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Bible et “fake news”

Pseudépigraphe : Quésaco ? Le mot n’est pas chinois mais bien français, issu de l’association des racines grecque pseudo (faux) et épipgraphe (écrit). En d’autres termes, un pseudépigraphe est un faux, une « fake-news », diraient nos contemporains.

Malgré la vigilance de nos gouvernants et des lois anti “fake-news”, la pseudépigraphie n’a pas totalement disparu : un communiqué-fleuve se réclamant de prêtres de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre circule depuis quelques jours, qui prétend donner un commentaire autorisé de la lettre apostolique Desiderio desideravi, donnée par le Saint Père François le 29 juin dernier.

Les éléments de la pseudépigraphie y sont réunis comme en un cas d’école : revendication explicite d’une fausse identité, usage d’éléments visuels propres à induire en erreur (une ancienne version des armes de la Fraternité), mais aussi… de nombreuses incohérences quant au ton et au contenu.

Une mode ancienne

La pseudépigraphie n’est pas un phénomène récent, au contraire. Pour dépasser l’anecdote du moment, remontons à un usage antique et répandu jusque dans les textes sacrés : l’attribution explicite à un auteur d’un texte qui ne peut pas être de lui.

Platon connaît bien le phénomène et rapporte qu’il s’origine pour certains dans des expériences mystiques ou extatiques, fréquentes dans les religions à mystères de l’antiquité tardive : l’auteur prend la plume au nom d’un dieu dont il pense avoir reçu une révélation à transmettre à ses contemporains.

La pseudépigraphie s’expliquait plus souvent et prosaïquement par l’utilisation qu’en faisaient les professeurs de rhétorique (parmi lesquels les sophistes, grands adversaires de Socrate) : il s’agissait alors de composer un discours selon l’esprit et le style d’un auteur célèbre – Homère, Hésiode ou un autre. En somme un exercice d’école. Pensons à nos sujets de baccalauréat : « à la manière de Victor Hugo, vous rédigerez… ».

La pseudépigraphie fut aussi pratiquée par les disciples des grands maîtres à penser de l’antiquité : si Socrate n’a rien écrit et ne nous est connu que par Platon et Xénophon, beaucoup de textes ont circulé en se réclamant de lui (lettres, paraboles, fables…).

Un phénomène aussi répandu dans le monde antique ne pouvait manquer d’atteindre l’univers juif, et donc la Bible.

Dans l’Ancien Testament

L’usage semble en effet avoir été communément admis à l’époque de la rédaction de certains des livres de l’Ancien Testament, notamment parmi les plus récents. Ce sont ceux composés dans la seconde moitié du dernier millénaire avant notre ère – période dite du « Second temple » d’Israël, après le retour de l’exil à Babylone (538 avant Jésus-Christ). Fleurissent alors des livres et de recueils de paroles de sagesse, de proverbes, de poésies, qui se réclament des héros de l’Israël ancien : David et surtout Salomon.

La pseudépigraphie fleurit en particulier dans le genre apocalyptique, typiquement juif, particulièrement foisonnant dans les derniers siècles avant notre ère.

Certains de ces livres pseudépigraphes intégreront finalement le canon de la Bible hébraïque et par conséquent notre Ecriture sainte. C’est le cas des nombreux livres attribués à Salomon : les Proverbes, l’Ecclésiaste (ou Qohelet), la Sagesse, l’Ecclésiastique (ou Siracide). C’est le cas aussi de certains psaumes, textes législatifs, etc. On comprend ainsi que la pseudépigraphie de ces écrits n’est pas incompatible avec leur inspiration, au contraire – elle en est même un élément, puisqu’elle devient elle-même inspirée. Ce qui choque la pensée contemporaine est bien naturel pour l’époque, et personne ne s’y trompe. L’attribution d’un écrit à un auteur célèbre n’est pas une tentative de tromper le lecteur mais une indication qui lui est donnée sur la tonalité du texte et l’esprit dans lequel le recevoir. Par ailleurs, la pseudo-attribution est faite de manière à ne pouvoir être équivoque : ainsi par exemple du livre d’Hénoch, composé dans les derniers siècles avant notre ère et attribué à un mystérieux patriarche de la Genèse, le septième du lignage de Seth, arrière-grand-père de Noé. Autant dire qu’aucun des lecteurs de l’époque ne s’est laissé berner, mais tous acceptaient alors de se prendre au jeu de la pseudépigraphie, alors considérée comme un artifice littéraire parmi d’autres.

Dans le Nouveau Testament

Les choses changent toutefois avec le Nouveau Testament : bien loin de recourir à la pseudépigraphie, les auteurs sacrés la rejettent et la dénoncent avec force. Il est significatif qu’aucun n’ait tenté d’attribuer à Jésus le moindre écrit, bien que le Christ – comme Socrate – n’ait laissé aucun texte. Conscients de leur rôle de transmetteurs, les apôtres et premiers disciples du Christ ont écrits en leur nom propre, s’affirmant pour ce qu’ils étaient : des témoins. Cette préoccupation de vérité historique est prégnante chez tous les auteurs du Nouveau Testament : on la trouve dans le souci du détail d’un saint Matthieu, dans la spontanéité du récit de saint Marc, dans le soin minutieux de l’historien que l’on relève chez saint Luc, dans les affirmations même de saint Jean, confronté à la fin du premier siècle à de nombreux faux qui venaient semer le trouble dans les jeunes communautés chrétiennes.

Après que plusieurs ont entrepris de composer une relation des choses dont on a parmi nous pleine conviction, conformément à ce que nous ont transmis ceux qui ont été dès le commencement, témoins oculaires et ministres de la parole ; j’ai résolu moi aussi, après m’être appliqué à connaître exactement toutes choses depuis l’origine, de t’en écrire le récit suivi, excellent Théophile, afin que tu reconnaisses la certitude des enseignements que tu as reçus. (Lc 1, 1-4)

C’est ce même disciple qui rend témoignage de ces choses et qui les a écrites ; et nous savons que son témoignage est vrai. (Jn 21, 24)

Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et ce que nos mains ont touché, du Verbe de vie […] nous vous l’annonçons (1Jn 1, 1-3)

La préoccupation est plus palpable encore chez saint Paul, dont la charité pastorale et le souci d’unité semblent avoir très vite été mis à mal par la circulation de lettres qui lui étaient faussement attribuées. L’exemple le plus clair se trouve dans sa relation avec la communauté fondée par lui à Thessalonique : les chrétiens de la cité avaient été troublés par des lettres se réclamant de Paul et qui annonçaient une apocalypse toute proche, ils vivaient ainsi dans une coupable oisiveté, convaincus que la fin du monde était pour le lendemain – ou presque – et qu’il ne valait plus la peine de continuer à travailler. Dans sa seconde épître aux Thessaloniciens, l’apôtre réagit avec force et condamne cette doctrine, en incitant ses lecteurs à plus de prudence.

Nous vous prions, frères, de ne pas vous laisser ébranler facilement dans vos sentiments, ni alarmer, soit par quelque esprit, soit par quelque parole ou lettre supposées venir de nous, comme si le jour du Seigneur était imminent. (2Th 2, 1-2)

Il instaure même un système de vérification de l’authenticité des échanges épistolaires, en apposant sa signature manuscrite au bas de la lettre, vraisemblablement rédigée sous sa dictée par un de ses compagnons.

LA SALUTATION EST DE MA PROPRE MAIN, À MOI PAUL ; C’EST LÀ MA SIGNATURE DANS TOUTES LES LETTRES : C’EST AINSI QUE J’ÉCRIS. (2Th 3, 17)

La salutation est de ma propre main, à moi Paul. (1Co 16, 21)

Le souci de saint Paul montre à quel point le sujet devait être brûlant dans les premières communautés chrétiennes, en des temps où les témoignages authentiques des disciples du Christ étaient susceptibles d’être faussement plagiés par des personnes s’employant à répandre des doctrines erronées, prémices des hérésies gnostiques qui fourmilleront dans les décennies à venir. On comprend ainsi le soin que prend l’apôtre à authentifier chacune de ses lettres, souvent pas sa signature manuscrite, comme par la place importante qu’y prennent les salutations et énumérations des différents membres des églises fondées par lui[1]voir par exemple l’interminable liste de salutations en Rom 16. Il ne s’agit pas seulement d’une politesse de coutume ou d’une sorte de « réseau social » antique : l’habitude de nommer les chrétiens qui composaient les différentes communautés pauliniennes était aussi une manière de garantir l’origine authentique des lettres. Les membres de ces églises étaient en effet nécessairement liés par des relations nombreuses (songeons aux réseaux de connaissance qui relient presque à l’infini les catholiques de toutes les régions de France).

Concluons : une mode hors d’usage

Si la pseudépigraphie a pu être utilisée par les auteurs sacrés de l’Ancien Testament, et ainsi entrer dans le champ même de l’inspiration divine, il semble que le caractère même du Nouveau Testament, fondé sur le témoignage oculaire d’hommes ayant vécu avec le Christ mort et ressuscité, rende impensable et même dangereuse toute production pseudépigraphique. Dans le temps de l’Église naissante, l’attribution fictive d’un écrit n’est plus un procédé littéraire mais une fraude, un pseudépigraphe devient un faux, un mensonge, et ainsi une menace pour la communauté.

Sources : Supplément au Dictionnaire de la Bible, t.IX, col. 245-252.

Bauckham, Richard, Jesus and the Eyewitnesses

Références

Références
1 voir par exemple l’interminable liste de salutations en Rom 16
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