L’affiche et le synopsis laissent songeur : un film d’horreur chrétien ? Au-delà du cliché, « Nefarious » est une expérience cinématographique intéressante et originale, que nous recommandons sans peine.
Le synopsis
James Martin, jeune mais brillant praticien, auréolé déjà d’une certaine renommée, se présente à la porte du pénitencier de l’État d’Oklahoma. Sa mission est singulière : il a été appelé d’urgence pour l’analyse psychiatrique d’un condamné à mort de sinistre réputation, Edward Wade Brady. Avant son exécution, le prisonnier doit être expertisé une dernière fois, afin de s’assurer que ses crimes ont été commis en pleine responsabilité. Mais le spécialiste qui avait été appelé pour effectuer ce dernier contrôle – le propre maître du jeune psychiatre – fait défaut : il vient de mettre fin à ses jours. En l’accueillant dans l’enceinte, le directeur de la prison demande à l’expert de faire vite : le condamné a demandé à être exécuté par la chaise électrique, et la chose est prévue pour 16h30.
Bientôt, James Martin se retrouve seul face au prisonnier, et le dialogue s’engage. Dès que Brady commence à parler, on se retrouve transporté dans une atmosphère étrange : le condamné appelle par son nom le jeune praticien, qu’il n’a pourtant jamais rencontré, et semble connaître plusieurs détails de sa vie. Alors que le dialogue s’instaure, le prisonnier ajoute, à l’endroit du psychiatre, cette prédiction glaçante : « aujourd’hui, tu commettras trois crimes ».
Dédoublement de personnalité ou possession ?
Aux premiers mots de Brady on soupçonne que le cas n’est pas simple : il paraît tantôt apeuré et terrorisé, soumis à la coupe d’une sorte de tyran intérieur, tantôt sûr de lui et dominateur, parlant non plus comme s’il était le représentant des puissances infernales. Faut-il conclure qu’Edward Wane Brady, le célèbre condamné à mort, serait possédé par un esprit diabolique ? Le psychiatre James Martin, fort de sa formation scientifique et de son esprit rationnel, ne peut s’y résoudre. Dans le dialogue qui se poursuit, la face sombre de son interlocuteur semble prendre une place croissante, jusqu’à exercer sur lui une certaine domination : dévoilant ses cartes, l’esprit qui se fait appeler « Nefarious » (« infâme ») lui présente un manuscrit qu’il lui demande de faire publier, un livre qui – dit-il – révolutionnerait l’humanité, un contre-évangile qui rejetterait absolument l’idée de péché.
L’intrigue mène à un dénouement aussi inattendu que mystérieux… James Martin a-t-il réellement commis trois crimes ? Edward Wade Brady était-il possédé ? Quelle mission le diable aurait-il voulu confier au jeune psychiatre ? Le suspense parfaitement maîtrisé, l’ambiance tendue sans être oppressante, font entrer de plain-pied dans l’univers de « Nefarious ». Au-delà de l’excellente tenue du scénario, le thriller de Chuck Konzelman permet d’introduire de nombreux thèmes spirituels, théologiques et moraux. La confrontation des certitudes rationalistes du psychiatre et de l’évidence des manifestations diaboliques entourant son patient place l’athéisme moderne face à la question de l’existence du monde invisible et des esprits : le diable peut-il être une paradoxale preuve de Dieu ? Le discours du possédé permet ensuite d’introduire et de clarifier certaines notions importantes de théologie angélique : création de l’univers invisible, destinée et révolte des démons, opposition luciférienne au plan d’amour divin… Les thèmes sont abordés sans que l’on puisse dire pour autant que l’on trouve exprimé par Nefarious la clarté d’enseignement du catéchisme.
Au plan moral surtout, le scénario fait intervenir de manière subtile une réflexion plus profonde sur la présence de la mort dans les sociétés contemporaines, avec le contraste entre l’horreur des crimes de Brady et de sa condamnation à mort et l’acceptation silencieuse et consensuelle d’autres formes de mise à mort violente (avortement, euthanasie). La mention discrète de la présence de cette culture de mort dans les nations modernes n’a pas échappé aux nombreux critiques qui ont immédiatement disqualifié « Nefarious ». « Tu es mon meilleur ami » pourra finalement dire le diable au jeune psychiatre, en qui se retrouvent grands paradoxes de la modernité occidentale.
Du huis clos psychologique à la réflexion théologique
Le scénario fait donc passer d’un huis clos psychologique mené tambour battant à une réflexion théologique plus profonde. Le jeu des acteurs, notamment Sean Patrick Flanery qui interprète les deux personnalités de Brady/Nefarious, permet de rentrer dans le suspense de l’intrigue sans faire de « Nefarious » un véritable film d’horreur. Les images – principalement filmées dans la même salle de la prison – ne sont pas proprement choquantes. On recommandera cependant aux âmes les plus sensibles et aux plus jeunes une certaine prudence puisque le film est marqué par la tension psychologique croissante. La scène de l’exécution en particulier pourrait être dure pour certains.
On nous permettra d’apporter une réserve sur un autre point : le thème toujours délicat de la possession diabolique. S’il est intéressant – nous l’avons dit – de confronter l’incrédulité et la rationalité modernes avec l’existence du mal et du démon, ce sujet doit néanmoins être abordé avec une grande prudence, tant il est propre à exciter une curiosité qui pourrait rapidement devenir déplacée, voire malsaine.
Dernière scène qui pourra en déranger certains parmi les catholiques : celle de l’intervention d’un prêtre à l’aspect extérieur et à l’attitude étonnants, aumônier de la prison, qui manifeste encore moins de foi dans l’existence du démon que le psychiatre rationnel. Faut-il y voir un relent d’anticléricalisme ou une critique déguisée de l’Église instituée, de la part des réalisateurs (protestants) du film ? On peut en tout cas regretter cette intervention qui n’apporte finalement pas grand-chose au scénario.
Que conclure ? Faut-il voir « Nefarious » ? Assurément, avec les quelques avertissements sous-jacents : on passera un vrai moment de frisson cinématographique, propre à nourrir la réflexion et la discussion.