Chemin de carême avec Claves.org : quatrième dimanche de carême
L’épisode de la perdrix, raconté par saint Jean Cassien, est savoureux ! Nous y voyons saint Jean l’apôtre, durant ses rares heures de repos, jouer avec une petite perdrix apprivoisée. Un jeune chasseur, qui était très désireux de voir le saint, l’ayant un jour surpris au milieu de sa récréation, fut vivement scandalisé. Saint Jean lui demanda avec douceur : « Quel est cet objet que tu portes à la main? » « Un arc », répondit le chasseur. « Pourquoi donc n’est-il pas bandé ? » Le jeune homme répondit : « Parce que, s’il était toujours tendu, il perdrait sa souplesse et deviendrait inutile ». « Ne sois donc pas choqué, reprit le vieillard, de ces courts instants de repos qui empêchent mon esprit de perdre tout ressort».
En ce dimanche de mi-carême, l’Église elle aussi s’accorde une courte récréation au milieu de l’observance du carême, pour poursuivre ensuite avec plus d’énergie, le cycle de la pénitence.
Le retour momentané des fleurs sur l’autel, de l’orgue dans la nef, les couleurs vives des ornements roses offrent à nos âmes une pause bienfaisante dans notre ascension vers le Golgotha.
L’Église s’autorise cette relâche, car elle sait qu’elle ne fait qu’imiter Jésus. Après avoir envoyé ses disciples deux par deux prêcher la venue du Messie dans toute la contrée, le bon Maitre voulait leur accorder un peu de repos. C’est dans ce contexte de retour de mission que Jésus va multiplier les pains et poissons : il faut bien nourrir les corps fatigués et réconforter les esprits. Quittant la rive occidentale et si peuplée du lac, il se retire avec les siens dans les solitudes du nord-est. Mais « une multitude nombreuse le suivait, parce qu’elle voyait les miracles qu’il opérait sur les malades. Jésus monta donc sur une montagne, et là il s’assit avec ses disciples. […] Jésus dit donc : Faites asseoir ces hommes. Or il y avait beaucoup d’herbe en ce lieu. Ils s’assirent donc, au nombre d’environ cinq mille hommes. Jésus prit alors les pains et ayant rendu grâces, il les distribua à ceux qui étaient assis ; il leur donna de même des poissons, autant qu’ils en voulaient. » (Jn 6, 1-15)
Cette nourriture figure la parole de Dieu, nourriture de l’âme, et mieux encore l’Eucharistie, mais elle symbolise aussi les biens matériels que la divine Providence ne manque pas de nous distribuer avec largesse pour le soulagement de la nature. Il est toujours dangereux d’exagérer le spiritualisme et de séparer ce que Dieu a joint. Notre nature humaine, un corps et une âme, est le point d’appui et la base de tout notre édifice spirituel ; aussi, tout en mortifiant nos appétits désordonnés, faut-il toujours satisfaire les exigences légitimes de notre faible humanité, donner à « frère âne » – l’expression est de saint François et désigne notre corps – ce qui lui est nécessaire. Sauf d’évidentes exceptions en faveur d’âmes privilégiées assistées par la grâce, les maîtres de la vie spirituelle insistent beaucoup sur la vertu de discrétion, qui est le juste milieu entre deux excès contraires. Quelques-uns, pour avoir témérairement tenté de s’en passer dans les choses spirituelles, ont donné raison au proverbe : « Qui veut faire l’ange finit par faire la bête. » Il est bon, nous enseignent les maîtres spirituels, de faire généreusement des pénitences, puis de les suspendre, ou d’en changer, pour garder notre liberté intérieure.
On taquinait saint Philippe de Neri, si plein de mansuétude, en disant « qu’il conduisait les gens au ciel dans un carrosse de grand luxe ». Saint Ignace de Loyola nous semble austère et rigide ? Cependant il déclarait que, si les membres d’une communauté religieuse n’étaient pas bien nourris, ils ne pouvaient pas bien prier. Dans l’ouvrage intitulé : D’un bon Supérieur, on peut voir comment il tourmentait sans cesse les Pères Procureurs, pour obtenir une meilleure nourriture et d’une qualité supérieure. Saint François de Sales se plaignait à l’évêque de Belley des mauvais dîners qu’il lui servait !
Les délassements sont indispensables. Du reste, toutes les récréations renferment une occasion de pratiquer quelques vertus. Tenez ! la gratitude et la charité par exemple.
Nous prendrons la résolution d’accompagner tous nos repas d’un grand sentiment de reconnaissance pour la Providence qui nous les donne ; pourquoi ne pas inviter aussi à notre table dominicale aujourd’hui ou dimanche prochain un célibataire ou une personne seule de la paroisse : l’organiste, le sacristain peut-être ?