« Ô vous tous qui passez par le chemin ! considérez, et voyez s’il est une douleur semblable à la mienne ! » (Lm 1, 12). Sur le chemin qui nous conduit à la Croix, la Vierge Marie se tient, debout ; plus que toute autre, elle communie aux souffrances du Sauveur pour le monde, de l’enfance à la vie publique de son Fils, et nous introduit dans la méditation de la Passion.
Nous avons mis, pour chaque douleur de la Vierge Marie, le texte évangélique correspondant – ou se rapprochant le plus – ; ainsi que des extraits du très beau livre du Cardinal Charles Journet, Notre Dame des Sept Douleurs.
Première douleur : La prophétie du vieillard Siméon
Lc 2, 34-35 : Son père et sa mère étaient dans l’étonnement de ce qui se disait de lui.
Syméon les bénit et dit à Marie, sa mère : “Vois ! cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction – et toi-même, une épée te transpercera l’âme ! – afin que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs.”
Méditation de C. Journet :
« C’est ici la première des sept douleurs. Elle est lourde de toutes les autres qu’elle annonce obscurément. Elle remplit le cœur de la Vierge d’une peine inénarrable. […] Cette prophétie la bouleverse. Il faut dire davantage : elle la comble d’amertume. Tout son être est brisé. Toute sa beauté noyée dans la tristesse. […]
Pourtant elle n’est point abattue. Du fond même de son amertume monte en elle la lumière d’une aurore inouïe. Elle est sûre désormais d’être divinement associée à la souffrance de son Fils. Elle est sûre qu’il y aura, pour adoucir la cruelle Passion de l’Enfant, la tendre Compassion de la Mère. Soutenue par cet espoir sublime, elle attend le glaive profond qui, en même temps que le cœur de son Enfant ouvrira son cœur de Mère. Déjà la parole de Siméon est entrée en elle violemment comme un glaive. Les sept douleurs sont commencées[1]C. Journet, Notre-Dame des sept douleurs, Saint Maurice, éditions de l’œuvre saint Augustin, 1955, p. 21-23. »
Deuxième douleur : La fuite de la sainte famille en Égypte
Mt 2, 13-21 : Après leur départ, voici que l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi ; prends l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte. Reste là-bas jusqu’à ce que je t’avertisse, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. » Joseph se leva ; dans la nuit, il prit l’enfant et sa mère, et se retira en Égypte, où il resta jusqu’à la mort d’Hérode, pour que soit accomplie la parole du Seigneur prononcée par le prophète : D’Égypte, j’ai appelé mon fils.
Méditation de C. Journet :
« O, cette déréliction dans ces jours et dans ces nuits, sur la route du désert ! Dieu ne fera-t-il pas quelque miracle pour cet Enfant qui est à Lui ? Mais est-ce bien son Enfant, ce petit être fragile qui souffre et ne parle pas ? Alors pourquoi semble-t-il qu’Il s’en soucie à peine ? Pourquoi l’abandonner, entouré d’ennemis, à la providence insuffisante et trop démunie de deux pauvres ? Ce n’est pas seulement leur cœur, c’est leur foi qui est éprouvée par tant de mystère.
Mais elle ne chancelle pas. Elle s’épure dans la nuit. Du moins, dans ces longs voyages entre l’exil et la patrie, une douceur est restée à la Vierge. Elle a gardé son Enfant près d’elle. Elle a continué de l’envelopper de langes comme dans l’étable. Elle a veillé tous les jours sur lui. Elle ne l’a jamais perdu[2]C. Journet, Notre-Dame des sept douleurs, p. 24-26.! »
Troisième douleur : La disparition de Jésus pendant trois jours au Temple
Lc 2, 41-52 : Chaque année, les parents de Jésus se rendaient à Jérusalem pour la fête de la Pâque. Quand il eut douze ans, ils montèrent en pèlerinage suivant la coutume. À la fin de la fête, comme ils s’en retournaient, le jeune Jésus resta à Jérusalem à l’insu de ses parents. Pensant qu’il était dans le convoi des pèlerins, ils firent une journée de chemin avant de le chercher parmi leurs parents et connaissances. Ne le trouvant pas, ils retournèrent à Jérusalem, en continuant à le chercher. C’est au bout de trois jours qu’ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs de la Loi : il les écoutait et leur posait des questions, et tous ceux qui l’entendaient s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses. En le voyant, ses parents furent frappés d’étonnement, et sa mère lui dit : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! » Il leur dit : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait. Il descendit avec eux pour se rendre à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements. Quant à Jésus, il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes.
Méditation de C. Journet :
« Perdre son enfant ! Une mère, même ordinaire, perd-elle jamais son enfant ? Non, cela n’arrive pas. Comment cette Mère aurait-elle perdu cet Enfant, s’il ne l’avait lui-même fait exprès ? C’est lui qui a volontairement égaré la vigilance de ses parents. C’est lui qui au moment du départ a mis un bandeau sur leurs yeux. […]
La troisième douleur, que préparaient les deux premières, la douleur de sentir se rompre progressivement les liens de la présence visible, si purs, qui l’attachaient ineffablement à son Enfant, ce sera, elle le voit, et elle le veut, – d’une volonté déchirée, pareille à celle dont Jésus voudra ce que veut le Père, verumtamen non sicut ego volo sed sicut tu -, la douleur qui se creusera tous les jours dans son cœur : la douleur qui la fera mourir. […]
Si son Enfant, tout Fils de Dieu qu’il est, doit apprendre sur la Croix ce que c’est qu’obéir, comment n’aurait-elle pas à apprendre, jour par jour, la science expérimentale de la douleur qui sépare ? […] La disparition momentanée de Jésus et surtout les paroles qui la justifièrent avaient la valeur d’une seconde prophétie douloureuse, qui venait élargir celle de Siméon, et qui ne révélerait que jour par jour son entière signification[3]C. Journet, Notre-Dame des sept douleurs, p. 26-33.. »
Quatrième douleur : Jésus rencontre sa Mère sur le chemin de croix
Lc 23, 28-31 : Le peuple, en grande foule, le suivait, ainsi que des femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur Jésus. Il se retourna et leur dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants ! Voici venir des jours où l’on dira : “Heureuses les femmes stériles, celles qui n’ont pas enfanté, celles qui n’ont pas allaité !” Alors on dira aux montagnes : “Tombez sur nous”, et aux collines : “Cachez-nous.” Car si l’on traite ainsi l’arbre vert, que deviendra l’arbre sec ? »
Méditation de C. Journet :
« Outre le ramassis d’hommes et de femmes, prêts à outrager Jésus, que la haine et de troubles instincts rassemblent autour de lui, il se trouve néanmoins quelques femmes, dont plusieurs sans doute l’avaient connu et aimé, et qui sentent leur pitié s’émouvoir. La Vierge est au milieu d’elles. […] Elle pleure donc, cachée parmi les autres femmes. Et quand Jésus s’arrête pour parler, elle sait d’avance qu’il ne lui dira rien, à elle.
C’est aux filles de Jérusalem qu’il s’adresse. Il ne veut pas qu’elles pleurent sur lui. Il ne veut pas de consolation sensible. Elles doivent pleurer sur elles-mêmes et leurs enfants. Mais pour la Vierge, qui pleure au milieu d’elles, il ne faut pas qu’elle pleure sur son Enfant. Il faut qu’elle pleure sur les enfants d’autres femmes, sur les enfants de ceux qui font mourir son Fils. Elle veut bien, depuis longtemps elle veut tout. Mais quels brisements nouveaux lui sont demandés et que la nature, en elle, est écrasée !
Que sa tâche, en même temps, devient sublime ! Elle pleure sur les péchés des hommes. Elle souffre non pour elle-même, mais pour le salut du monde. Sa souffrance, toute proche de la souffrance rédemptrice, est une souffrance corédemptrice. Elle expérimente dans quelles régions de souffrances il faut pénétrer, par amour, pour arracher les hommes aux rigueurs terribles qui les menacent. […]
La Vierge Marie connaît alors la mystérieuse immensité de la Rédemption. Elle voit, d’une part, toute l’étendue du péché du monde, et, d’autre part, l’intensité et l’infinie dignité de la douleur au prix de laquelle il est compensé.
À la suite de son Fils, elle descend plus avant que jamais, avec tout son être, avec son cœur et son corps, dans les profondeurs de la souffrance rédemptrice[4]C. Journet, Notre-Dame des sept douleurs, p. 57-59..
Cinquième douleur : Marie debout au pied de La Croix
Jn 19, 25-27 : Or, près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui.
Méditation de C. Journet :
« Marie est debout au pied de la croix. Elle ne défaille point. Elle n’est point soutenue par les saintes femmes. C’est elle, au contraire, qui soutient alors toute l’Église par l’élan de son amour, fort comme la mort. Elle écoute debout les Sept Paroles qui tombent du haut de la croix dans la désolation de son cœur. Stabat Mater dolorosa. […]
II semble bien qu’elle a maintenant tout donné, et qu’elle n’a plus rien qu’on puisse lui ravir. Pourtant son Fils va lui demander une séparation plus douloureuse encore. II ne veut pas qu’elle attende, pour n’avoir plus de Fils, le moment où il va mourir. Pendant qu’il vit encore, il va briser une dernière fois l’amour sensible, pourtant si pur et si discret, qu’il sent monter vers lui du pied de la croix. II veut mourir pauvre et sans mère. Il faut qu’elle accepte dès maintenant de reporter sur un autre sa tendresse maternelle : “Jésus donc, voyant sa Mère, et, tout près, le disciple qu’il préférait, dit à sa Mère : Femme, voici ton fils.”
Cette parole fut pour Jean d’une douceur indicible. Mais elle bouleversa Marie. Sans doute elle aimait le disciple que Jésus aimait. Mais quel échange ! […]
Pourtant elle restait debout près de la croix. Elle y était encore quand les soldats, après avoir rompu les jambes des deux autres crucifiés, s’approchèrent de Jésus. […] À ce moment, la souffrance du Sauveur vient de se terminer, la Rédemption du monde vient de s’accomplir. Mais la souffrance corédemptrice de Marie n’est pas achevée. […] Marie ressent dans les dernières profondeurs de son être le choc du coup de lance. C’est le terme de la cinquième douleur[5]C. Journet, Notre-Dame des sept douleurs, p. 60-63..
Sixième douleur : Jésus est descendu de la Croix et remis à sa Mère
Mt 27, 57-59 : Comme il se faisait tard, arriva un homme riche, originaire d’Arimathie, qui s’appelait Joseph, et qui était devenu, lui aussi, disciple de Jésus. Il alla trouver Pilate pour demander le corps de Jésus. Alors Pilate ordonna qu’on le lui remette. Prenant le corps, Joseph l’enveloppa dans un linceul immaculé…
Méditation de C. Journet :
« Jésus enfin se laisse embrasser par sa Mère. Elle le serre contre elle comme aux jours d’autrefois. Toutes les douceurs de la première enfance du Sauveur lui reviennent à la mémoire. Mais c’est pour aviver son chagrin.
Hélas ! Si Jésus s’abandonne entre ses bras, c’est que désormais il ne pourra plus être consolé. Il a bu tout seul et sans le secours d’aucune créature humaine le calice de la Passion et de la Mort.
Elle tient maintenant dans ses bras, avec un respect infini, son corps sacré qui, encore que séparé de l’âme, reste pourtant uni immédiatement à la personne même du Verbe. Elle voit ses plaies qu’il est trop tard de panser. “De la plante des pieds au sommet de la tête, il n’y a plus rien en lui de sain, ce n’est que blessures et meurtrissures[6]Is 1, 6”. Encore ne lui appartient-il que pour peu de temps[7]C. Journet, Notre-Dame des sept douleurs, p. 65.. »
Septième douleur : Marie abandonne le corps de son Fils au tombeau
Jn 19, 40-42 : Ils prirent donc le corps de Jésus, qu’ils lièrent de linges, en employant les aromates selon la coutume juive d’ensevelir les morts. À l’endroit où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin et, dans ce jardin, un tombeau neuf dans lequel on n’avait encore déposé personne. À cause de la Préparation de la Pâque juive, et comme ce tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus.
Méditation de C. Journet :
« Pourtant la Vierge est sans révolte, sans violence à l’égard de ceux qui viendront lui redemander le corps de son Fils pour le mettre au tombeau. […] Il va falloir abandonner son Fils. Plus jamais, dans l’avenir, elle ne le reverra sous les traits de cette humanité passible, qu’il a reçue d’elle et qu’elle a tant chérie. Elle supporte cette dernière douleur sans défaillir.
Au soir de la mise au tombeau, quand Joseph d’Arimathie se fut éloigné et que les lumières du sabbat commencèrent à luire dans Jérusalem, elle connut, de science expérimentale, qu’elle n’avait désormais plus personne ici-bas à qui recourir, et de quel poids de souffrance Jésus l’avait chargée en la faisant notre Mère. Ce fut la septième des douleurs.
O vous tous, qui entrez dans ce monde pour y peiner, “considérez et voyez s’il est une douleur comparable à ma douleur !”
Et toi, frère, pour qui elle a pleuré, sur qui elle a pleuré, “n’oublie pas, dans le fond de ton cœur, les gémissements de ta Mère, afin que la propitiation et la bénédiction de ces jours incomparables s’accomplissent en toi[8] In toto corde tuo gemitus Matris tuae ne obliviscaris, ut perficiatur propitiatio et benedictio.”[9] C. Journet, Notre-Dame des sept douleurs, p. 66-69..”
Références[+]
↑1 | C. Journet, Notre-Dame des sept douleurs, Saint Maurice, éditions de l’œuvre saint Augustin, 1955, p. 21-23 |
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↑2 | C. Journet, Notre-Dame des sept douleurs, p. 24-26. |
↑3 | C. Journet, Notre-Dame des sept douleurs, p. 26-33. |
↑4 | C. Journet, Notre-Dame des sept douleurs, p. 57-59. |
↑5 | C. Journet, Notre-Dame des sept douleurs, p. 60-63. |
↑6 | Is 1, 6 |
↑7 | C. Journet, Notre-Dame des sept douleurs, p. 65. |
↑8 | In toto corde tuo gemitus Matris tuae ne obliviscaris, ut perficiatur propitiatio et benedictio. |
↑9 | C. Journet, Notre-Dame des sept douleurs, p. 66-69. |