Chaque saint a son secret. Quel est celui de saint Joseph ? Son silence. C’est par son silence que Joseph s’est conformé à la volonté de Dieu, et donc est devenu saint. En ce jour de la fête de saint Joseph, tâchons d’entrer dans le mystère de son silence, et d’en découvrir la triple facette.
Le silence extérieur, ou le silence de l’obéissance
Le silence de saint Joseph est d’abord un silence extérieur : l’évangile ne nous rapporte aucune parole de lui. En se taisant, Joseph peut écouter, et entendre les manifestations de la volonté de Dieu : il entend l’ange du Seigneur lui demandant de prendre Marie chez lui[1]Mt 1, 21, de fuir en Égypte avec l’enfant et sa mère[2]Mt 2, 13, puis de retourner en terre d’Israël après la mort d’Hérode[3]Mt 2, 20.
La sainte Vierge avait manifesté son adhésion à la volonté de Dieu par une parole, son fiat : « Je suis la servante du seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole[4]Lc 1, 38 » ; Joseph, lui, ne répond rien, il agit : « Il se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte[5] Mt 2, 14 ; cf. Mt 2, 20. »
Le silence de Joseph rend possible et accompagne son obéissance : en amont, son silence le rend tout disponible à la manifestation de la volonté de Dieu ; en aval, ce même silence chasse les paroles inutiles qui parasitent l’exercice de l’obéissance. Pas de « pourquoi », pas de « oui… mais » dans l’obéissance de Joseph. Sa réponse est dans l’action : on lui donne un ordre, il agit.
Le silence et les paroles du père
Le silence n’est pas seulement l’absence de paroles ; il est d’abord et avant tout une plénitude de vie intérieure. C’est un silence fécond. On connaît la célèbre formule de saint Jean de la Croix : « Le Père n’a dit qu’une seule Parole, c’est son Fils et, dans un éternel silence, il la prononce toujours ». Le Verbe éternel est engendré dans le silence, il entre dans le monde « environné de silence » (« dum medium silentium », selon l’expression de Sg 18, 14, reprise dans l’introït de la messe du dimanche après la Nativité). Le silence de Joseph est comme l’écho, sur la terre, du silence éternel de la génération divine.
Joseph sait que sa mission est d’être le père adoptif du Verbe de Dieu, la Parole subsistante venue dans le monde pour révéler aux hommes les secrets de Dieu, et les appeler au salut. Cette Parole, Joseph le sait, est « vivante, […], efficace et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants[6] He 4, 12 ». Joseph comprend que son rôle dans l’histoire du salut n’est pas de parler, mais d’accueillir le Verbe comme fils, de veiller sur lui, pour que, quand le temps sera venu, sa parole de salut puisse toucher les cœurs des hommes de bonne volonté.
Certes, ce silence intérieur n’est pas à confondre avec le mutisme : comme tout père qui se respecte, Joseph a parlé à son fils. C’est d’ailleurs de lui, et de la sainte Vierge, que Jésus a appris, selon sa science humaine, la langue des hommes de son pays. N’est-il pas émouvant de penser que les accents si touchants de la prédication de Jésus, que les paroles bouleversantes de compassion et de miséricorde que nous rapporte l’évangile, se sont formés petit à petit, dans le cœur et la bouche de Jésus, au contact des paroles de ses parents ? Les paroles de Joseph nous restent à jamais inconnues, mais c’est un peu de leur musique qui nous parvient quand nous entendons celles de Jésus.
Le silence de l’épreuve
Il est un dernier aspect du silence de Joseph. Le plus profond et le plus mystérieux, car c’est lui qui révèle le secret de sa sainteté. C’est le silence de l’épreuve. L’épreuve, pour saint Joseph, a consisté à prendre chez lui Marie, alors enceinte, tout en sachant qu’il n’était pas le père de l’enfant à naître. Joseph a exercé dans cette circonstance l’absence de jugement, c’est-à-dire, « le fait, alors que l’on possède dans son esprit tous les éléments qui sont nécessaires pour juger, précisément de ne pas juger[7] P. Guérard des Lauriers, Le silence de saint Joseph, p. 8 ». Il s’agit de renoncer à l’exercice de ce qui fait une part de notre grandeur, à cet acte spontané de l’esprit humain qui consiste à dire ce qui est. Et pour saint Joseph, ce renoncement à juger concernait la personne qu’il aimait le plus sur cette terre, sa propre épouse, celle en qui il avait trouvé la promesse d’une vie heureuse sous le regard de Dieu.
La réponse de Joseph à cette épreuve contient le secret de sa sainteté : saint Joseph a accepté de faire silence, de ne pas juger la sainte Vierge, de renoncer à l’évidence humaine pour lui préférer la lumière de la foi. Il renonce à l’exercice naturel de sa faculté de juger pour laisser la lumière de la foi investir totalement son intelligence. À cet instant précis, Joseph accepte de ne pas nourrir son intelligence avec des vérités humaines proportionnées à sa capacité de compréhension, mais de se laisser nourrir d’en haut par des raisons toutes divines, qui le dépassent. Et c’est dans et par ce silence qu’il se rend disponible à la mission qui l’attendait : être le père adoptif du Verbe incarné.
Une telle héroïcité dans l’exercice du silence est propre à Joseph, à sa sainteté unique. Mais elle indique, tel un modèle transcendant, une voie pour tous les chrétiens : celle qui consiste à ne pas trop juger des choses de ce monde, pour orienter notre esprit vers les choses d’en haut. En d’autres termes, à faire taire en nous les paroles humaines pour laisser le Verbe de Dieu régner en maître dans notre esprit. Puisse saint Joseph nous donner de vivre le mystère de son silence, pour que, à son exemple, nous soyons associés, selon le dessein de Dieu, à l’œuvre du salut.
Références[+]