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(Bien)heureux Blaise Pascal ?

Il l’avait évoqué une première fois en 2017, il revient aujourd’hui sur le sujet pour les 400 ans de sa naissance : le pape François, premier pontife jésuite de l’histoire, fait l’éloge de Blaise Pascal, pourtant pourfendeur de la compagnie en son temps, et souligne l’actualité de sa pensée. 

Une vie courte mais remplie

Né le 19 juin 1623 à Clermont-Ferrand, Blaise Pascal fut un mathématicien, physicien, inventeur de génie, mais aussi philosophe, théologien et grand spirituel. Dès l’enfance il fait preuve d’aptitudes surprenantes pour les sciences, contribuant à l’étude des fluides, précisant le concept de pression (encore aujourd’hui mesurée en « Pascals »), développant la première machine à calculer (la « Pascaline ») pour aider son père, commissaire royal pour la levée de l’impôt. Pascal est un génial touche-à-tout, capable de s’intéresser à tous les domaines, de l’assèchement des marais poitevins à la recette de la vinaigrette… La vie spirituelle de Blaise Pascal connaît un premier tournant en 1646 lorsque son père, soigné par deux médecins disciples de l’abbé de Saint-Cyran introduit le jansénisme dans la famille. Pascal s’éloigne cependant bientôt de son engagement religieux et vit à partir de 1648 ce qu’il appelle une « période mondaine. » À la mort de son père, en 1651, sa sœur Jacqueline entre contre son avis à l’abbaye de Port-Royal de Paris. La brouille dure plus de deux ans et fait tomber Pascal dans la dépression. Disposant d’un confortable héritage, Blaise s’installe à Paris et fréquente la belle société, poursuivant ses travaux scientifiques et côtoyant les grands esprits, les femmes, les tables de jeu. Jacqueline lui reproche cette frivolité et prie pour sa conversion. Son frère semble attiré par une vie plus intérieure, montre du mépris pour les affaires du monde, mais ne s’en remet pas à Dieu. 

Échappant de peu à la mort selon certaines sources, lors d’un accident de carrosse sur le pont de Neuilly, à la fin de 1654, Pascal aurait été largement secoué. Le 23 novembre, entre dix heures et demie et minuit, il fait une expérience mystique intense, dont il relate immédiatement les éléments les plus forts en une brève note, le Mémorial, qu’il coud dans son vêtement et porte sur son cœur jusqu’à sa mort. 

C’est le déclic religieux : Pascal se retire pour deux semaines à Port-Royal des Champs, où il reviendra souvent dans les années suivantes. Il y rédige le Mystère de Jésus, texte qui rapporte sa rencontre personnelle avec le Christ dans la tragédie poignante de Gethsémani. Il témoigne que l’on n’accède pas à Dieu en partant de la simple expérience humaine, mais en se laissant regarder par Jésus souffrant. Ce texte figure dans les Pensées, recomposition post-mortem (sous l’égide de sa sœur Gilberte Périer) des fragments de la grande Apologie du christianisme que projetait Pascal, démonstration de la vérité et divinité du christianisme, qui n’aurait pas été seulement une argumentation mais une prière, un appel au cœur et à la volonté des incrédules et libertins, qui commençaient à se multiplier au XVIIe siècle, et que notre philosophe avait fréquenté en ses années mondaines. Pascal est encore bouleversé, en mars 1656, par la guérison miraculeuse de sa nièce Marguerite Périer, dans la chapelle de Port-Royal de Paris (aujourd’hui chapelle de l’hôpital Cochin) : atteinte d’une terrible fistule lacrymale, affreusement défigurée, la jeune fille est guérie par le contact d’une relique de la couronne d’épine. Pascal considère le miracle comme un signe de Dieu en faveur des religieuses et des solitaires persécutés. 

Se tournant vers les préoccupations théologiques, il prend résolument le parti des Jansénistes dans les querelles de son temps, et publie sous pseudonyme ses fameuses Lettres provinciales. Il y dénonce avec force et sarcasme le laxisme moral supposé des confesseurs Jésuites, leur probabilisme (thèse qui soutenait la possibilité de suivre une opinion probable, en matière morale, même lorsque l’option adverse semble plus sûre) et leur molinisme (doctrine théologique tentant de concilier la liberté humaine et la prescience divine en considérant qu’elles se conjuguent sans empiéter l’une sur l’autre, comme deux chevaux tirant conjointement un même attelage ; elle fut combattue par les Jansénistes mais aussi par l’école thomiste, sans pour autant faire l’objet d’une condamnation), leur politique. L’œuvre sera mise à l’Index dès 1657. Pascal est aussi l’auteur des quinze Écrits sur la grâce, où il applique ses méthodes scientifiques d’argumentation à la question disputée de la grâce. 

De santé fragile, sans doute atteint d’une grave maladie de l’estomac, Pascal sent en 1662 qu’il ne lui reste que peu de temps à vivre. Il cherche un hôpital où terminer ses jours mais les médecins le déclarent intransportable. Il reçoit l’extrême-onction le 17 août, lui qui était depuis longtemps privé des sacrements en raison de son adhésion publique au jansénisme. Il meurt le 19 au pied de la montagne Sainte-Geneviève et est enterré à Saint-Etienne-du-Mont. Ses dernières paroles « Que Dieu ne m’abandonne jamais » sont un écho au magnifique texte du Mémorial.

L’opportunité d’une béatification ? 

Peut-on porter Blaise Pascal sur les autels ? La figure de l’homme est magnifique, empreinte de grandeur et d’humilité. Bien que dépassant de loin ses semblables par sa stature intellectuelle, il sut demeurer simple, terminant son existence dans un ascétisme qui marqua ses contemporains. Sa triple vocation de scientifique, de philosophe et de spirituel en fait une figure particulièrement parlante pour notre époque : à l’instar d’un Nicolas Sténon, Pascal offre un modèle de croyant dont les recherches n’ont pas affaibli la foi, au contraire. 

Quant à son rapport à l’Église institutionnelle en revanche, une béatification de Pascal sera certainement l’objet de nombreux débats et controverses, quoi que la suite des événements ait semblé pour certains lui donner raison. 

Dans le bel hommage qu’il lui rend à travers la Lettre apostolique “Sublimitas et miseria,” le pape n’aborde pas le sujet de l’opportunité d’une béatification, à laquelle il s’était montré ouvert lors d’une interview donnée en 2017, mais il développe des arguments qui pourraient ouvrir à une reconnaissance de l’héroïcité des vertus de l’intellectuel français. 

Quelques textes

Qu’on ne s’étonne donc pas de voir les Jésuites calomniateurs : ils le sont en sûreté de conscience, et rien ne les en peut empêcher; puisque par le crédit qu’ils ont dans le monde, ils peuvent calomnier sans craindre la justice des hommes. (XVe Provinciale)

La connaissance de Dieu sans celle de sa misère fait l’orgueil. La connaissance de sa misère sans celle de Dieu fait le désespoir. La connaissance de Jésus-Christ fait le milieu parce que nous y trouvons, et Dieu, et notre misère. (Pensées, Lafuma, 192)

+

L’an de grâce 1654.

Lundi 23 novembre, jour de saint Clément pape et martyr et autres au martyrologe.

Veille de saint Chrysogone martyr et autres.

Depuis environ dix heures et demi du soir jusques environ minuit et demi.

Feu

Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob,

non des philosophes et des savants.

Certitude, certitude, sentiment, joie, paix.

Dieu de Jésus‑Christ.

Deum meum et Deum vestrum.

Ton Dieu sera mon Dieu.

Oubli du monde et de tout hormis Dieu.

Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l’Évangile.

Grandeur de l’âme humaine.

Père juste, le monde ne t’a point connu, mais je t’ai connu.

Joie, joie, joie, pleurs de joie.

Je m’en suis séparé. ——————————————————

Dereliquerunt me fontem aquae vivae.

Mon Dieu, me quitterez‑vous ——————————————-

que je n’en sois pas séparé éternellement.

———————————————————————————-

Cette est la vie éternelle, qu’ils te connaissent seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé J.-C.

Jésus-Christ. ——————————————————–

Jésus-Christ. —————————————————-

je l’ai fui, renoncé, crucifié

Je m’en suis séparé,  —————————————————-

Que je n’en sois jamais séparé ! ————————————-

Il ne se conserve que par les voies enseignées dans l’Évangile.

Renonciation totale et douce.

Etc.

(Mémorial, Manuscrit autographe, Bibliothèque nationale de France, Français 9202, f.).

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