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Esprit du Carême

Entrer en Carême, c’est commencer une longue marche vers Pâques, c’est entrer avec Jésus au désert, pour y demeurer quarante jours dans le jeûne et la prière. D’où vient ce temps liturgique particulier et comment le vivre ?

 

Un problème de calcul

Le Carême, comme chacun sait, dure quarante jours[1]Étymologiquement, « Carême » vient de quadragesima : la quarantaine.. Encore faut-il savoir calculer correctement. Quiconque prendrait naïvement un calendrier pour compter les jours du Mercredi des Cendres au Samedi saint n’arriverait pas à quarante, mais à quarante-six. Il y a en effet, du premier dimanche de Carême au Samedi saint, six semaines de sept jours, auxquelles s’ajoutent les quatre jours qui du premier dimanche de Carême, depuis le Mercredi des Cendres :

6 × 7 + 4 = 46

Pour ramener ce total légèrement excédentaire à quarante jours, trois solutions se présentent à nous.

La première consiste tout simplement à exclure la Semaine sainte, soit, du Lundi saint au Samedi saint, six jours :

46 – 6 = 40

Le compte est bon en effet, mais on refusera peut-être ce stratagème, au motif qu’il exclut tout de même du calcul la semaine qui demeure la plus importante du Carême, la « grande semaine[2]« Hebdomada major » lit-on dans le missel. ». La deuxième solution sera plus convaincante. Elle consiste à enlever les dimanches car, comme on aime le répéter, « le dimanche, ce n’est pas Carême ». Il ne faudrait donc compter que six jours par semaine :

6 × 6 + 4 = 40

Ce calcul peut néanmoins paraître insatisfaisant en ce que les dimanches retirés demeurent des dimanches de Carême – et même dans le Carême[3]Selon l’expression employée par le missel : « in quadragesima ».. La troisième solution, plus complexe, devrait emporter les dernières objections. Elle s’appuie sur deux observations. Premièrement, les quatre jours qui précèdent le premier dimanche de Carême, depuis le Mercredi des Cendres, sont apparus plus tardivement. La liturgie en porte encore la trace, puisque, dans le bréviaire ce n’est qu’avec le premier dimanche que commence l’office du Carême à proprement parler. Ces quatre jours peuvent donc être soustraits du total :

46 – 4 = 42

Deuxièmement, le Vendredi et le Samedi saints, quant à eux, étaient des jours liturgiques bien identifiés dès avant la stabilisation du Carême et, ici encore, la liturgie en porte la trace[4]Du moins, elle en portait la trace jusqu’à la réforme du bréviaire par saint Pie X Jusqu’au Jeudi saint, en effet, les psaumes des matines étaient ceux d’un jeudi ordinaire, tandis qu’à … Continue reading. D’ailleurs, à partir du Vendredi saint, le temps n’est plus à la préparation, mais à la célébration du mystère pascal. Ces deux jours peuvent donc être également retirés :

42 – 2 = 40

À vrai dire, il est difficile de donner à l’une de ces explications une priorité définitive sur les deux autres. Cette difficulté n’est que l’écho de la complexité du processus d’émergence et de stabilisation de ce temps liturgique tout à fait particulier qu’est le Carême. Le questionnement sur sa durée devrait nous permettre d’en saisir un peu mieux l’origine et la nature.

Catéchuménat et pénitence publique

Le Carême, c’est presque banal de le remarquer, est conçu comme un temps de préparation. En cela il se distingue des derniers jours – Vendredi et Samedi saints en particulier. Très tôt, un jeûne rigoureux fut pratiqué durant ces deux jours, en référence à la parole du Divin Maître :

« Des jours viendront où l’Époux sera enlevé à ses disciples, et alors ils jeûneront[5]Lc 5, 35. »

Ce jeûne primitif des derniers jours de la Semaine Sainte est un jeûne de compassion et de deuil pour la disparition de l’Époux :

« Ce n’est pas un jeûne préparatoire à la célébration du mystère, mais un jeûne qui l’accompagne : on ne l’appelle pas antépascal, mais pascal[6]Dictionnaire de Spiritualité, t. II, vol. 1, col. 137. »

Au contraire, l’institution du Carême a été inspirée par le souci de préparation aux jours saints. Il y avait d’une part la nécessité de préparer les catéchumènes au baptême qui devait être célébré au cours de la Vigile pascale. On en veut pour preuve les nombreuses allusions au baptême que comporte la liturgie du Carême, en particulier au cours des troisième et quatrième semaines. Voici quelques exemples parmi les plus marquants.

Pour la troisième semaine, le lundi, il est question de Naaman le Syrien qui fût purifié de la lèpre par sept bains dans le Jourdain[7]Cf. 2 R 5, 1-15 ; le vendredi, c’est l’eau qui est évoquée, celle que Moïse fit jaillir du rocher[8]Cf. Nb 20, 1-13 et celle que Notre-Seigneur proposa à la samaritaine[9]Cf. Jn 4, 5-42.

Pour la quatrième semaine, le baptême est suggéré par les introïts du mercredi – effundam super vos aquam mundam : « je répandrai sur vous une eau pure[10]Cf. Ez 36, 25 » – et du samedi – sitientes venite aquas : « vous tous qui avez soif, venez aux eaux[11]Cf. Is 55, 1 ».

À l’institution du Carême contribua également la nécessité d’accompagner les pénitents publics vers la réconciliation à laquelle ils étaient admis le Jeudi saint. C’est à cet aspect du Carême que se rattache le Mercredi des Cendres, l’imposition des cendres étant l’acte solennel par lequel commençait la pénitence publique. C’est également pour les pénitents, qui n’avaient pas accès à la communion, qu’une deuxième oraison de post-communion fut instituée : on la trouve aujourd’hui dans le missel pour les messes de semaine du Carême sous le nom d’oratio super populum, « prière sur le peuple », et elle est introduite par une invitation éloquente : Humiliate capita vestra Deo, « Humiliez vos têtes devant Dieu ».

Dans l’institution du Carême, donc, la place des catéchumènes et des pénitents fut essentielle. Néanmoins,

« à ces deux catégories de sujets l’Église entendait bien associer par la même occasion tous les fidèles parce que c’est le corps mystique tout entier qui doit mourir et ressusciter avec le Christ pour se renouveler en lui dans les solennité pascales[12]Dictionnaire de Spiritualité, t. II, vol. 1, col. 137. »

Cette association fut progressive et ressembla plutôt à une substitution, le nombre de catéchumènes adultes venant naturellement à décroître, tandis que la pratique de la pénitence publique se faisait plus rare. Ainsi, l’usage d’imposer les cendres au début du Carême fut étendu à l’ensemble des fidèles et tous furent invités à pratiquer généreusement la prière, la pénitence et les œuvres de miséricorde, à l’instar des pénitents.

Un jeûne de quarante jours

La pénitence la plus caractéristique du Carême était le jeûne. Si l’obligation stricte est aujourd’hui réduite au Mercredi des Cendres et au Vendredi saint, il devait auparavant durer quarante jours, en mémoire du jeûne de quarante jours de Jésus au désert[13]Cf. Mt 4, 1-2. Il s’agit de l’évangile du premier dimanche de Carême., de Moïse sur le Sinaï[14]Cf. Ex 34, 28 et d’Élie en marche vers l’Horeb[15]Cf. 1 R 19, 8. C’est la manière de compter ces jours qui rend compte de certaines évolutions du Carême. Sous réserve de précisions historiques ultérieures, voici l’histoire que l’on peut retracer.

À l’origine, il semble que le Carême débutait le sixième dimanche avant Pâques. Pour les raisons que nous avons exposées, le Vendredi saint et le Samedi saint étaient bien distingués, en sorte que seuls les cinq premiers jours de la dernière semaine appartenaient à proprement parler au Carême, qui durait donc cinq semaines et cinq jours :

5 × 7 + 5 = 40

On aura reconnu la troisième explication. Que les six dimanches, où l’on ne jeûnait pas, fussent intégrés dans ce décompte importait, semble-t-il, finalement peu :

40 – 6 = 34

Le jeûne au sens strict durait trente-quatre jours, mais la période de préparation qui lui correspondait durait bien quarante jours. Toutefois, lorsque la pénitence publique commença d’être remplacée par les pénitences privées, on souhaitât que, pour le jeûne, une quarantaine plus stricte fût observée. Mais alors, même en ajoutant les deux derniers jours, on ne parvenait pas au compte :

34 + 2 = 36

Il fallut alors anticiper de quatre jours le début du jeûne, ce qui mena au mercredi précédent le sixième dimanche avant Pâques :

36 + 4 = 40

On aura reconnu la deuxième explication.

Séparation d’avec le péché et union avec Dieu

On comprend finalement pourquoi il n’est pas évident, ni pertinent, de trancher entre ces deux explications, puisqu’elles renvoient à deux manières d’envisager le Carême, qui d’ailleurs ne s’opposent pas, mais se situent l’une par rapport à l’autre comme le plan rapproché et le plan large. Dans un cas, c’est essentiellement le jeûne et, par extension, les pénitences que l’on considère, autrement dit, ce qui contribue à nous séparer du péché. Dans l’autre cas, cette nécessaire séparation du péché est envisagée dans la perspective de la fin à atteindre : le renouvellement au cours du Triduum sacrum de l’union à Jésus-Christ dans sa mort et résurrection.

Références

Références
1 Étymologiquement, « Carême » vient de quadragesima : la quarantaine.
2 « Hebdomada major » lit-on dans le missel.
3 Selon l’expression employée par le missel : « in quadragesima ».
4 Du moins, elle en portait la trace jusqu’à la réforme du bréviaire par saint Pie X Jusqu’au Jeudi saint, en effet, les psaumes des matines étaient ceux d’un jeudi ordinaire, tandis qu’à partir du Vendredi saint, on prenait des psaumes propres. Désormais les psaumes même du Jeudi saint diffèrent en partie de ceux d’un jeudi ordinaire. Les liturgistes font remarquer qu’il y a eu en quelque sorte un glissement d’un triduum (Vendredi saint, Samedi saint, Dimanche de Pâques) à l’autre (Jeudi saint, Vendredi saint, Samedi saint).
5 Lc 5, 35
6, 12 Dictionnaire de Spiritualité, t. II, vol. 1, col. 137
7 Cf. 2 R 5, 1-15
8 Cf. Nb 20, 1-13
9 Cf. Jn 4, 5-42
10 Cf. Ez 36, 25
11 Cf. Is 55, 1
13 Cf. Mt 4, 1-2. Il s’agit de l’évangile du premier dimanche de Carême.
14 Cf. Ex 34, 28
15 Cf. 1 R 19, 8
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