Fêté le 7 décembre, saint Ambroise est l’un des quatre principaux Pères de l’Église d’Occident, mais aussi le patron des apiculteurs et des fonctionnaires.
Docteurs de l’Église : combien de divisions ?
Parmi les titres et récompenses, certains sont plus rares, plus précieux que d’autres. Quel est le titre le plus difficile à obtenir ? Un prix Nobel, une médaille Fields, un Pulitzer, un Goncourt? Pour cela, il y a un ou deux lauréats par an : aussi année après année, le chiffre augmente inéluctablement. En revanche, il est bien plus difficile de devenir docteur de l’Église. La liste des lauréats est pour le moment limitée à trente-sept noms, : moins de deux par siècles depuis la naissance de Notre Seigneur ! Qu’est-ce qu’un docteur de l’Église ? C’est un saint dont l’œuvre intellectuelle est reconnue par l’Église comme d’une valeur particulière, apportant un éclairage théologique nourrissant, permettant de progresser dans la compréhension des mystères divins et ainsi de mieux aimer le Bon Dieu. Saint Ambroise, archevêque de Milan, est l’un d’eux.
Un enfant, patron des apiculteurs.
Ambroise naquit dans une famille de patriciens romain, vers 333. Son père était préfet des Gaules, sa famille de noble origine : l’enfant commençait dans la vie avec tous les avantages possibles. Toutefois, plus que les honneurs humains, Dieu lui proposait un rôle divin, qu’illustre un petit incident survenu lors de sa tendre enfance. Alors qu’il dormait un jour la bouche ouverte, et que son père et sa nourrice se tenaient à proximité, un essaim d’abeilles s’approcha de lui, et d’industrieuses abeilles commencèrent à faire leur laborieux va-et-vient entre la bouche de l’enfant et leur ruche, sans lui faire aucun mal. Puis cet essaim s’envola dans les hauteurs, et disparut dans le ciel. Les témoins de ce spectacle insolite en conclurent qu’Ambroise était appelé à de grandes choses ; c’est la raison pour laquelle notre saint est patron des apiculteurs.
Un avocat conseiller des grands.
Saint Ambroise perdit son père assez tôt dans son enfance : aussi la famille quitta-t-elle la Gaule pour se rapprocher de Rome, la capitale de l’empire. Au milieu d’une société décadente, entouré par une jeunesse dorée à la vie dissolue, Ambroise parvint à grandir droitement, sainement. Il entama de brillantes études et devint avocat, point de départ d’une belle carrière dans la société romaine où le droit gouvernait toute chose. Et cela, avec un certain esprit de piété, de religiosité, qui lui fit prêter l’oreille aux idées du christianisme, sans pour autant franchir le pas de la conversion. Par son talent, il devint un conseiller indispensable de hauts dirigeants de l’empire, ce qui lui permis d’être bientôt nommé à un poste de haut rang : âgé d’à peine trente ans, le voilà gouverneur de Ligurie et d’Emilie, responsable d’un territoire qui comprend Turin, Gênes, Bologne, Ravenne, et dont la capitale est la ville quasi-capitale de Milan. En effet, Rome est devenue trop difficile à protéger, la ville n’est pas assez centrale : c’est donc à Milan que réside désormais l’empereur, c’est elle qui est devenue le centre de l’Empire Romain d’Occident : et c’est un jeune homme d’une trentaine d’année qui est chargé d’y maintenir l’ordre, de gouverner au mieux ! Belle ascension pour Ambroise !
Maintenir l’ordre, ou recevoir l’Ordre ?
Du talent politique, il va lui en falloir: il arrive à Milan en pleine querelle religieuse. L’ancien évêque de la ville, Auxence, était arien : à la suite d’Arius, il affirmait une différence, dans la Trinité, entre le Père qui est seul Dieu, et les deux autres personnes, qui seraient des sous-dieux, des divinités du second ordre. Père, Fils et Saint Esprit ne seraient pas un seul Dieu en trois personnes, toutes trois consubstantielles, mais un dieu et deux divinités, de natures semblables quoique différentes. Bref, rien de catholique dans ces propositions. Et pourtant, une part notable de l’Église avait rallié la cause arienne – plus simple à tenir, moins mystérieuse – et les débats étaient vifs entre les tenants des deux partis. Dans le cas de Milan, Auxence étant arien, une bonne partie de son diocèse l’avait suivi. Mais nombre de catholiques restaient attachés au dogme trinitaire. Le choix du nouvel évêque était donc capital pour tous, et revêtait un enjeu géopolitique important. Or à cette époque, la vox populi, la voix du peuple, était très importante dans la désignation des évêques… C’est dans ce contexte explosif qu’Ambroise parvient à Milan.
Pour éviter une querelle sanglante entre les chrétiens, il les rejoint dans la cathédrale au moment où les discussions vont bon train, où les tensions montent, où la journée risque de finir dans un bain de sang. Il est certes intéressé personnellement par le résultat des discussions, puisqu’il est devenu catéchumène, mais c’est bien en gouverneur, qu’il harangue la foule, avec comme mot d’ordre : le calme, la discipline, le bon ordre et non la chienlit.
C’est alors qu’au milieu de l’assemblée, une voix d’enfant s’exclame : « Ambroise évêque ! » Le premier moment de stupeur passé, c’est toute la foule qui reprend l’idée : « Ambroise évêque ! ». Et malgré ses protestations, malgré ses tentatives pour décourager les fidèles, pour se décrédibiliser à leurs yeux, et même ses tentatives de fuite, Ambroise ne parvient pas à les faire changer d’avis, ni les évêques qui procéderont au sacre. Comprenant enfin que la voix de Dieu s’est fait entendre par cet événement, le gouverneur de Milan renonce à sa charge politique pour embrasser celle que lui réserve le Christ : évêque du diocèse, pasteur du troupeau. En l’espace d’une semaine, il reçoit le baptême, la confirmation, l’ordre, puis le sacre épiscopal le 14 décembre 374.
Un évêque qui se forme pour former
Quelques semaines de prières et de formation, est-ce assez pour tout connaître du christianisme, assumer les fonctions de pasteur et de guide d’un diocèse ? Notre saint a bien conscience de ses lacunes, aussi poursuit-il assidûment ses études : mieux connaître le Christ pour pouvoir mieux l’aimer, et mieux le faire aimer ! Le résultat, ce sont de nombreux traités et ouvrages théologiques, sur un grand nombre de sujets (la virginité, la charge de pasteur, les six jours de la création, etc.). Le résultat, ce sont aussi des sermons tous les dimanches, qui allient la bienveillance et l’érudition. Il veille encore à la sanctification et à la formation du clergé et des fidèles de son troupeau. Bref, saint Ambroise prit très à cœur sa charge épiscopale. Ce qui permit à nombre de gens de se convertir, en particulier à un jeune intellectuel venu d’Hippone, en Afrique du Nord : le futur saint Augustin !
Défenseur de la Vérité face aux ariens : une question d’église.
En parallèle, la lutte doctrinale contre l’hérésie arienne se poursuit, et cette fois au plus haut niveau de l’Etat. La régente Justine, princesse arienne, voulut en effet obtenir une église pour servir de lieu de culte à un prêtre arien. Elle fit ordonner à Ambroise de la lui donner ; le courageux évêque refusa : il ne pouvait livrer d’église aux ariens, et ni l’empereur ni la régente ne pouvaient venir en prendre possession. En effet, l’église est la maison de Dieu, dont les évêques sont les gardiens et non les maîtres, et sur laquelle les rois n’ont aucune autorité légitime. Permettre l’accès aux Ariens, ce serait à coup sûr favoriser un culte non catholique : d’où la fermeté du refus de saint Ambroise.
La régente Justine décida alors d’employer la force, pour déloger manu militari ces empêcheurs de tourner en rond, quitte à faire un massacre. Pour décapiter la résistance, saint Ambroise est banni de Milan. Sentant venir le danger, et désireux d’éviter tant un bain de sang qu’une profanation du lieu saint, l’évêque s’enferme avec des fidèles dans l’église en question. Il calme les chrétiens, et les fait prier longuement, des psaumes et des cantiques composés pour l’occasion, pendant qu’à l’extérieur c’est un véritable siège qui s’installe. Pas d’affrontement direct dans cette guerre de positions : la patience des chrétiens et leur persévérance furent finalement récompensées : au bout de plusieurs jours, les assaillants levèrent le siège et cessèrent de réclamer une église comme lieu de culte. Ce fut une grande victoire pour Ambroise, un triomphe pour la Vérité !
Défenseur de la vérité face aux païens : quelle est la source de la victoire ?
Ambroise eut aussi maille à partir avec les tenants d’un retour au paganisme à partir de 382, en particulier avec le sénateur Symmaque. Ce dernier, alors préfet de Rome, demanda à l’empereur de remettre en place au Sénat la statue de la déesse de la Victoire, installée par l’empereur Auguste, et qui avait été enlevée quelques années plus tôt suite à la progressive conversion de l’Empire et des empereurs eux-mêmes au christianisme. Aussitôt une alliance de sénateurs païens se forma, et pour défendre les idoles, le champion fut Symmaque. Dès que saint Ambroise eut vent de l’affaire, il s’empressa de répondre vigoureusement à l’empereur. Relever cette statue d’une divinité païenne est impossible pour quiconque se dit chrétien. Cette prétendue divinité n’est qu’une invention des hommes, une œuvre de leurs mains, qui ne peut qu’occulter le Vrai Dieu dont dépend toute victoire ! Saint Ambroise réussit à convaincre l’empereur, ce qui n’empêcha pas Symmaque de tenter la même démarche avec l’empereur suivant. Mais une fois encore, saint Ambroise intervint et obtint gain de cause : face au polythéisme païen dont cette statue devenait le symbole, il parvint à affirmer et proclamer l’unicité du Dieu tout-Puissant !
Un miracle et deux morts dans le Seigneur.
Toute sa vie d’évêque, saint Ambroise travailla sans relâche pour affirmer la vérité, proclamer la bonne nouvelle de l’Évangile, éclairant les ténèbres de l’erreur par la lumière de la vérité et favorisant les œuvres charitables autour de lui. Vint enfin le moment d’achever son pèlerinage sur terre, pour aller auprès du Maître dans les Cieux. Ce fut en 397, quelques mois après la mort d’un autre grand évêque : saint Martin de Tours, apôtre des Gaules.
À ce sujet, les sources milanaises comme tourangelles précisent un fait surprenant. Un jour, alors qu’il commençait à célébrer la messe à Milan, saint Ambroise tomba dans un profond sommeil, qui dura entre deux et trois heures, et laissa les assistants perplexes. Quand il revint à lui, il affirma qu’il venait de célébrer les obsèques de saint Martin, à Tours. Pourtant, la nouvelle de la mort de saint Martin n’avait pas encore franchi les Alpes… Cette annonce surprenante fut cependant confirmée quelques jours après par l’arrivée de messages le précisant. Qui plus est, saint Grégoire de Tours, successeur de saint Martin, affirme que c’est saint Ambroise lui-même qui présida à la messe d’enterrement, qui se déroulait précisément en même temps que le sommeil mystérieux de saint Ambroise à Tours. Quelques temps après, ce fut à saint Ambroise de remettre son âme à Dieu : « je ne crains point de mourir, disait-il, car nous avons affaire à un bon maître ».
À nous de prendre la relève, de vivre de telle sorte que nous puissions dire cela nous aussi !