Apprenons à l’école de saint Jean-Baptiste la vraie humilité, pas celle qui néantise ou qui ratatine, mais celle qui fait ressembler au Christ et rapproche vraiment de lui, lui qui vient nous rejoindre et nous toucher dans l’humilité de l’eucharistie.
Qui êtes-vous, Seigneur, qui vous tenez au fond de nos ciboires ? Qui acceptez ainsi d’être transporté, d’être saisi, d’être donné à chaque communion ? Qui nous demandez et, en même temps, nous donnez de poser cet acte de foi surhumain, proprement surnaturel, de ne jamais banaliser, de ne jamais nous habituer à la Vérité de cette Présence. Il est là. Celui dont nous avons écouté les paroles, celui dont nous demandons si souvent le soutien dans nos prières de chaque jour, celui que nous désirons voir et rencontrer, lorsque se sera évanoui le dernier souffle de notre vie, Il est là. C’est fou ! Peut-être plus mystérieux encore que Jésus enfant porté par le vieillard Siméon, que Jésus mort, porté par Nicodème. Le Fils de Dieu triomphant, vivant, victorieux, porté par le prêtre, de l’autel jusqu’à vous. Qui pourra dire qu’il a sans peine compris ce mystère, qu’il en a pris l’exacte mesure, qu’il l’a paisiblement intégré dans l’architecture de sa foi ? Qui pourra jamais sonder l’abaissement du Fils de Dieu, fruit de son amour, don de sa présence ?
C’est pourtant uniquement à la lumière de cet abaissement qu’il devient possible de comprendre en totale vérité cet appel de saint Jean-Baptiste, qui résume toute sa vie et qui devrait être comme le fil conducteur de notre relation à Jésus : « il faut que Lui grandisse et que moi, je diminue ». Peut-on imaginer mot d’ordre plus beau, plus exigeant, plus absolu ? Pourrait-on proposer, en si peu de mots, meilleur condensé de notre vie chrétienne ?
Il est, néanmoins, trois façons de comprendre ce cri du Précurseur : une mauvaise, une imparfaite et une excellente.
Dieu nous veut-il comme des vers de terre ?
La mauvaise manière serait de croire que Dieu, pour être grand, a besoin que nous soyons ratatinés. Comme si la majesté de Dieu était fonction de notre écrasement. Comme si Dieu et l’homme étaient au même niveau, comme s’ils étaient deux boxeurs sur un ring et qu’il fallait, pour que l’un avance, que l’autre recule, pour que l’un grandisse que l’autre diminue. Non, Dieu n’a nul besoin de nous pour être grand et Il déploie justement sa grandeur en nous élevant à sa propre majesté bienheureuse : « la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant et la vie de l’homme, c’est de voir Dieu » (saint Irénée).
Lecture morale imparfaite : le renoncement
Il est aussi une lecture imparfaite, que j’appellerai ‘morale’, de ce mot d’ordre du Baptiste ; elle pourrait se formuler ainsi : « puisque mon ego de pécheur est surdimensionné, il faut que je le raccourcisse, que je le rapetisse et ainsi Dieu aura plus de place dans mon cœur et dans ma vie ». Cette lecture, naturellement, est juste : plus je diminue l’emprise du péché, plus l’influence de Dieu est susceptible de grandir, plus je renonce à faire de mon petit moi, le centre et le but de toutes choses, plus je peux faire du Christ ce centre et ce but. Cette loi est exacte mais elle ne nous place pas encore au cœur de l’Évangile.
Pour être parfait : il faut le suivre et lui ressembler
Il ne s’agit pas du tout de dire : « écrasons-nous pour que Dieu soit grand ! » ; il ne s’agit pas seulement de dire : « faisons-nous petit et Dieu, qui attend à la porte, pourra enfin entrer quand nous aurons fait le ménage ». Il s’agit de proclamer : « puisque le fils de Dieu, le premier, s’est abaissé, puisque le premier, Il s’est fait petit, je vais – à mon tour – me faire petit et ainsi le fils de Dieu grandira en moi, parce que grandira en moi la ressemblance avec Lui ». Vous le voyez, chers amis, il ne s’agit pas seulement d’un travail moral : « je vais lutter, seul, contre mon orgueil et Dieu viendra ensuite occuper la place ». Non, l’Évangile n’est pas une leçon de morale : c’est une amitié avec le Christ. Il s’agit d’entrer dans ce mouvement divin du Fils de Dieu qui, le premier, a diminué, pour ensuite grandir avec Lui.
Être ami du Christ : le but de la vraie humilité
Si nous le comprenions au quotidien, cette vertu d’humilité qui nous fait fuir, nous serait bien plus désirable. Elle ne serait plus perçue comme un écrasement de nous-mêmes, ou comme un médicament à prendre à contrecœur mais comme un embrassement, une manière de faire un avec le Fils de Dieu qui, le premier, s’est fait humble pour nous emmener dans son triomphe. Contre ceux qui disent : « c’est humiliant de se mettre à genoux ! Les chrétiens qui font la génuflexion n’ont rien compris : Dieu veut nous voir debout ; Il nous a relevés ! », répondons ainsi : « sans doute, Dieu nous a relevés mais, pour cela, Il s’est abaissé et, lorsque je plie le genou devant lui, je me souviens que le premier, Il s’est abaissé. » Ce n’est pas le ver de terre qui se tortille devant le Puissant, c’est l’élève qui, devant le Maître de l’humilité, veut apprendre de Lui que l’amour passe par cette descente, cette offrande, ce cœur ouvert qui fait miséricorde.
À chaque ordination de prêtre, le Pontife – et avec lui notre Mère, la sainte Église – fait entendre cette exhortation : « Imitamini quod tractatis ! » – Imitez ce que vous accomplissez, imitez ce que vous touchez ! Et nous revenons ainsi au début de notre propos : il n’y a pas de meilleure école que de toucher l’Eucharistie, pour imiter dès lors cette humilité désarmante, fascinante, sidérante de Jésus-Hostie. Comme prêtre, on mesure combien la route est encore longue, mais les prêtres comptent sur votre prière et vous assurent de la leur. « Pour que, diminuant comme Lui a, le premier, diminué, nous puissions ensuite Le faire grandir en nous ».