Levés avec le soleil, les goumiers, une fois avalée leur maigre ration de riz et de lait concentré, se dispersent parmi les buissons de genêts et de conifères, afin de leur mendier un coin de cette ombre qui devient au cours de la journée une denrée de plus en plus rare sur le Causse. Pour l’heure, l’air est encore relativement frais et la vingtaine d’hommes et de femmes, entre la vingtaine et la soixantaine sonnée, consacrent une heure à la prière et la méditation, orientée par un texte de la Sainte Écriture proposé par l’un d’entre eux. La journée ainsi placée sous le regard de Dieu se poursuit par la grande rencontre avec le véritable maître du goum : le Christ. Chaque raid est en effet accompagné par un « padre », un prêtre, goumier novice ou expérimenté, instrument de la sanctification de cette semaine de retraite itinérante par le biais des sacrements. La messe est célébrée sur l’autel que les goumiers ont élevé avec les pierres plates et sèches du Causse, elle est tout à la fois le sommet de la journée et son véritable point de départ, puisqu’elle envoie les marcheurs en mission : une fois l’Ite missa est prononcé, les sacs sont chargés sur le dos et la route commence.
Route de fraternité
À la carte ou la boussole, seul ou en groupe, les goumiers s’avancent tranquillement à travers le paysage désertique mais grandiose de Lozère, ahanant sous le poids d’un paquetage personnel complet, augmenté des nécessaires fournitures collectives : réchauds, timbales, victuailles (essentiellement le riz, il est vrai)… Car le goum est une expérience de fraternité : d’origine, d’âge, d’éducation et de milieu souvent très différents, les marcheurs apprennent à se connaître à travers la marche et l’entraide, sans se présenter par leur métier ou occupation, qui demeurera secret jusqu’au dernier jour. Cette fraternité se vit dans le soutien mutuel sur le chemin, le partage des fardeaux physiques et moraux, des quelques douceurs glanées en chemin : champignons, myrtilles, framboises, prunes… selon la saison. Elle s’accomplit surtout dans la joie et la bienveillance qui font le cœur de l’ambiance du goum, et plus encore dans la prière commune : matin et soir, à la messe, sur la route avec le chapelet.
Route de liberté
L’arrivée au bivouac n’est pas planifiée : pas d’horaire impéré – et pour cause, le goumier a laissé derrière lui tout moyen de communication avec le monde, et jusqu’à sa montre – faisant le choix du dépouillement qui permet la vraie liberté. Le second maître mot du goum est en effet la liberté. Le raid est organisé et guidé par un ou deux marcheurs expérimentés ou « lanceurs », qui donnent les nécessaires orientations de la vie du groupe, tout en laissant une marge de manœuvre aussi large que possible à chacun. Cette liberté vécue ensemble est l’un des ingrédients uniques de l’atmosphère fraternelle et simple qui s’établit vite au sein de l’ensemble hétéroclite des participants, dont l’unité extérieure, marquée par le port d’une djellaba rayée, héritage des goumiers marocains, reflète surtout l’unité intérieure créée par l’esprit du goum. Cette unité est renforcée par une horizontalité bienveillante, qui oriente les participants vers la recherche du bien commun et des rencontres vraies. Les marcheurs font connaissance sans pouvoir se présenter par leur profession, qui n’est révélée qu’à la fin de l’itinéraire. C’est donc sans connaître le statut social des uns et des autres que les goumiers se découvrent, dans la rigueur de l’ascèse physique et la beauté de la recherche de Dieu.
Une quête spirituelle
Ce n’est certes pas un hasard si cette vingtaine d’individus si différents se sont trouvés un beau jour à revêtir ce lourd habit de laine : ils sont venus sur le Causse chercher quelque chose, une réponse à une interrogation, un réconfort moral, un approfondissement spirituel. Ils sont venus chercher quelque chose et ils trouveront quelqu’un, car c’est la grâce du goum que de rencontrer le Christ, au détour d’un chemin pierreux, sous le soleil de plomb des étendues désertiques des Cévennes. Rencontrer le Christ dans ses sacrements, dans la prière commune et la méditation, dans la présence du padre, dans la personne des frères goumiers, dans les habitants et touristes rencontrés en chemin, dans la réelle ascèse d’une rusticité qui purifie les habitudes de vie contemporaines.
Le Christ est souvent rencontré physiquement au long du chemin, à travers les nombreux calvaires qui jalonnent les sentiers du plateau, dans les magnifiques églises romanes dont la fraîcheur tend les bras au marcheur écrasé de soleil.
Et lorsque la journée de route touche à sa fin, les goumiers se retrouvent un à un sur le lieu de bivouac indiqué au matin par le lanceur. Après une toilette sommaire, ils s’attellent aux tâches collectives : construction de l’autel, préparation du repas – c’est à dire de la seconde portion de riz de la journée, agrémentée cette fois par une soupe et un bouillon. Le moment est détendu et fraternel, on raconte les aventures de la marche, les connaissances mutuelles s’approfondissent, les réflexions sur la méditation ou la prédication du matin orientent souvent la discussion vers le spirituel. Après le repas, une courte veillée égayée par des chants de tradition ou de variété accompagne la descente du soleil, dont le coucher sonne l’heure de la prière du soir, sur le mode des complies. Lorsque les dernières notes du Salve regina se sont évanouies sur le plateau, chacun regagne son sac de couchage pour prendre sous la voûte étoilée un repos bien mérité.
Dans la lignée du scoutisme
C’est Michel Menu, grande figure du scoutisme français d’après-guerre, qui eut l’intuition de ces marches, en lesquelles il entendait proposer à d’anciens raiders-scouts une purification physique et spirituelle : « Lorsque le corps retrouve ses rythmes, l’esprit se sent attiré par l’altitude », écrivait-il. Il trouva une source d’inspiration dans les tribus nomades des montagnes marocaines descendues se mettre à plusieurs reprises au service de la France – les goumiers. L’esprit du goum est résumé par la croix des goumiers, qui reprend la représentation saharienne de la Croix du sud – la constellation qui permet de trouver son chemin au désert. Elle est surmontée d’un gouvernail à cinq branches, évoquant les cinq principes des goums : la pleine santé du corps, la foi rayonnante, la liberté de l’esprit, le don de soi créatif et les relations humaines authentiques. À partir de leur second goum, les marcheurs qui le désirent peuvent demander à prendre la croix, qu’ils portent ensuite sur leur djellaba.
Une vingtaine de goums sont organisés chaque année en France ou à l’étranger, toujours accompagnés par un « padre ». Cette année trois d’entre eux ont marché ou marcheront avec un prêtre de la Fraternité Saint-Pierre