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L’Évangile au cœur (1 sur 2)

Depuis une dizaine d’années, un groupe travaille sur un parcours de mémorisation orale de l’Évangile, selon les dernières avancées de la recherche sur les Églises apostoliques et la première évangélisation. « L’Évangile au cœur » réunit aujourd’hui plus de 50 équipes dans différents lieux, avec plus de 400 personnes qui apprennent l’enseignement de Notre Seigneur et témoignent de l’effet de cette imprégnation dans leur cœur et leur vie.

Pour comprendre ce qui se vit avec « L’Évangile au cœur », Claves a interrogé Bernard Scherrer, initiateur et animateur de ce beau mouvement. L’interview sera publiée en deux parties.

Retrouvez aussi l’article sur les hypothèses Richard Bauckham quant à la mémorisation des Évangiles par les premiers chrétiens.

Claves : D’où vient l’idée de l’Évangile au cœur ?

Bernard Scherrer : J’ai rencontré en 2012 Pierre Perrier, un grand scientifique et orientaliste chrétien, lors d’une conférence dans ma paroisse sur l’origine des Évangiles. Il racontait comment les textes évangéliques avaient d’abord été composés et fixés très tôt (pour l’essentiel avant l’an 37), par oral, par les apôtres et Marie, à partir de l’enseignement oral de Notre Seigneur, et dans sa langue, en araméen. Ensuite, d’après lui, la diaspora hébraïque araméophone, répartie sur les routes et les comptoirs du réseau de commerce mésopotamien, a permis la diffusion orale de l’Évangile. Cela s’est fait, selon Pierre Perrier, en s’appuyant d’abord sur une mémorisation de l’enseignement de base dans les maisons, autour d’une ‘mère de mémoire’ ou d’un frère. La Parole peut alors essaimer de maison en maison, et chacun ensuite à son tour faire mémoriser six nouveaux catéchumènes.

Ce fut pour moi un vrai changement de regard sur les origines de l’Évangile et une ‘bonne nouvelle’ : les Évangiles que nous avons dans les mains sont fiables – ils sont la traduction en grec et en latin de l’enseignement même de Notre Seigneur et des apôtres, depuis un Évangile en araméen, soigneusement conservé, au mot près, par nos frères orientaux chaldéens.

L’autre bonne nouvelle, c’est que le Bon Dieu n’a pas fait un « loupé » en s’incarnant en Palestine, territoire araméophone, pour que son Évangile soit finalement composé en grec. Pour m’être frotté professionnellement à des problèmes de traduction et de management interculturel, je savais combien, en traduisant un message d’une langue et d’une culture dans une autre, il est difficile de ne pas le déformer. Or Dieu s’est incarné « au milieu des nations », dans la langue et la culture du principal réseau commercial mondial, qu’Il avait Lui-même préparé : le réseau parthe dont les hébreux de la diaspora étaient partie prenante, et l’araméen la langue franche – l’anglais de notre mondialisation contemporaine. Quelques jours plus tard, je lus dans un de ses livres, que Pierre Perrier pensait qu’il serait intéressant de relancer des groupes de mémorisation par cœur reprenant les principes de la première évangélisation. Je suis allé le trouver pour lui dire : « chiche ! » … et nous l’avons fait.

Claves : Qu’est-ce qui vous a décidé à vous lancer dans un tel chantier ?

BS : Effectivement, je suis resté prudent dans les premiers contacts avec Pierre Perrier. Mais tant que mon épouse et moi ne savions pas que l’apprentissage par cœur était le point de départ de toute la catéchèse évangélique, nous entendions l’Évangile sans vraiment l’écouter. Sachant cela au contraire, des passages d’Évangile sont venus à plusieurs reprises sonner à nos oreilles pour nous montrer que c’était bien par-là qui fallait passer.

Claves : Par exemple ?

BS : Par exemple en Jn 14 : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui. Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles ; et la parole que vous entendez n’est pas de moi, mais du Père qui m’a envoyé. »

Garder la Parole, c’est avoir la Trinité qui fait sa demeure chez soi ! Et comment pourrions-nous garder la Parole autrement qu’en l’ayant dans le cœur, par cœur ? Il ne peut pas s’agir d’avoir un livre posé au milieu d’une église avec quatre hommes en armes autour !

Et si je refuse de mémoriser la Parole, je vais entendre en Jn 5 : « Mais j’ai plus grand que le témoignage de Jean : les œuvres que le Père m’a données à mener à bonne fin, ces œuvres mêmes que je fais me rendent témoignage que le Père m’envoie. Et le Père qui m’a envoyé, lui, me rend témoignage. Vous n’avez jamais entendu sa voix, vous n’avez jamais vu sa face, et sa parole, vous ne l’avez pas à demeure en vous, puisque vous ne croyez pas celui qu’il a envoyé. » Si je refuse de mémoriser la Parole, c’est peut-être qu’en fait je ne crois pas en Jésus ? Le livre de l’Apocalypse est encore plus précis, vis-à-vis de l’apprentissage par cœur et de la rumination de la Parole (Ap 1) : « Heureux le lecteur et les auditeurs de ces paroles prophétiques s’ils en retiennent le contenu, car le Temps est proche ! » ou plus étonnant encore en Ap 10 : « Puis la voix du ciel, que j’avais entendue, me parla de nouveau : « Va prendre le petit livre ouvert dans la main de l’Ange debout sur la mer et sur la terre. » Je m’en fus alors prier l’Ange de me donner le petit livre ; et lui me dit : tiens, mange-le ; il te remplira les entrailles d’amertume, mais en ta bouche il aura la douceur du miel. »

Le « petit livre » c’est nécessairement l’Évangile, et il faut le manger ! Or mémoriser c’est bien manger un texte, car l’apprentissage par cœur demande et provoque une rumination du texte bouchée après bouchée.

C’est assez vite devenu une évidence pour mon épouse et moi : évangéliser c’est donner l’Évangile et comment donner l’Évangile si je ne l’ai pas en moi… ou seulement approximativement ? Évangéliser, ce n’est pas donner un livre : « tiens ! Débrouille-toi avec ça ». C’est donner une parole vivante, et comment pourrais-je donner une parole vivante si je ne l’ai pas vivante en mon cœur, par cœur, pour pouvoir la donner de cœur à cœur ?

Le comble a été une parole de Benoît XVI, prononcée lors des journées missionnaires de 2012, et que nous avons découverte un peu plus tard, qui correspond juste à ce que nous proposons.

Nous avons besoin de retrouver l’élan des premières communautés chrétiennes qui petites et sans défense furent capables par l’annonce et le témoignage, de diffuser l’Évangile dans l’ensemble du monde alors connu.

Claves : Justement, quelles sont les spécificités de la première évangélisation que vous avez reprises dans l’Évangile au cœur ?

BS : Dans toutes les civilisations orales, les textes oraux à mémoriser sont organisés en ‘perles’ et en colliers’.

Une perle, c’est le texte de base de la mémorisation, ce que l’on mémorise en une fois (pour les grosses perles, en deux fois), un texte très oral, très structuré, donc plus facile à retenir. Typiquement, une fable de La Fontaine.

Un collier, c’est un ensemble de perles cohérent, organisées dans un certain ordre autour d’un thème. Les perles se font écho de l’une à l’autre autour du thème. Chaque perle a sa saveur, mais la mise en relation de l’une à l’autre apporte aussi un enrichissement, un éclairage réciproque. Sur une intuition du père Marcel Jousse, le grand anthropologue de l’oralité et de la mémoire, Pierre Perrier s’est mis au travail, en collaboration avec un chorévêque chaldéen, Mgr Alichoran, pour retrouver derrière les Évangiles écrits, la structure de perles et de colliers sous-jacente, dont certains étaient restés dans la mémoire de la tradition chaldéenne.

Ensuite, le principe de l’apprentissage en ‘maisons’ où six apprennent autour d’un. Cet apprentissage de base s’appuie le plus souvent sur des femmes, des ‘mères de mémoire qui à l’image de Marie « gardent toutes ces choses en (leur) cœur »… mais il y a bien évidemment aussi des hommes qui font mémoriser.

Puis l’idée de viralité : si l’on apprend, c’est pour un jour pouvoir faire apprendre et transmettre à son tour ce que l’on a reçu. Donc celui qui mémorise dans un groupe a vocation à recruter et monter son groupe à son tour, quand il est mûr pour cela.

Enfin quand le nombre de groupes de mémorisation voisins les uns des autres est suffisant, il faut inciter les groupes à sortir du cocon confortable de la ‘maisonnée’ et à ‘faire Église’. Il n’y a rien à inventer et les communautés des premiers siècles avaient trouvé la solution : les groupes se réunissent et font un « qoubala » (un repas où l’on est reçu par Jésus). C’est une catéchèse-liturgie qui réunit tous les groupes de mémorisation d’une même paroisse et est fondée sur l’analogie entre le partage et l’échange de la bonne nourriture et le partage et l’échange de la Parole Vivante : on commence par le partage de la Parole récitée à deux chœurs en alternance, puis un repas où les bonnes choses apportées sont partagées, et où chacun sert un autre sans se servir lui-même. Dans l’Orient judéo-chrétien ancien, cette liturgie du samedi soir est accessible au non baptisé contrairement à la messe, le « Qourbana », célébré le dimanche à l’aurore, à laquelle seuls les baptisés ont accès : la mémorisation et la récitation en qoubala fait partie du parcours du catéchumène.

Claves : Concrètement, que propose l’Évangile au cœur ?

BS : L’Évangile au cœur propose de mémoriser en groupe de six ‘mémorisants’, un parcours catéchétique organisé par ‘niveaux’. Chacun de ces niveaux comprend une vingtaine ou une trentaine de perles organisées en ‘colliers’ représentant deux ou trois ans de mémorisation au rythme tranquille mais persévérant d’une séance de mémorisation tous les 15 jours. Chaque mémorisation fait découvrir et goûter la saveur d’un nouveau passage qui va nourrir spirituellement la quinzaine. Chaque niveau est conçu pour donner un ensemble cohérent et nourrissant. Celui qui arrêterait à la fin d’un niveau part déjà avec un beau bagage dans sa musette de mémoire. Sous peu, ce seront 4 niveaux qui seront disponibles. Mais se sont plus les déménagements que les découragements qui viennent perturber les groupes…

Si certains groupes très motivés font une mémorisation hebdomadaire, le rythme d’une séance par quinzaine permet à ceux qui mémorisent de se lancer, dès qu’ils se sentent ‘mûrs’ pour monter un nouveau groupe. Ils continuent à apprendre dans leur groupe d’origine et font apprendre dans le groupe dont ils ont pris la charge.

La séance de mémorisation dure une heure maximum, une heure et demie si l’on se donne un temps d’accueil et d’amitié avant ou après. Certains groupes se retrouvent aussi pour un dîner léger et mémorisent avant ou après le dîner.

Les mémorisants sont nécessairement debout, disposés en cercle, et le responsable de groupe fait tourner la récitation dans le cercle. Il va répéter 3 fois chaque ‘bouchée’ (morceau mémorisable en une fois) en gestuant, et en veillant à bien rythmer la phrase, avec les césures de respiration. Dès que possible, tous vont gestuer avec lui et articuler les mots à voix basse, dans le même temps, puis chacun à son tour dans le cercle de mémorisation va répéter à haute voix trois fois en conservant le rythme de la phrase et en gestuant.

Une fois apprises quelques bouchées, le responsable de groupe les fera réciter en les assemblant, jusqu’à réciter la perle en entier. Après la mémorisation commence le travail de rumination. Le mémorisant devra se remémorer la perle apprise le soir même, puis le lendemain matin, puis les jours qui suivent. Le travail de transfert de la mémoire rapide vers la mémoire pérenne se fait pendant la nuit dans les phases de sommeil correspondantes. Les personnes ayant le sommeil léger peuvent en voir leur sommeil perturbé, et c’est bon signe : « il se couche et se relève, c’est la nuit et c’est le jour, et la semence germe, et elle pousse sans que lui-même sache comment » (Mc 4).

Claves : Peut-on démarrer par soi-même, sans avoir déjà de groupe ?

Bernard Scherrer : Oui ! Nous mettons à disposition à la demande sur un site internet privé, qui propose pour chaque perle :

Des vidéos apportant des explications sur le texte, des propositions de gestes et la simulation d’une séance d’apprentissage. Cette simulation permet aux responsables de groupes qui sont « groupe de tête » d’apprendre les perles, même si elle ne remplace pas une vraie mémorisation dans un vrai groupe.

Une fiche avec la traduction de la Pshytta (l’Évangile en araméen des catholiques chaldéens), des notes de traduction et des commentaires à caractère historiques ou spirituels. Cette fiche est transmise par chaque responsable de groupe à la fin de la séance de mémorisation, mais pas avant.

Des audios (.mp3) permettant de répéter ou de réviser.

Claves : Comment se passe alors le lancement d’un groupe ?

BS : Avec ces matériels, il est possible de lancer un groupe avec un processus qui commence à être rôdé :

Quand une personne intéressée se présente et qu’il n’y a pas de groupe à proximité pour l’accueillir, on lui propose une séance en visio pour donner quelques explications, faire mémoriser une perle, et répondre aux questions. À la fin de cette séance, la personne se voit donner un accès au site. Elle a à peu près compris comment la mémorisation fonctionne, et peut mémoriser seule avec le matériel à disposition deux ou trois perles supplémentaires. À chaque perle mémorisée, le responsable de groupe qui la suit à distance lui envoie à sa demande la fiche de la perle.

Après quelques perles apprises ainsi en autonomie, il est proposé de refaire une visio pour vérifier que les perles sont correctement mémorisées avec une récitation gestuée. Après cette phase, la personne peut continuer à mémoriser et elle va, si elle le souhaite, pouvoir commencer à recruter un petit groupe de mémorisation. Quand elle est mûre, la personne peut recruter son groupe. Elle devient « responsable de groupe ».

 

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