyrs : le Panthéon. 

Quelques siècles plus tard, saint Odilon de Cluny (962-1049) fit ajouter pour le lendemain (2 novembre) une commémoraison liturgique des fidèles défunts : un jour de prière exclusivement tourné vers les âmes du purgatoire. 

Aux époques qui suivirent, plusieurs traditions régionales s’ajoutèrent ou interférèrent avec ces célébrations : les danses macabres conjurant au XIVe siècle en France l’extrême mortalité due à l’épidémie de peste bubonique, les « soul cakes » (« gâteaux des âmes ») réclamés en Angleterre par des enfants visitant les maisons et échangés contre des prières pour les défunts des familles. 

Du 31 octobre au 2 novembre, ce sont donc trois journées aux tonalités différentes mais complémentaires qui accompagnaient l’entrée dans l’automne, comme un « triduum » (appelé en anglais « Hallowtide ») rappelant chaque année à l’Église la réalité des fins dernières. 

La recrudescence de popularité d’Halloween serait due fin XIXe siècle aux populations immigrées aux États-Unis, qui y recommencèrent à célébrer cette période de l’année en mêlant leurs diverses traditions d’origine : feux de joie, visites des maisons, costumes et parades… Dans l’Amérique sécularisée du XXe siècle, la signification religieuse de ces traditions a été oubliée, et la célébration en elle-même a persisté comme une occasion commerciale, voire été récupérée par des groupes occultistes ou néopaïens, dont certains ont été jusqu’à ressusciter la fête de Samain, dont ils ont fait la plus grande de leur célébrations (c’est le cas des Wiccans, mouvement néo-païen nord-américain, qui mêle druidisme, chamanisme et mythologies antiques). 

Célébrer les défunts : de la loi de nature à la loi de la grâce

Le Samain des Celtes, comme bien d’autres célébrations culturelles et cultuelles en l’honneur des défunts, était célébrée bien avant la Toussaint, avant même l’apparition du christianisme. Ces fêtes avaient souvent lieu autour de l’automne, à la fin des moissons et avant le début de l’hiver. À considérer strictement la loi de nature, il faut leur reconnaître un caractère profondément humain. La nature humaine est inclinée par elle-même à des passions de peur, de désir, d’espoir, qui l’orientent vers la paix, la joie, l’amour, qui lui font craindre la souffrance, la mort, le jugement… Les hommes et femmes s’interrogent et s’inquiètent spontanément du sort de ceux qu’ils ont aimés (ou haïs) et perdus : ils se demandent s’ils se souviennent d’eux dans l’au-delà, s’ils peuvent leur être en quelque manière encore présents, les aider, ou au contraire leur faire du mal, se venger ? Ces questions profondément humaines trouvent une résonance très forte en Automne, quand la terre a donné ses derniers fruits (châtaignes et citrouilles notamment) et que les feuilles tombent des arbres : au moment où le monde semble chaque année mourir de nouveau, nos pensées vont vers les fins dernières et l’au-delà. Avant la Révélation chrétienne, cette aspiration n’était pas explicitement illuminée ou orientée par la grâce, et les hommes essayèrent d’apaiser, ou au contraire d’effrayer les esprits des morts par des cadeaux, des célébrations, pour repousser leur présence ou se la rendre propice. Il ne s’agissait alors pas de prier pour les défunts, dont le sort était très incertain et souvent envisagé dans une vision fataliste, mais de conjurer une inquiétude et une menace pesante. 

Dans la loi de la grâce, illuminée par la Révélation du Christ, les fins dernières prennent une toute autre orientation. Ceux qui soutiennent que le pape Grégoire IV aurait entériné le transfert de la fête de tous les martyrs et saints vers le début de novembre pour christianiser certaines de ces aspirations païennes n’ont sans doute pas entièrement tort. Halloween et la Toussaint ne sont certainement pas une simple récupération de Samain, mais représentent un exemple de la grande compréhension avec laquelle l’Église a reçu et transfiguré les orientations fondamentales, justes mais souvent mal orientées, de la nature humaine. Grégoire IV ne connaissait sans doute pas (au moins directement) la fête de Samain, mais plus probablement leur pendant latin des Feralia, ancienne fête romaine en l’honneur des défunts, liées à la célébration de la déesse Pomona, protectrice des arbres et des fruits. 

Le transfert de la Toussaint vers le 1er novembre est donc plutôt le signe d’une profonde connaissance de la personne humaine : l’Église reconnaît, assume et « baptise » les questionnements radicaux de l’homme, en les orientant vers la recherche de la grâce. Le 1er et le 2 novembre répondent ainsi d’une manière complémentaire aux questions que se posaient les anciens druides dansant autour des feux de joies de Samain. Avec la Toussaint et la commémoraison des défunts, la liturgie apporte la réponse que les festivités païennes ne pouvaient que partiellement donner : au lieu d’en rester au sentiment, exacerbé par les rites ancestraux (feux, danses, costumes, parades), l’Église apaise en profondeur les craintes de la nature, en les illuminant par la lumière de la foi. 

Halloween aujourd’hui : faut-il avoir peur de la citrouille ? 

Qu’en est-il aujourd’hui d’Halloween ? Comprenons bien que cette célébration n’est qu’un élément (le premier) d’un triptyque. Halloween est la vigile, sorte de veillée d’armes ou de jour de préparation, de la grande fête de tous les saints, allégresse du Ciel et des bienheureux sans nombre, qui se prolonge dans la commémoraison du 2 novembre, empreinte de gravité et de paix, tournée vers la prière pour les âmes du Purgatoire. La principale fête n’est bien sûr par Halloween mais la Toussaint. 

Le premier jour, cette vigile dont la tonalité rappelle le vieux monde païen, où les ténèbres étaient si présentes et oppressantes, avant l’irruption et l’illumination de la grâce, où la recherche maladroite de la vérité passait parfois par les feux de joie et les parades grotesques, montre que la peur doit disparaître devant l’espérance et la joie du ciel, qui éclatent au jour de la fête. La vraie raison de la vigile se trouve dans la Toussaint. Si l’on oublie cette orientation profonde et si traditionnelle, alors Halloween n’est plus qu’une fête commerciale (que certains font désormais durer de septembre à novembre, comme une transition entre l’été et Noël), voire une célébration occultiste.
Les chrétiens ne peuvent donc pas avoir peur d’Halloween, puisqu’elle n’est que la première partie de ce « triduum » des fins dernières, qui culmine à la Toussaint et aboutit le 2 novembre dans la prière pour les défunts. L’ensemble de ces célébrations nous rappelle des vérités essentielles de la foi : Dieu nous appelle tous à être des saints, la mort est une violence pour notre nature appelée par grâce à l’éternité, mais elle ne détruit pas tous les liens de communion avec ceux que nous avons aimés de vraie charité, auxquels nous serons réunis un jour dans la gloire du Ciel. Dans un monde où la mort est si souvent occultée et crainte, le rappel est salutaire : il a la vigueur d’un memento mori, mais s’accomplit dans l’espérance de la jubilation éternelle. 

Comment un chrétien peut et doit-il vivre ce temps ? Le principe essentiel doit être rappelé envers et contre tous : la vigile est moins importante que la fête, qui lui donne tout son sens. Il s’agit d’une célébration de l’espérance chrétienne, qui nous fait passer de la gravité et de la fragilité de notre condition terrestre à la joie de la communion des saints. Au tournant de l’automne, l’Église nous rappelle que l’envers des ténèbres est toujours lumineux. 

Célébrer Halloween, ce n’est donc pas fêter ou conjurer la mort, c’est célébrer avant tout la vie transfigurée : vita mutatur, non tollitur[1]“Pour vos fidèles, Seigneur, la vie est changée, non pas enlevée” (Préface des Défunts, Missel Romain)., chantera le prêtre dans la préface du 2 novembre. Ce temps peut être l’occasion de célébrer les saints, de connaître mieux leurs vies, de prendre le temps de découvrir tous les saints patrons de nos familles. Ce temps est aussi celui de la prière pour les défunts, que l’Église recommande en particulier pour les premiers jours du mois de novembre, où une indulgence plénière est attachée à la visite d’un cimetière. 

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Références

Références
1 “Pour vos fidèles, Seigneur, la vie est changée, non pas enlevée” (Préface des Défunts, Missel Romain).
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