Pourquoi Jésus vient-il naître dans notre monde, pourquoi Dieu se fait-il homme dans l’humble crèche ? Pour nous apprendre à donner et à nous donner.
La vie du Christ : don sans retour
La vie du Christ sur terre nous apparait aujourd’hui essentiellement comme le don de sa personne jusqu’à la mort pour faire la volonté du Père en vue d’accueillir chaque homme dans une perspective de filiation, tout en respectant sa liberté. Nous voyons bien dans le récit de la passion à quel point la personne divine du Christ Jésus complète, enlace et assume sa nature humaine, lui permettant d’accomplir ce don qui répugne à son humanité. Au-delà de la personne et de la personnalité extraordinaire du Christ-Jésus, cette invitation au don sans retour et jusqu’au bout est une invitation nouvelle lancée à chaque homme, à la suite du Christ.
Cette perspective du don sans retour n’était pas accessible aux hommes avant la venue du Christ en raison du déséquilibre qui la sous-tendait. Sa venue était donc nécessaire pour que les hommes puissent, à l’exemple de Jésus Christ, rentrer dans l’économie du don grâce à cette nouvelle filiation divine adoptive qui le permet. Depuis les martyrs, en passant par les moines du désert, ainsi qu’avec les grands ordres religieux charitables, c’est ce don sans retour et sans recherche de satisfaction qui sillonne les âges de notre société avec fécondité.
Avec quoi remplirons-nous le vase de notre cœur ?
Saint Paul dans l’une de ses épîtres aux Corinthiens compare l’homme à un vase d’argile, vase fragile. Le choix de l’homme c’est ce qu’il met où ce qu’il garde dans son vase. Lorsque son cœur est occupé par des pensées ambiguës, par son imagination vagabonde, par des musiques lancinantes, par son smartphone intempestif, il maintient son vase plein et inaccessible à Dieu. Le travail de l’homme à la suite de la venue du Christ est de vider ce vase, de le nettoyer et de le remplir d’une eau claire. Lorsque Le Christ de l’Évangile rencontre le jeune homme riche il lui demande si son vase est propre, c’est à dire s’il suit les commandements, et cela nous pouvons nous y atteler par nous-mêmes graduellement. Ce ne sera pas sans échec, sans imperfection, mais nous pouvons essayer de rendre le vase de notre cœur relativement propre et accueillant. Toute la tradition des pères du désert et de l’Église se rapporte à cette “garde du cœur”, cette propreté intérieure acquise par une certaine maîtrise de l’imagination et de l’effet des sensations à l’intérieur de nous-même. Cette garde du cœur, cette ascèse, ne s’acquiert pas du jour au lendemain mais se développe grâce à la volonté de chacun dans le temps.
La contribution de l’homme, d’une certaine manière, est limitée à cette préparation. Au-delà c’est la prière et c’est par la prière que Dieu se communique et nous rend possible l’accès à cette nouvelle économie du don. La prière c’est un peu comme l’action du sachet de thé qui vient colorer et donner du goût à l’eau de notre vase. Ce sachet de thé, c’est l’expression de la présence de Dieu par ses sacrements, par son Évangile. Présence qui infuse graduellement notre cœur, notre vase, notre personnalité. C’est par cette disponibilité intérieure et ce temps donné pour que la présence de Dieu infuse en nous qui nous permet d’accéder au don sans retour et sans recherche de satisfaction. Ainsi nous voyons bien que l’essence de la prière tient dans cette infusion de notre cœur humble, tient dans la méditation des Évangiles, dans leur rumination, dans notre imprégnation, dans la présence Trinitaire au sein de notre vase afin d’y produire le don charitable. C’est Dieu en nous qui nous permet d’accéder au don sans retour et sans recherche de satisfaction. Cela nous permet de mieux comprendre l’esprit de la prière qui va bien au-delà des dévotions, qui va bien au-delà de la prière de demande que toutes les religions savent envisager. Lorsque l’on regarde la prière du “Notre Père”, on voit bien que c’est l’intimité avec Dieu et avec sa volonté qui est première. Et comme nous l’indique le récit de la Passion, la volonté de Dieu c’est justement ce qui suscite le don, et cela est nécessaire avant d’exprimer des demandes par surcroit. Il est donc très important pour nous que nous considérions la prière d’abord comme une ouverture de notre cœur à Dieu, à la Trinité, par le biais des sacrements et de l’Évangile. Au risque de choquer, un chrétien ne peut pas se satisfaire de réciter une prière quotidienne, fusse le chapelet, et une fois cela fait d’être quitte de toute relation à Dieu.
Le don dans la vie du Chrétien : en pratique
Quelles sont les observations pratiques auxquelles cette analyse conduit ?
Tout d’abord lorsque l’on regarde les saints contemporains, que ce soient le père Kolbe, le père Damien, Padre Pio, Charles de Foucauld, mère Teresa, on voit clairement que chacun d’entre eux a exprimé une forme de sainteté par un don d’eux-mêmes jusqu’au bout et sans chercher d’autres satisfaction que de faire la volonté de Dieu. Le père Kolbe donne sa vie pour un père de famille, le père Damien est devenu lépreux parmi les lépreux, Padre Pio fait de son corps blessé l’instrument de la miséricorde, Charles de Foucauld est mort au milieu du désert, thuriféraire de la prière sans fécondité apparente, mère Teresa donne aux pauvres de Calcutta dans un profond état de désarroi intérieur. Ces exemples de dons sans retour nous montrent la voie de la sainteté. Nous avons des exemples récents approchants, comme le gendarme Arnaud Beltrame. Il ne faudrait pas croire que ce don sans retour engendre une tristesse liée à la souffrance. Le père Kolbe est mort en chantant Au-delà de la souffrance il y a la joie de faire la volonté du Père, qui fait participer à sa gloire et à sa lumière incréée.
La seconde observation que l’on peut faire est que le temps présent a sans doute conduit à oublier la centralité du don sans retour et sans recherche de satisfaction pour lui substituer la notion du “partage équitable”. La période d’abondance que nous avons connue au cours du dernier siècle nous a conduits à la recherche d’une satiété partagée. Le fait de faire de notre terre un environnement accueillant à chacun et permettant un plein développement humain a parfois pris le pas sur la recherche de l’intimité avec Dieu qui s’obtient par l’économie du don. L’horizontalité communautaire a pu l’emporter sur l’affiliation verticale avec la Trinité, notamment dans son expression liturgique. Benoit XVI a porté un regard intéressant sur cette évolution qui est sans doute préjudiciable à la vitalité de l’Église, expliquant les difficultés qu’elle connaît actuellement.
Au centre de notre vie : la prière
Sur un plan personnel toute cette analyse permet de bien comprendre la centralité de la prière et de la vie de prière pour chaque homme. Cela veut dire que tout chrétien doit s’attacher en priorité à développer l’infusion divine en son cœur par une prière régulière correspondant à la réception du message évangélique et des sacrements (les « Saints Dons » pour les orientaux). Il faut y consacrer du temps. Pratiquement cela veut dire systématiquement trouver un quart d’heure voire une demi-heure chaque jour, de préférence le matin dès le lever. S’imprégner d’un texte d’Évangile et puis s’imprégner de l’ensemble de l’Évangile en le lisant de bout en bout au cours de l’année est central. Dans la journée revenir à cette imprégnation pour conserver en nous-mêmes notre vase propre et repousser ce que l’extérieur ou notre imagination nous suggèrent, et qui pourraient nous détourner de cette recherche du don poursuivi à l’exemple de Jésus-Christ.