Le Christ et les apôtres célébraient-ils les saints mystères avec toute la pompe développée par la tradition de l’Église ? Alors pourquoi tant de déploiement liturgique, le dépouillement ne parle-t-il pas mieux de la simplicité de Dieu ? Aperçu général sur les cérémonies du culte, leur histoire et les sources qui nous la font connaître.
Extrait d’un article du P. A. Molien, de l’Oratoire, « Aperçu général des cérémonies du culte », paru dans La Vie Spirituelle 49 (octobre 1923), pp. 30-44.
Pourquoi des cérémonies ?
Notre-Seigneur en instituant le saint sacrifice et les sacrements n’avait prévu aucune des cérémonies[1]Le mot a été diversement orthographié, ceremonia, cerimonia, cæremonia, selon l’étymologie qu’on lui donnait et qui reste incertaine. On le fait venir du transcrit karmon, la chose … Continue reading qui devaient les accompagner; il avait laissé à son Église, dirigée par l’Esprit-Saint, le soin d’inventer des rites, de composer des prières pour revêtir en quelque sorte l’action presque trop simple de la consécration. Nous assistons à ce travail dans les épîtres de saint Paul : il loue les fidèles qui se conforment à ses prescriptions, ajoute de nouvelles pratiques, se réservant de régler les détails à son arrivée[2]Surtout I Cor., XI.. Qu’on ne s’étonne donc point de trouver une très grande différence entre la messe dite par saint Pierre au lendemain de la Pentecôte, très simplement sans doute, sans ornement, sans ministre, sans aucun appareil, et la messe pontificale aujourd’hui célébrée dans les grandes solennités par le pape où l’évêque.
Le développement du culte
La messe est toujours la même : entre les rites de l’une et les grandioses cérémonies de l’autre il y a continuité, développement d’un germe qui grandit conformément à sa nature, il n’y a pas changement proprement dit. La liturgie n’est pas une combinaison faite au hasard d’éléments divers, mais « l’épanouissement laborieux d’une doctrine unique empruntée à un certain nombre de matériaux[3]Newman, Développement du dogme chrétien, c. VIII. Il le dit surtout du dogme, c’est aussi vrai de la liturgie. ». Le progrès se réalisa lentement en sept ou huit siècles au moins, par étapes successives : « Peu à peu, les habitudes devinrent des rites, les rites s’épanouirent en cérémonies de plus en plus imposantes et compliquées; en même temps, on arrêta le thème des prières et des exhortations ; l’usage indiqua à l’officiant les idées qu’il devait développer et l’ordre dans lequel il devait les traiter. On fit plus tard un dernier pas en adoptant des formules fixes qui ne laissèrent plus rien à l’arbitraire individuel et aux hasards de l’improvisation[4]Duchesne, Origines du culte, p. 54.. » Saint Jérôme donne à entendre qu’il existait de son temps un code de règles quand il montre Népotien empressé à les accomplir[5]« In omnes ceremonias pia sollicitudo disposita, non minus, non majus negligebat officium. » Ep. LX,ad Heliod., 12, en 396, P. L., t. XXII, col. 596.. Saint Grégoire le Grand nous est montré réglant les détails du culte[6]Jean Diacre, P. L., t. LXXV, col. 94-176.. Toutefois, il admet encore que dans certains pays on conserve des coutumes particulières. Pendant longtemps en effet, non seulement en Orient, dont nous n’avons pas à nous occuper, mais même en Occident, il y a eu des formes très diverses avec le même fond commun.
La liturgie romaine, toujours prépondérante, finira par absorber tout à fait la liturgie gallicane et plus ou moins les liturgies milanaise et mozarabe. Il lui faudra à peu près neuf siècles pour se composer un culte, trouver, développer, supprimer… ; passé ce temps, on ajoutera peu de chose.
L’origine des cérémonies
L’Église a puisé pour cela un peu partout : 1° Dans la nature de l’homme d’abord et surtout, en donnant à ses gestes, inclinations, génuflexions, etc., un sens religieux, il y a en effet beaucoup de psychologie dans les cérémonies ; 2° en se servant des choses matérielles selon leur signification intrinsèque : la fumée de l’encens monte comme la prière, etc… 3° Elle a pris son bien chez les juifs et même chez les païens.
Racines judaïques
Des juifs, l’Église chrétienne a conservé beaucoup de choses, l’office de la synagogue devient la messe des catéchumènes et probablement le premier noyau de l’office de la nuit, des psaumes sont restés à la même place. Loin de s’en étonner, à cause de l’hostilité croissante entre juifs et chrétiens, il faut convenir que le contraire était impossible. En effet, s’il y eut opposition entre les hommes, les deux religions n’en font qu’une. L’israélite converti continuait d’aller à la synagogue et à l’église, aux sacrifices du temple et à celui de l’autel; plus tard des communautés juives passèrent tout entières à l’Église catholique, conservant leurs usages, qui agirent comme un ferment pour transformer le culte en voie de formation. Le premier évêque de Jérusalem, saint Jacques le Mineur, portait la tunique de lin comme le grand prêtre de l’ancienne loi, avait le-droit d’entrer dans l’enceinte du temple réservée aux prêtres ; quinze de ses successeurs ont été juifs. Pendant quatre siècles environ, l’apport des rites juifs dans la liturgie chrétienne fut si grand, il y eut tant de ressemblance entre les deux cultes, que les papes interdirent la lecture du rituel de la synagogue aux chrétiens qui auraient pu confondre une religion avec l’autre.
Emprunts païens
Aux païens de langue grecque et latine, aux sectes gnostiques et magiques, l’Église a pris aussi, davantage sans doute pour la musique, et il n’est pas aussi facile de le constater. Que de fois cependant, au lieu d’abolir radicalement tous les restes matériels des cultes idolâtres, elle s’est assimilé ce qu’ils contenaient de plus beau et de plus pur! Le christianisme paraît devoir aux cultes païens l’usage de l’eau lustrale, de l’encens, des lampes, de l’anneau de mariage, des ex-voto dans le sanctuaire, le symbolisme du feu nouveau. L’incrédule en profite pour assimiler la religion chrétienne aux religions païennes, il devrait plutôt admirer comment elle a tout transformé pour l’adapter à un autre objet : « Oui, dit saint Augustin, nous avons quelque chose de commun avec les païens, mais notre but est différent. » Brûler de l’encens devant une idole est idolâtre, en brûler en l’honneur du vrai Dieu est saint, vénérer une statue parce qu’elle représente un saint est bien, adresser ses hommages à elle seule est superstitieux parce qu’on substitue l’objet matériel à l’idée qu’il représente; dans le culte chrétien, on honore la réalité, dont les autres cultes ne sont que des contrefaçons.
Lente élaboration des rites
C’est la liturgie nourrie de toutes sortes d’emprunts, mais toujours restée fidèle son origine, que l’on trouve dans les Sacramentaires ou autres écrits du IVe et du Ve siècle. A cette époque elle est déjà riche de tant de biens qu’elle ne fera plus guère que laisser sur son chemin ce qui ne convient plus à sa marche triomphante. Au premier travail d’invention, d’élaboration, en succède un autre qui consiste à éliminer : ainsi beaucoup de formules des plus anciens sacramentaires sont abrégées ou disparaissent, changent de place, etc. Formules communes d’abord, elles se restreignent à telle fête, celle qui figurait à l’offertoire trouve asile dans le canon et réciproquement, les titres mêmes des prières ne restent pas les mêmes, la secrète d’aujourd’hui s’appelle post oblata, post secreta, etc… Il n’y a presque pas de formule qu’on ne retrouve à une autre place. Les recherches de l’érudit n’en sont pas simplifiées sans doute, mais le fidèle profite des trésors amassés par tant de générations. « La liturgie, tout en gardant certaines marques de terroir, est surtout une œuvre de marqueterie, une sorte de mosaïque où l’on retrouve des débris anciens de toute origine. Le prêtre ou le fidèle qui lit aujourd’hui les oraisons de son missel ne se doute guère que parfois dans une seule messe il répète des formules tirées du léonien, du gélasien, du mozarabe, des livres ambrosiens, gallicans ou celtiques, des liturgies grecques ou même de sources plus lointaines, comme la prière de saint Éphrem. »
Références[+]
↑1 | Le mot a été diversement orthographié, ceremonia, cerimonia, cæremonia, selon l’étymologie qu’on lui donnait et qui reste incertaine. On le fait venir du transcrit karmon, la chose faite ou la chose sacrée, de Caere, ville d’Étrurie où les Romains déposèrent leurs objets sacrés lors de l’invasion gauloise, de Cerimonia, abstinence. |
---|---|
↑2 | Surtout I Cor., XI. |
↑3 | Newman, Développement du dogme chrétien, c. VIII. Il le dit surtout du dogme, c’est aussi vrai de la liturgie. |
↑4 | Duchesne, Origines du culte, p. 54. |
↑5 | « In omnes ceremonias pia sollicitudo disposita, non minus, non majus negligebat officium. » Ep. LX,ad Heliod., 12, en 396, P. L., t. XXII, col. 596. |
↑6 | Jean Diacre, P. L., t. LXXV, col. 94-176. |