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D’où vient le jubilé (1/2) : Origine et histoire

Delaroche - Pèlerins à Rome
L’institution du jubilé fit son apparition dans l’Église comme par surprise, à la faveur de l’extraordinaire affluence de pèlerins à Rome en l’année 1300. D’où venait cette idée ? Comment fut-elle intégrée dans la Tradition de l’Église ?

 

L’idée chrétienne de jubilé

Comment l’idée de jubilé est-elle passée du contexte vétérotestamentaire à l’Église ? Selon les historiens, le passage a pu se faire par divers canaux, menant à l’indiction de la première année sainte (en 1300) et à la « christianisation » de l’institution jubilaire.

– Le XIIIe siècle fut notamment l’époque d’un véritable renouveau de l’étude et de l’érudition biblique, sous influence notamment de contacts intensifiés avec les milieux juifs, redécouvrant eux-mêmes leur tradition scripturaire après le grand travail de transmission et de copie textuelle des rabbins massorètes. L’école rabbinique de Troyes (avec Rashi [1040-1105] ou Ibn Ezra [1092-1167]) revient à une exégèse littérale et souligne le sens du jubilé comme temps de pénitence et de conversion. Maïmonide (1136-1204), érudit espagnol largement lu et cité par saint Thomas d’Aquin et les scolastiques, va jusqu’à placer dans le cadre du jubilé une forme d’absolution quasi-sacramentelle. Ces approfondissements rabbiniques sont repris par certains auteurs chrétiens tel Pierre le Mangeur, doyen de Troyes au milieu du XIIe siècle, ou encore l’école de Saint-Victor.

– La spiritualité chrétienne reprend aussi à son compte la notion de jubilé dans le contexte de la prédication des croisades. Saint Bernard assimile l’indulgence octroyée à l’occasion de la seconde croisade à un jubilé. En 1208, Innocent III proclamait une « année jubilaire » pour annoncer l’indulgence générale promise aux croisés. Le terme est repris en 1217 par Honorius III. Dans la tradition monastique, le jubilé était plus largement rattaché à la joie intérieure, fruit de la contemplation des mystères et gage de la vie éternelle (Aelred de Rielvaux [+ 1166] parle ainsi du « sabbat parfait » de l’amour contemplatif et du « jubilé » du repos bienheureux). Dans les monastères où se développe alors la technique du chant grégorien, le jubilé devient synonyme de joie, et l’on nomme « jubilus » les trop-pleins de notes exultant et prolongeant une même syllabe (en particulier la dernière de l’Alleluia).

– Entre le XIIe et le XIIIe siècle, les théologiens qui s’efforcent de préciser le lien entre la pénitence intérieure (également appelée componction : la douleur de nos péchés) et la pénitence extérieure (la satisfaction : les œuvres accomplies en réparation), dégagent peu à peu la notion d’indulgence. La confession privée l’emporte alors en pratique, en laquelle la pénitence est laissée à la discrétion du ministre (elle était jusqu’alors fréquemment « tarifée »). La théologie catholique de la pénitence se structure et se fixe définitivement dans la première moitié du XIIIe siècle, avec notamment la Somme des cas et des peines de saint Raymond de Penafort (1220). Saint Thomas d’Aquin (avec Alexandre de Halès, saint Albert le Grand, saint Bonaventure) précisera encore la doctrine des indulgences comme rémission de la peine temporelle due pour les péchés actuels. Le concept vétérotestamentaire de jubilé sera bientôt rapproché de cette institution naissante des indulgences.

– L’idée d’attacher la joie spirituelle de la libération à une année particulière – le concept jubilaire à proprement parler – est présent en lui-même chez Etienne Langton, archevêque de Cantorbéry qui voulut transférer en 1220 les restes de saint Thomas Becket au cinquantième anniversaire de son martyre : il proclama à cette occasion une année en laquelle il appelait à la rémission des peines des péchés.

Le premier jubilé

La concession du premier jubilé fut presque imposée au pape Boniface VIII en 1300, soit neuf ans seulement après la chute de Saint-Jean-d’Acre et la fin de l’époque des croisades, par le nombre des pèlerins accourus à Rome en cette année. Une grande foule s’empressait à Saint-Pierre le 1er janvier et les jours suivants, confessant ses fautes et priant devant le tombeau des apôtres : les fidèles semblaient convaincus de pouvoir obtenir une libération de leurs peines au début du nouveau siècle. Surpris de cette idée, Boniface VIII fit faire des recherches historiques, dont le résultat ne fut pas concluant, en dépit de quelques témoignages. Le pape constata cependant que ses prédécesseurs avaient parfois accordé des indulgences limitées pour la visite des basiliques romaines. Il décida pour cette année de supprimer les limites en accordant aux pèlerins une indulgence plénière. Le 22 février, en la fête de la Chaire de Saint Pierre, il annonça dans la basilique la première année sainte, promulguée (rétroactivement au 25 décembre précédent) par la bulle Antiquarum.

Le jubilé, également appelé « année sainte », se présentait ainsi comme une indulgence plénière accordée pour l’accomplissement de certaines pratiques fixées par l’autorité pontificale à l’occasion d’un pèlerinage à Rome, assurant aux fidèles en état de grâce la rémission totale des peines dues à leurs péchés, en vertu de la communion des saints ou de la réversibilité des mérites des membres de l’Église.

En cette première année sainte, plus de deux millions de pèlerins auraient visité Rome, il y aurait eu en permanence deux cent mille étrangers dans la ville : les routes et chemins étant encombrés, il fallut ouvrir une nouvelle voie et organiser une circulation à sens unique sur le Pont Saint-Ange. Une nouvelle bulle fut promulguée à la clôture de l’année, le pape accordant l’indulgence également à ceux qui n’avaient pu accomplir jusqu’au bout toutes les prescriptions jubilaires. Pour certains historiens, le jubilé de 1300 fut une dernière manifestation de cette chrétienté médiévale qui serait bientôt divisée et affaiblie par les rivalités politiques, les schismes et les hérésies. Le mot jubilé – qui ne figure pas dans la bulle d’indiction Antiquarum (du 22 février 1300) mais dans la bulle promulguée le 25 décembre pour la clôture de l’année sainte – était toutefois promis à une riche postérité.

Périodicité et évolutions des années jubilaires

La bulle Antiquarum prévoyait le retour de l’année sainte à chaque centenaire. Par analogie avec le jubilé de l’Ancien Testament cependant, Clément VI (bulle Unigenitus Dei Filius, 27 janvier 1343) décida que l’indulgence serait accordée tous les cinquante ans à partir de 1350. Urbain VI prescrivit en 1389 un jubilé tous les trente-trois ans, selon le nombre présumé d’années de la vie du Christ, mais Martin V revint en 1417 à la règle des cinquante ans. Paul II fixa finalement en 1470 (bulle Ineffabilis du 19 avril) l’intervalle entre deux années jubilaires à vingt-cinq ans.

Les conditions pour obtenir l’indulgence jubilaire évoluèrent également : à la visite de la basilique et du tombeau de saint Pierre (sans doute également celle de Saint-Paul), requise par Boniface VIII, fut ajoutée (par Clément VI) celle de Saint-Jean-du-Latran, et par Urbain VI celle de Sainte-Marie-Majeure. Alexandre VI établit en 1499 le cérémonial de l’ouverture de la porte sainte et étendit les facultés spéciales à tous les confesseurs. Les règles canoniques fixant la discipline jubilaire sont dues à Benoît XIV à l’occasion du jubilé de 1750.

Le pèlerinage attira plus ou moins selon les époques. Après le succès considérable de l’année 1300 les chiffres furent ensuite plus mesurés. Le jubilé de 1350 attira cependant près d’un million et demi de fidèles. Il y eut environ 400 000 pèlerins en 1675, trois millions en 1750, 1 400 000 en 1825. Ce dernier fut l’unique véritable jubilé du XIXe siècle : en 1800 Pie VI venait de mourir en exil à Valence, en 1850 Pie IX avait dû se réfugier à Gaète, en 1875, prisonnier du Vatican, il publia une année sainte sans aucune solennité.

Sources

– Dictionnaire d’Histoire et de Géographie Ecclésiastique, tome XXVIII, col 408-410 ;

– Dictionnaire de Droit Canonique, tome VI, col 191-203 ;

– Dictionnaire de Spiritualité, tome VIII, col 1479-1487.

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