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« Anneaux de pouvoir » : notre critique (1/2 : point de vue artistique)

Reprendre la cosmogonie magistrale de Tolkien pour l’adapter en série : tel est le défi que s’est fixé Amazon, qui fait paraître cet automne les premiers épisodes de Rings of power. Critique nuancée après la sortie des premiers épisodes.

Retrouvez ici la deuxième partie de notre critique (théologique et anthropologie) : “une relecture postmoderne de Tolkien”.

Un bon divertissement

L’entreprise se présente comme le plus gros budget jamais déployé dans le genre : Amazon n’a pas lésiné pour donner à son adaptation des « Anneaux de Pouvoir » toute l’ampleur possible. Pas de doute donc, les moyens cinématographiques et publicitaires sont au rendez-vous. Pour quel rendu ?

Les premiers épisodes sont de l’ordre du bon divertissement, rythmé et porté par un certain souffle : le suspense est préservé et l’histoire qui se déploie au commencement autour de personnages évoluant chacun de leur côté semble avancer vers une rencontre décisive. Relevons par ailleurs tout de suite que ces premiers numéros de la série ne présentent pas de scène érotique ni véritablement choquante – la violence montrée à l’écran lors des combats ne dépasse pas celle que l’on trouve dans Le Seigneur des Anneaux ou Le Hobbit.

Le pari esthétique

Le pari d’une adaptation de Tolkien au cinéma réside certainement pour une part importante dans la maîtrise de la beauté de l’image et du cadre : tout doit être beau pour élever l’âme et féconder l’imagination, qui diffracte en de multiples représentation la lumière originelle de la Création. C’est l’une des grandes forces de la « faërie » tolkiénienne, cette vision si particulière du mythe, expression de l’homme comme « sous-créateur », subordonné à Dieu.

Le résultat côté « Anneaux de Pouvoir » est indéniablement réussi à bien des égards : les paysages terrestres et marins sont magnifiques, la musique est belle et sonne juste dans l’univers de la faërie, quoique son thème puisse paraître trop largement utilisé, repris avec quelques variations dans tous les registres. On pourra toutefois reprocher à la réalisation le caractère exagéré, et donc trop artificiel, des vues de grandes cités comme Valinor, Numenor ou encore Khazad-Dum : là où Peter Jackson[1]réalisation de la trilogie du Seigneur des Anneaux en 2001, 2002 et 2003 avait dû faire construire de gigantesques maquettes, on voit que les producteurs d’Amazon se sont contentés de représentations entièrement numériques, style « jeux vidéos ». Sur le même thème, alors que les prises de vue sont résolument modernes, certains plans ralentis à l’extrême dénotent, sonnent faux, voire frisent le ridicule : Galadriel chevauchant sur la plage, certains combats qui tiennent plus du film asiatique d’arts martiaux ou de Matrix que de la grande épopée.

La question du scénario – vulgarisateur ou trop elliptique ?

Le problème du scénario est indéniablement plus épineux. Il se pose en amont même de tout visionnage de la série pour quiconque connaît un peu l’univers de Tolkien : est-il réellement possible d’adapter au cinéma le Silmarilion, qui n’est pas tant une épopée qu’une cosmogonie, qui plus est reconstituée par le fils de l’auteur à partir des innombrables bribes et sources laissées par son père ?

La grande difficulté réside à notre sens dans le fait de trouver un équilibre entre une simplification à outrance de l’immense complexité de la cosmogonie tolkiénienne – une véritable architecture holistique du monde, aux accents bibliques si émouvants – et un développement scénaristique trop riche, rendant le récit global inaccessible à qui ne connaîtrait pas parfaitement l’œuvre originelle.

Le pari est là : faut-il tout reprendre, aux origines, tout expliquer – quitte à le raconter sans le montrer ; ou faut-il se contenter de décrocher un pan de l’histoire globale et en faire un thème indépendant, plus simplement adaptable pour le commun des spectateurs ?

Le résultat semble encore une fois contrasté : les scénaristes ont certainement opté pour la solution la plus ambitieuse, refusant d’abandonner totalement tel ou tel aspect de la riche cosmogonie du Silmarilion. Le premier épisode débute donc par un aperçu très rapide de Valinor, la cité des Ainur (les « anges » ou « dieux » qui régissent la création), sorte de paradis originel perdu par les elfes, dominé par deux arbres qui ne sont certes pas sans rappeler les deux arbres du Jardin d’Eden. Cependant le récit est bref et ne suffira probablement pas pour qu’un néophyte saisisse pleinement les tenants et les aboutissants qui sous-tendent l’intrigue. Quant à un lecteur confirmé de Tolkien, il risque lui-même d’avoir du mal à comprendre où le récit se place dans la chronologie bien précise du Silmarilion : au tournant du deuxième âge, peu avant que les hommes de Numenor ne fassent leur retour en Terre du Milieu. D’autant que l’ambition de couvrir l’ensemble du vaste mythe tolkiénien cadre mal avec les incompréhensibles approximations qu’un lecteur du Silmarilion ne manquera pas de relever en maints endroits. On reviendra dans un prochain article sur cette question de la fidélité au récit de Tolkien.

Le reste de l’histoire nous semble encore déployé de manière souvent trop elliptique : celui qui connaît déjà bien l’épopée tolkiénienne pourra émettre des hypothèses sur le sens et l’origine de tel ou tel développement, mais le néophyte risque de se sentir rapidement noyé. Le parti est pris de présenter dans un premier temps plusieurs personnages vivant des péripéties apparemment indépendantes, appartenant peu ou prou à tous les peuples de Terre du Milieu. L’ensemble est très rythmé, propice à construire le suspense qui fait certainement le fond de commerce de la série et la règle de base du genre, mais on regrette le manque de profondeur qui en est la conséquence, et l’on risque là encore de perdre ceux qui connaissent peu le monde de Tolkien.

Conclusion : un scénario ambitieux, un résultat encore à prouver

Après avoir vu ces premiers épisodes, on ne peut manquer de rester sur sa faim. Bon signe ! diront certains, car c’est là justement le propre d’un feuilleton que de tenir en haleine ses spectateurs. Nous craignons cependant que cette impression ne demeure, car le pari ambitieux que se sont jetés les réalisateurs : adapter au cinéma une véritable cosmogonie comme le Silmarilion, paraît bien difficile à relever. Plutôt que de vouloir rendre l’ensemble accessible à tous, au risque de le faire passer pour chaotique et indéchiffrable, peut-être aurait-il fallu s’inspirer de l’un des magnifiques récits que Tolkien a construit autour de la trame d’ensemble de sa cosmogonie ? Ils ne manquent pas : Beren et Luthien, Les enfants de Hurin, La chute de Gondolin… Seulement leur tonalité – indéniablement dramatique – conviendrait-elle au public contemporain ?

Nous poursuivrons prochainement cette critique en abordant la série sous l’angle de la fidélité à l’auteur et à son esprit profondément chrétien.

Références

Références
1 réalisation de la trilogie du Seigneur des Anneaux en 2001, 2002 et 2003
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