À quelques kilomètres de Paris, la basilique d’Argenteuil conserve depuis l’an 800 un trésor longtemps méconnu : une tunique de laine rouge-brun, sans couture, qui serait la tunique portée par le Christ le Vendredi Saint.
Les études scientifiques effectuées sur cette pièce d’étoffe remise à l’honneur depuis 2016 plaident de plus en plus en faveur de l’authenticité de cette relique insigne de la Passion.
C’est l’apôtre saint Jean, témoin direct de la Passion du Christ, qui nous apprend l’existence de la tunique du Christ et le sort qui lui a été réservé :
Quand les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses habits ; ils en firent quatre parts, une pour chaque soldat. Ils prirent aussi la tunique ; c’était une tunique sans couture, tissée tout d’une pièce de haut en bas. Alors ils se dirent entre eux : « Ne la déchirons pas, désignons par le sort celui qui l’aura. » Ainsi s’accomplissait la parole de l’Écriture : Ils se sont partagé mes habits ; ils ont tiré au sort mon vêtement. C’est bien ce que firent les soldats[1]Jn 19, 23-24.
Il s’agit de la tunique « inconsutile », c’est-à-dire sans couture, selon une ancienne coutume orientale : vêtement porté à même le corps (sadin), elle était ensuite recouverte d’une tunique plus longue (chetoneth) puis d’un manteau (simba). En décidant de ne pas la déchirer, les soldats accomplissaient sans le savoir la prophétie messianique du psaume : « Ils partagent entre eux mes habits, ils tirent au sort mon vêtement »[2]Ps 21, 19.
Enquête historique
La tunique d’Argenteuil est-elle la tunique du Christ ? La mention la plus certaine sur le plan historique date du IXe siècle. En l’an 800, l’impératrice de Byzance Irène offre à Charlemagne une relique considérée comme étant la tunique du Christ (cette tunique sans couture, non déchirée est en effet le symbole de l’unité de l’Église et des Églises d’Orient et d’Occident) ; Charlemagne la confie alors à l’abbaye d’Argenteuil, dont sa propre fille Théodrade est supérieure.
Peut-on remonter plus haut dans l’histoire ? Si aucune certitude absolue n’est possible, on peut du moins faire quelques suppositions. L’évangile apocryphe aux hébreux affirme que c’est saint Pierre qui a récupéré la sainte tunique du Christ après la résurrection. Il l’aurait ensuite emmené à Joppé (devenu Jaffa) où il réside selon les Actes des apôtres[3]Ac 9, 43 ; de fait, c’est à Joppé que l’historien Frégédaire mentionne à nouveau l’existence de la tunique, en 590 : déplacée à Jérusalem, Grégoire de Tours rapporte qu’elle est emportée à Constantinople dans la basilique des Saints-Anges vers 593, et y reste jusqu’en l’an 800.
À Argenteuil, la relique va connaître une existence mouvementée : cachée dans un mur de l’abbaye pour échapper aux raids vikings, son véritable culte commence en 1156 : Louis VII, saint Louis, François Ier, Henri III, Louis XIII, viendront prier à Argenteuil devant la tunique du crucifié. Pendant la Révolution, craignant de la voir saisie et détruite entièrement, le curé d’Argenteuil décide de faire subir à la tunique ce que les soldats romains eux-mêmes n’avaient pas osé : il la découpe en plusieurs morceaux, espérant ainsi en sauver une partie au moins, confie certaines pièces à des paroissiens de confiance, et enterre le reste. Après la tourmente, on essayera de reconstituer l’intégralité de la relique, sans y parvenir totalement. C’est cette relique que les pèlerins peuvent vénérer aujourd’hui dans la basilique d’Argenteuil, les pièces originales ayant été fixées sur une étoffe plus solide pour supporter l’épreuve du temps.
Enquête scientifique
La tunique d’Argenteuil ne présente aucune couture, même pour les manches. Elle est en laine, teinte en brun rouge. De larges traces de sang apparaissent à l’endroit des épaules et du dos. Depuis plusieurs années, les études scientifiques approfondies menées sur la relique nous livrent des résultats très concluants, notamment à travers un rapprochement significatif avec le Linceul de Turin :
- L’analyse du textile (laine de mouton), la méthode de tissage employée, le colorant, la dimension du vêtement, indiquent un vêtement tissé au premier siècle au Moyen-Orient.
- Les minéraux retrouvés sur la tunique confirment sa provenance orientale ; les pollens accrochés aux fibres, semblables à ceux que l’on retrouve sur le Linceul de Turin, montrent une origine palestinienne.
- L’analyse des taches de sang indique un groupe sanguin AB (assez rare : moins de 5% au niveau mondial), identique à celui retrouvé sur le linceul de Turin et le suaire d’Oviedo[4]Le fait que l’on puisse connaitre cette caractéristique du sang sur les trois reliques est en lui-même assez extraordinaire : car le sang se dégrade normalement rapidement. Une explication … Continue reading.
- L’enquête ADN sur les globules blancs effectuée en 2005 indique qu’il s’agit du sang d’un homme (chromosome Y), un oriental, proche du peuple juif.
- L’emplacement des taches de sang sur la tunique recouvre exactement l’emplacement des marques de portement de croix et de flagellation présentes sur le linceul de Turin ; on note en particulier un grand nombre de traces sur le dos, et peu sur la face antérieure.
Le professeur Lucotte, généticien qui a travaillé sur le saint Suaire et la sainte Tunique, a ainsi pu affirmer : « je vois toute la Passion à travers le microscope »[5]on trouvera ici l’interview du professeur Lucotte.
Seule ombre au tableau : en 2002 le carbone 14 date le linge entre 530 et 650, « avec 95,4 % de certitude ». Mais en 2005, une nouvelle datation le rajeunit de 2 siècles (670-880), avec pourtant une même certitude de 95,4 %. Deux informations contradictoires, qui permettent de penser que la datation au carbone 14 n’est pas absolument fiable pour des tissus qui ont subi tant de pollution et de manipulation à travers le temps. Le docteur Jean-Maurice Clercq considère ainsi que lorsque l’âge radiocarbone est en contradiction avec l’âge archéologique déterminé par les autres techniques scientifiques, il convient scientifiquement de tenir l’âge carbonique comme « aberrant »[6]Jean-Maurice Clercq, Les grandes reliques du Christ, 2007..
Conclusion
Même si l’on est hors du strict domaine du dogme, le pèlerin qui se rend à Argenteuil peut avoir l’assurance de se trouver devant la tunique que le Christ a porté pendant sa Passion : signe secourable pour soutenir la foi et faire grandir la dévotion. Une certaine tradition rapporte qu’elle a été cousue par la Vierge Marie elle-même, ce qui est envisageable selon la coutume de l’époque. C’est sans doute cette tunique que le Christ a porté pendant la Cène du Jeudi saint ; la tunique qu’il portait à l’Agonie, qui a reçu la sueur de sang au jardin des Oliviers ; la tunique des procès, retirée pour le supplice de la flagellation ; la même tunique qu’on lui a ensuite remise[7]Mc 15, 20 ; Mt 27, 31, pour le portement de la croix ; la tunique dont il a été ultimement dépouillé avant la crucifixion, et que les soldats ont tirée au sort. Témoin original des souffrances du crucifié, réceptacle de son sang versé par amour pour nous, la tunique inconsutile évoque ces heures intenses durant lesquelles le Verbe de Dieu, voulant partager le sort des hommes jusqu’à prendre un corps et un vêtement comme le nôtre, a lutté contre notre péché, traversé l’angoisse et la mort, et en est sorti vainqueur, constituant autour de lui l’unité parfaite de son Église comme un nouveau vêtement sans couture ni déchirure, conformément à sa prière du Jeudi Saint : « Ut unum sint, afin que tous soient un. »[8]Jn 17, 21
Pour aller plus loin : François Le Quéré, La Sainte Tunique d’Argenteuil, Artège, 2016.
Références[+]
↑1 | Jn 19, 23-24 |
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↑2 | Ps 21, 19 |
↑3 | Ac 9, 43 |
↑4 | Le fait que l’on puisse connaitre cette caractéristique du sang sur les trois reliques est en lui-même assez extraordinaire : car le sang se dégrade normalement rapidement. Une explication plausible de cette conservation pourrait se faire à partir de la sueur de sang (phénomène de l’ « hématidrose », lorsque le globule rouge se vide de son hémoglobine sous l’effet d’une situation traumatique intense : l’examen des globules rouges présents sur la Tunique confirme ce phénomène). |
↑5 | on trouvera ici l’interview du professeur Lucotte |
↑6 | Jean-Maurice Clercq, Les grandes reliques du Christ, 2007. |
↑7 | Mc 15, 20 ; Mt 27, 31 |
↑8 | Jn 17, 21 |