La Providence a voulu qu’aucune trace archéologique ne nous parvienne sur les trente et quelques années de vie terrestre du Christ ; de sa sainte Passion en revanche, nous avons hérité un grand nombre de reliques insignes. Comment ne pas y voir une invitation divine à mieux connaître ces objets sacrés, pour contempler à partir d’eux l’immense amour du Fils de Dieu donnant sa vie dans l’abaissement le plus extrême ? Nous revenons aujourd’hui sur les reliques de la vraie croix.
Épouse de l’empereur Constance Chlore (régnant de 293 à 305), Flavia Iulia Helena Augusta (255-330), alias sainte Hélène, fut la mère de Constantin le Grand. On lui attribue l’invention, c’est à dire la découverte, de la vraie croix.
Jérusalem avait été totalement détruite une première fois en 70 après Jésus-Christ, lorsque les soldats de Titus réprimèrent l’insurrection nationaliste juive. Une seconde révolte qui éclata en 132 fut l’occasion pour l’empereur Hadrien de raser plus radicalement encore la ville sainte et d’en faire une cité gréco-romaine dédiée à Jupiter : Aelia Capitolina. Le souvenir des saints événements de la vie et de la Passion du Sauveur, accomplis à Jérusalem, ne s’effacèrent toutefois pas des mémoires chrétiennes.
Sainte Hélène à Jérusalem
Ayant déclaré le christianisme religio licita en 313, Constantin décida de mettre au jour le lieu des souffrances et de la mort de Jésus, pour y ériger un sanctuaire. Sa mère Hélène partit donc pour la Terre Sainte avec une équipe de fouilles : son voyage nous est connu par de nombreux historiens et témoins des quatrième et cinquième siècles, notamment Eusèbe de Césarée, Rufin d’Aquilée, Théodoret de Cyr… Alors que l’impératrice supervisait les excavations autour du lieu que la tradition avait attaché au Calvaire, ses ouvriers sortirent de terre trois croix de bois ainsi que trois clous, qui gisaient au fond d’une vieille cuve à quelques mètres du lieu supposé de la crucifixion. Comment Hélène reconnut-elle la vraie croix du Christ ? Les témoins ont du mal à s’accorder : selon saint Ambroise, ce serait simplement grâce au titulus (l’écriteau indiquant le nom du condamné et le motif de sa condamnation : « Jésus le nazaréen, roi des Juifs ») ; Rufin d’Aquilée raconte quant à lui que l’évêque Macaire fit amener sur une civière une pauvre mourante, qui demeura grabataire au contact des deux premières croix, mais revint miraculeusement à la santé lorsqu’on l’approcha de la troisième, ainsi reconnue pour la vraie croix du Sauveur.
Trois morceaux de la sainte croix
Hélène divisa bientôt la croix en trois morceaux : le premier resta dans la ville sainte, le second la suivit à Rome, et le troisième partit avec son fils dans sa nouvelle capitale de Constantinople. Quant au titulus, il aurait également été partagé, une partie restant à Jérusalem, l’autre suivant le fragment de croix emmené par Hélène à Rome.
Arrivée dans la Ville éternelle, l’impératrice décida de transformer une partie de son palais du Sessorium, en périphérie de la cité, pour en faire une chapelle-reliquaire abritant les précieux objets. Afin de faire de ce lieu comme un petit « Jérusalem » en terre romaine, Hélène fit même apporter des sacs de terre du Golgotha, afin d’en recouvrir le sol de son oratoire. Offert au pape par Constantin après la mort de sa mère, le palais devint la basilique Sainte-Croix-en-Jérusalem, véritable morceau de terre sainte au milieu de la capitale impériale. Pour le préserver des dangers liés aux envahisseurs successifs (Goths, Vandales…), on dissimula le titulus dans un mur, où il demeura jusqu’à la reconstruction de l’église par le pape Lucius II en 1143 ; conservé ensuite dans l’arc triomphal de la basilique, il fut finalement exposé à la vénération publique à partir de la fin du XVe siècle. La partie gauche de l’écriteau, dont la présence à Jérusalem est bien attestée par les pèlerins et témoins des IVe, Ve et VIe siècles, disparut malheureusement lors de l’invasion perse de 614. La partie droite, celle de Rome, porte le nom du condamné : « Jésus le nazaréen. » Elle mesure 25 centimètres de long, on y décèle la trace d’un blanchiment à la chaux et d’inscriptions à la peinture noire. L’objet est fait d’un bois de noyer que l’on retrouve dans les pays du Proche-Orient. Les analyses paléographiques réalisées sur les caractères que porte le titulus révèlent trois lignes de texte, en hébreu, grec et latin, écrits tous trois de droite à gauche ; la première partie du nom est abrégée (« Jésus » devient « IS » en grec, « I » en latin), la seconde est en revanche inscrite intégralement (« NAZARENUS » en latin : nazaréen) ; on devine enfin le début d’un troisième mot (« B » pour « basileus » en grec, « R » pour « rex » en latin) : roi. Des paléographes indépendants ont confirmé le style judéen de l’écriture, caractéristique de la période du Second Temple (premier siècle de notre ère). Des comparaisons avec d’autres témoignages d’inscriptions latines et grecques de l’époque retrouvées dans la zone ont permis d’étayer ces conclusions.
Combien y a-t-il de reliques ?
La découverte et la conservation du titulus, avec les indices d’authenticité qu’il présente au regard de la science contemporaine, sont déterminants pour soutenir le culte de la relique de la croix. Si l’inscription est bien celle qui singularisait la croix du Christ, les reliques qui l’ont accompagné ont toutes les raisons d’être également véridiques. C’est donc à bon droit que l’on expose et vénère depuis des siècles dans les grands sanctuaires de la chrétienté des reliques de la vraie croix. Nous avions montré en septembre 2022, en nous appuyant sur les travaux de l’érudit Charles Rohault de Fleury à la fin du XIXe siècle, que le scepticisme ironique de certains modernes face à la supposée abondance de tels objets était loin d’être étayée par les données de fait : la totalité des reliques aujourd’hui conservées avoisine à peine le dixième du volume originel de la croix du Christ.
L’adoration de la vraie croix
Cet usage de diviser les reliques nous étonne aujourd’hui, et embarrasse notoirement les historiens et archéologues. Il s’explique pourtant dans le contexte de l’époque : les reliques n’étaient alors pas d’abord considérées comme des témoignages historiques, des preuves apologétiques, mais comme des objets de vénération, des signes tangibles laissés par le passage du Fils de Dieu sur la terre, comme des mains demeurant tendues depuis le Ciel. Chaque fragment de relique était ainsi réputé renfermer la présence du divin, la partie représentant le tout : on ne se gênait donc pas pour diviser les reliques, et démultiplier ainsi le pouvoir salvateur par contact avec le peuple chrétien répandu sur la terre. Pour la théologie catholique traditionnelle, une relique n’est certes pas un sacrement mais un sacramental (« des signes sacrés par lesquels, selon une certaine imitation des sacrements, des effets surtout spirituels sont signifiés et sont obtenus par la prière de l’Église » Catéchisme de l’Église Catholique, n°1667). Les reliques de la vraie croix – comme la croix dévoilée lors de la fonction liturgique du vendredi saint – font l’objet d’un culte spécial, appelé culte d’adoration. Cette appellation qui choque parfois doit être bien comprise : dans une réponse à un converti du protestantisme qui s’étonnait de cette pratique, Bossuet distinguait en 1691 entre l’adoration marquée extérieurement, par le geste de prosternation devant l’objet, et l’adoration intérieurement exprimée, qui ne s’arrête pas au bois mais s’adresse à celui qui en fit l’instrument de notre salut : Jésus lui-même.