Les dons sont donc nécessaires pour pallier le mode trop humain de nos vertus, même en tant qu’elles sont surélevées par la grâce ; ils nous permettent d’agir sur un mode divin, et sont ainsi la marque de l’agir des saints.
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À quoi servent les dons du Saint-Esprit (1/3) – Grâces, vertus, dons
D’après saint Thomas : « Les dons du Saint-Esprit sont des habitudes surnaturelles qui nous disposent à obéir promptement au Saint-Esprit[1]Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-IIae, q. 68, a. 3 ».
En développant un peu cette définition, on peut dire que les dons du Saint-Esprit sont des habitudes ou des inclinaisons inhérentes à l’âme, distinctes des vertus surnaturelles infuses, nécessaires pour opérer le bien, inséparables les unes des autres.
1. Des dons,
Les grâces dont il est ici question sont appelées dons du Saint-Esprit, c’est à-dire faveurs par excellence de la troisième personne de la sainte Trinité.
« Il n’y a pas, dit saint Basile, une créature visible ou invisible, qui ne doive au Saint-Esprit ce qu’elle possède.» Aucune de ces faveurs n’est pourtant appelée « don » du Saint-Esprit. C’est donc que les dons du Saint-Esprit surpassent en excellence toutes les merveilles créées, humaines et angéliques, visibles et invisibles, toutes les vertus naturelles infuses ou acquises, toutes les vertus morales surnaturelles. Ils appartiennent donc, dans le degré le plus élevé, à un ordre dont la moindre parcelle vaut mieux que l’univers entier[2]Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-IIae, q. 113, a. 9, ad 2.
Expliquons ce mystère. Le don de Dieu par excellence, le don principe de tous les dons, c’est le Saint-Esprit lui-même. De là vient qu’Il est appelé Don de Dieu : Donum Dei. Une fois communiqué personnellement à l’homme, ce don de Dieu s’épanche et se distribue dans toutes les puissances de l’âme, comme le sang dans toutes les veines du corps. Il les anime, les divinise ; il devient le principe générateur d’une vie aussi supérieure à la vie naturelle que le ciel est élevé au-dessus de la terre. La raison en est que la vie naturelle nous est commune avec les animaux, avec les païens et avec tous les pécheurs ; tandis que la vie dont nous sommes redevables au Saint-Esprit nous assimile aux saints, aux anges, à Dieu.
Aux éléments de vie divine, aux forces surnaturelles, il faut donc imprimer une impulsion puissante et soutenue qui, pendant une longue suite d’années et de combats, leur fait produire des actes parfaits de toutes les vertus. C’est le rôle des dons du Saint-Esprit et leur excellence incomparable. Ils sont plus que la vie naturelle, plus que la vie surnaturelle, plus que les grandes vertus de prudence, de justice, de force, de tempérance surnaturelle ; ils en sont les divins moteurs[3]Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-IIae, q. 68, a. 3, ad 4 et Ia-IIae, q. 68, a. 8.
2. Des habitudes…
C’est-à-dire des qualités ou inclinations inhérentes à l’âme. Ce ne sont ni des grâces passagères, ni des mouvements transitoires et de circonstance, mais bien des habitudes, des qualités permanentes. Inséparables du Saint-Esprit, ils sont dans l’âme aussi longtemps que lui-même y réside, donc tant qu’il n’en est pas banni par le péché mortel.
« Si vous m’aimez, gardez mes commandements, et le Saint-Esprit demeurera chez vous et il sera en vous » (Jn 14, 15-17). Or, le Saint-Esprit n’est pas dans les hommes sans ses dons. Il y est avec tous ses dons, ou il n’y est pas : semblable au soleil, qui ne peut être nulle part sans sa lumière, sa chaleur et ses principes de fécondité[4]Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-IIae, q. 68, a. 3, corpus.
3. … surnaturelles…
Tout ce qui est divin perfectionne ce qui ne l’est pas. Les dons du Saint-Esprit, étant divins, perfectionnent l’âme humaine et toutes ses puissances. Mais quel est le genre de perfection qu’ils lui communiquent ?
Comme les dons, les vertus théologales et les vertus cardinales sont des habitudes, permanentes, venues du Saint-Esprit et perfectionnant l’homme. Ainsi, sous le rapport de l’origine et de la fin, nulle différence entre les dons et les vertus surnaturelles, pas plus qu’entre les feuilles, les fleurs et les fruits, considérés dans l’arbre qui les porte, dans la sève qui les abreuve, dans la chaleur qui les mûrit.
Mais il y a différence de fonctions entre les feuilles, les fleurs et les fruits, et de même entre les dons et les vertus. En quoi consiste-t-elle ?
Les vertus surnaturelles : la foi, l’espérance, la charité, la prudence, la justice, la force, la tempérance, sont des forces divines, communiquées à l’âme pour opérer le bien surnaturel. Le don est l’impulsion qui met ces forces en mouvement. Telle est la manière dont il nous perfectionne, et par conséquent la différence radicale qui le distingue des vertus.
Écoutons saint Thomas : « Afin de bien saisir la distinction qui existe entre les dons et les vertus, il faut nous reporter au langage de l’Écriture. Elle désigne les dons du Saint-Esprit, non pas sous le nom de dons, mais sous le nom d’Esprits. Sur lui reposera, dit Isaïe, l’Esprit de sagesse et d’intelligence, etc. Ces paroles font comprendre très clairement que les sept dons du Saint-Esprit sont en nous, par l’effet d’une inspiration divine, ou plutôt sont le souffle même du Saint-Esprit en-nous. Or, inspiration veut dire impulsion venue du dehors[5]Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-IIae, q. 68, a. 1, corpus. »
« Riche de vertus surnaturelles, l’âme a besoin d’un moteur qui les mette en action. Des forces surnaturelles ne pouvant être mises en mouvement par un moteur naturel, il en résulte que le Saint-Esprit est le moteur nécessaire des forces surnaturelles, déposées dans l’âme par le baptême. Or, c’est par les sept dons ou les sept esprits que se traduit l’impulsion de l’Esprit sanctificateur. Aussi ses dons sont appelés dons, non seulement parce qu’ils sont répandus en nous par ce divin Esprit ; mais encore parce qu’ils ont pour but de rendre l’homme prompt à agir sous l’influence divine. Il s’ensuit que le don, en tant qu’il diffère de la vertu infuse, peut se définir : ce qui est donné de Dieu pour mettre en mouvement la vertu infuse[6]Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-IIae, q. 68, a. 1, corpus et ad 3 ; Ia-IIae, q. 68, a. 2, corpus et Ia-IIae, q. 68, a. 8, corpus ».
Une comparaison rend sensible cette distinction fondamentale. Ce que la sève est à l’arbre, les vertus infuses le sont à l’âme baptisée. Pour qu’un arbre croisse et porte des fruits, il est nécessaire que la sève soit mise en mouvement par la chaleur du soleil, afin de circuler dans toutes les parties de l’arbre, depuis les racines jusqu’à l’extrémité des branches. Il en est de même à l’égard du chrétien. Par le baptême, il possède la sève des vertus surnaturelles ; mais, s’il veut croître et porter des fruits, il faut que cette sève divine soit mise en mouvement et circule dans toutes les puissances de son être.
Quel est le soleil dont la vive chaleur peut seule mettre en activité cette sève précieuse ? Nous l’avons dit, c’est l’Esprit aux sept dons.
Maintenant la question de la supériorité des dons sur les vertus, ou des vertus sur les dons, s’explique d’elle-même. Les dons sont inférieurs aux vertus théologales. Ces vertus, en effet, attachent l’âme à Dieu, tandis que les dons ne font que la mouvoir vers lui. Mais les dons sont supérieurs aux vertus morales, parce que les vertus morales ne font qu’enlever les obstacles qui éloignent de Dieu, taudis que les dons dirigent véritablement et meuvent vers Dieu[7]Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-IIae, q. 68, a. 4, ad 3 et Ia-IIae, q. 68, a. 8.
4. … qui nous disposent à obéir promptement au Saint-Esprit.
L’ignorance ou la connaissance imparfaite du bien, la pesanteur naturelle, les liens des affections terrestres, quelquefois la crainte de la peine, le respect humain, la dissipation de l’esprit, la faiblesse du cœur, l’égarement de la volonté et mille autres obstacles, nous rendent sourds ou indociles aux inspirations du Saint-Esprit.
Vienne le Saint-Esprit avec ses dons. C’est le feu dont la vive lumière éclaire l’entendement et dont la chaleur échauffe le cœur ; c’est le vent véhément du cénacle qui brise toutes les résistances ; c’est l’électricité divine qui, circulant dans toutes les facultés de l’âme, les anime, les ébranle, les pousse vers le monde supérieur, et, rendant le chrétien supérieur à lui-même, le fait travailler à sa perfection personnelle, ainsi qu’au salut de ses frères, non pas lentement, mais activement ; non pas superficiellement, mais solidement ; non pas accidentellement, mais constamment. À cette impulsion le monde doit les apôtres, les martyrs, les missionnaires, les saints et les saintes de toutes les conditions, comme il lui devra les nobles vainqueurs ou les nobles victimes des derniers temps.
« Sans le Saint-Esprit, le salut est impossible. Or, le Saint-Esprit est inséparable de ses dons. Il est dans l’âme avec tous ses dons, ou Il n’y est pas du tout. La conséquence est que les sept dons du Saint-Esprit sont nécessaires au salut d’une égale nécessité : Septem dona sunt necessaria ad salutem[8]Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-IIae, q. 68, a. 3, ad 1 ».
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Références[+]
↑1 | Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-IIae, q. 68, a. 3 |
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↑2 | Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-IIae, q. 113, a. 9, ad 2 |
↑3 | Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-IIae, q. 68, a. 3, ad 4 et Ia-IIae, q. 68, a. 8 |
↑4 | Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-IIae, q. 68, a. 3, corpus |
↑5 | Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-IIae, q. 68, a. 1, corpus |
↑6 | Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-IIae, q. 68, a. 1, corpus et ad 3 ; Ia-IIae, q. 68, a. 2, corpus et Ia-IIae, q. 68, a. 8, corpus |
↑7 | Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-IIae, q. 68, a. 4, ad 3 et Ia-IIae, q. 68, a. 8 |
↑8 | Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-IIae, q. 68, a. 3, ad 1 |