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L’attachement à la liturgie traditionnelle révèle-t-il un manque de communion ecclésiale, et donc une atteinte à l’unité de l’Église ? Avec ce nouveau dossier, Claves.org se propose d’aborder cette question très actuelle sous un angle nouveau, à la lumière de la théologie et du magistère de l’Eglise, et d’ouvrir ainsi un dialogue théologique.
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Le Motu Proprio Traditionis Custodes du pape François le 16 juillet 2021, puis les réponses aux dubia communiquées le 18 décembre 2021 par la congrégation pour le culte divin, et enfin le décret du Saint-Père du 11 février 2022 confirmant la FSSP dans son droit propre et l’usage des livres liturgiques antérieurs à la réforme de Vatican II[1]L’expression « forme extraordinaire », absente du Motu Proprio Traditionis Custodes, a été remplacée dans la Constitution apostolique Praedicate Evangelium, 19 mars 2022, n°93 par la … Continue reading, ont suscité ces derniers mois de nombreux questionnements : pourquoi certaines communautés sont-elles attachées à la messe traditionnelle ? Quel est leur positionnement par rapport à Vatican II ? Leur rapport à la liturgie n’est-il pas faussé ? Peut-on être en communion avec l’Église, si on ne célèbre pas la messe selon le même missel que le pape ?
Il nous semble que le point névralgique des discussions de ces derniers mois concerne la compréhension du thème de la communion. L’attachement à la liturgie traditionnelle ne révèle-t-il pas, dans ces communautés ou chez certains prêtres et fidèles, un manque de communion ecclésiale, et donc une atteinte à l’unité de l’Église[2]Ainsi le résume Mgr Roche dans la réponse aux Dubia : « Le texte du Motu Proprio et la Lettre d’accompagnement à tous les Évêques expriment avec clarté les motivations de ce que le pape … Continue reading ? L’usage de la messe traditionnelle cultive-t-il, dans l’esprit des prêtres et des fidèles, le sentiment de constituer une Église à part, autonome par rapport à la hiérarchie, en marge de la « grande Église[3] par exemple Mgr François Blondel, La Croix du 22/12/2021.» ? Le fait même de célébrer une liturgie différente, au sein de l’Église latine, constitue-t-il un risque pour la communion de culte[4]par exemple P. Delort Laval, La Croix du 21/09/2021 : « Revendiquer un autre rite que le rite commun contredit le sens même de l’Eucharistie parce que celle-ci requiert le rassemblement dans … Continue reading ? Le fait de s’abstenir de célébrer selon le missel de Paul VI manifeste-t-il une rupture, notamment par rapport à la hiérarchie ecclésiale qui a édité le nouveau missel, et un refus explicite du concile Vatican II qui a voulu la réforme liturgique[5]par exemple Martin Pochon, La Croix du 03/09/2021 : « Il me semble anormal que des prêtres – ou des fidèles – n’acceptent de célébrer que dans le rite de Pie V : considèrent-ils le … Continue reading ?
Il faut prendre ces interrogations très au sérieux : car l’unité de l’Église n’est pas une doctrine secondaire, c’est l’une des notes fondamentales de l’institution divine ; c’est le vœu le plus cher du Christ, le désir du Bon Pasteur de réunir ses brebis dispersées pour « qu’il n’y ait plus qu’un seul troupeau, un seul berger[6]Jn 10, 16. ». Chaque catholique est concerné par la prière sacerdotale du Christ du Jeudi Saint, ut unum sint, « qu’ils soient un[7]Jn 17, 21. ». Aucun chrétien ne peut en conscience prendre la responsabilité de déchirer la tunique incontusible du Christ, alors même que les soldats païens n’ont pu se résigner à le faire.
Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler dès maintenant que cette volonté de rester en communion avec l’Église est à l’origine même de la fondation de la Fraternité saint Pierre en 1988. Depuis, trois papes successifs ont affirmé à la FSSP que son attachement à la liturgie traditionnelle ne constituait pas une rupture de communion[8]Nous sommes bien conscients que la lettre d’accompagnement du Motu Proprio semblait pourtant affirmer l’inverse, le saint Père dénonçant « la relation étroite entre le choix des … Continue reading. C’est à la lumière de cette histoire aussi, et du décret du pape François du 11 février 2022, qu’il faudra réfléchir sur les rapports entre liturgie traditionnelle et communion ecclésiale.
C’est donc – nous l’espérons – avec un honnête esprit de recherche de la vérité que nous abordons ces prochaines réflexions. Car l’important n’est pas de justifier à tout prix ses propres choix, l’important est de rester fidèle au Christ : et l’unité de l’Eglise est le voeu du Christ.
Nous voudrions, dans ce dossier qui commence, prendre le temps d’approfondir ces questions, en espérant pouvoir ainsi ouvrir un « dialogue » théologique serein, dont l’absence se fait parfois cruellement sentir, renvoyant chacun dans ses tranchées et favorisant l’incompréhension, les discussions stériles et les malentendus fâcheux. Si la communion est au cœur de la vie de l’Église, la discussion franche et honnête, à la recherche de la Vérité, en est certainement l’une des portes[9]Et c’est en partie le rôle des théologiens d’ouvrir ce dialogue, dont l’importance était rappelée par le P. Donneaud dans l’émission de KTO du 21 janvier 2022. Sur ce point, on peut … Continue reading. Il ne s’agit pas, spécialement, de mettre tout le monde d’accord : le désaccord respectueux est tout à fait possible dans la communion ecclésiale, comme il l’est dans l’amitié ou dans la vie conjugale[10]Thème essentiel, pour l’équilibre des couples : les amis et les époux ont le droit de ne pas être d’accord, ce n’est pas un drame… Cf. IIa IIae, q. 29, a. 3, ad 2 : « L’amitié, … Continue reading; l’important est ici de bien repérer les points sur lesquels l’accord est essentiel pour qu’existe une vraie communion de charité – à savoir les points de foi – et ceux sur lesquels il peut y avoir une légitime liberté d’avis.
La difficulté, c’est que la « communion », souvent invoquée, est malheureusement fort peu expliquée, et l’on se contente parfois d’une approche approximative et floue de cette notion[11]Cf. B.-D. de La Soujeole, « “Société” et “communion” chez saint Thomas d’Aquin », RT 90 (1990), p. 587. Pour sa part le pape Jean Paul II affirmera, dans un Discours aux cardinaux et … Continue reading ; de là proviennent, à notre avis, beaucoup de malentendus concernant l’état – ou non – de communion des « communautés traditionnelles ».
Nous nous proposons donc de définir dans un premier temps ce qu’est la communion dans l’Église, en nous appuyant principalement et volontairement sur les textes du Magistère de l’Eglise, et spécialement les plus récents : ce sera l’occasion, au delà même du sujet brûlant qui nous occupe, de méditer ce thème pour lui-même et d’en révéler la richesse. Éclairé par ces précisions, nous espérons pouvoir ainsi lever les malentendus et manifester qu’il n’y a pas d’opposition entre « être en communion » et célébrer selon le missel traditionnel ; au contraire, et sans ironie aucune, nous sommes profondément persuadés que la conservation de la liturgie traditionnelle est un élément essentiel pour l’unité de l’Église avec elle-même, et qu’en maintenant vivant ce type de célébration, l’on contribue, aussi, à la communion ecclésiale.
Pour terminer cette introduction, nous demanderons à notre lecteur, sinon sa bienveillance, au moins une certaine patience : car ce n’est pas en deux lignes qu’un tel sujet se traite. Les notions à manier sont complexes, mystérieuses comme l’est l’Eglise ; et si nous décidons de publier cette petite étude, décidément théologique, c’est que nous pensons qu’à son terme, elle pourra apporter quelque lumière sur la situation présente, pour les âmes de bonne volonté.
Cliquer ici pour lire le deuxième article du dossier : “L’unité, ce n’est pas l’uniformité”
Références[+]
↑1 | L’expression « forme extraordinaire », absente du Motu Proprio Traditionis Custodes, a été remplacée dans la Constitution apostolique Praedicate Evangelium, 19 mars 2022, n°93 par la mention des « livres liturgiques antérieures à la réforme du Concile Vatican II ». Par commodité, nous parlerons souvent de « messe traditionnelle ». |
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↑2 | Ainsi le résume Mgr Roche dans la réponse aux Dubia : « Le texte du Motu Proprio et la Lettre d’accompagnement à tous les Évêques expriment avec clarté les motivations de ce que le pape François a décidé. Le premier objectif est de poursuivre “la recherche constante de la communion ecclésiale” (Traditionis custodes, Préambule) qui s’exprime en reconnaissant dans les livres liturgiques promulgués par les saints Pontifes Paul VI et Jean-Paul II, conformément aux décrets du Concile Vatican II, l’unique expression de la lex orandi du Rite romain (cf. Traditionis custodes, n° 1). » |
↑3 | par exemple Mgr François Blondel, La Croix du 22/12/2021. |
↑4 | par exemple P. Delort Laval, La Croix du 21/09/2021 : « Revendiquer un autre rite que le rite commun contredit le sens même de l’Eucharistie parce que celle-ci requiert le rassemblement dans l’unité […] L’unité du rite n’est sans doute pas une condition suffisante pour que l’Église vive dans l’unité, mais elle est nécessaire ». Cf. également Isabelle de Gaulmyn, La Croix du 13/01/2022 : « [les traditionalistes] oublient un élément, essentiel : le “ensemble”. Si l’on a chacun son rite particulier, défini en fonction de ses options politiques ou théologiques, la liturgie devient le moyen de marquer sa différence, et donc d’exclure. […] Quid de la communion de tous que permet la foi, à travers la liturgie ? » |
↑5 | par exemple Martin Pochon, La Croix du 03/09/2021 : « Il me semble anormal que des prêtres – ou des fidèles – n’acceptent de célébrer que dans le rite de Pie V : considèrent-ils le rituel de Paul VI comme valide, et au-delà acceptent-ils les enseignements de Vatican II ? La seule manière de le montrer me semble être d’accepter, de temps à autre, de célébrer la messe dans le rite ordinaire, notamment pour la messe chrismale. Je comprends mal que l’on n’ait pas imposé cette obligation aux prêtres issus des fraternités traditionalistes » |
↑6 | Jn 10, 16. |
↑7 | Jn 17, 21. |
↑8 | Nous sommes bien conscients que la lettre d’accompagnement du Motu Proprio semblait pourtant affirmer l’inverse, le saint Père dénonçant « la relation étroite entre le choix des célébrations selon les livres liturgiques précédant le Concile Vatican II et le rejet de l’Église et de ses institutions au nom de ce qu’ils considèrent comme la “vraie Église”. Il s’agit d’un comportement qui contredit la communion […] C’est pour défendre l’unité du Corps du Christ que je suis contraint de révoquer la faculté accordée par mes prédécesseurs. » La prise en compte du décret du 11 février nous permet ainsi de nuancer l’interprétation la plus courante que l’on a fait de ce passage. |
↑9 | Et c’est en partie le rôle des théologiens d’ouvrir ce dialogue, dont l’importance était rappelée par le P. Donneaud dans l’émission de KTO du 21 janvier 2022. Sur ce point, on peut consulter E. Divry, Le bienfait des controverses doctrinales dans l’Église, Perpignan, Artège, 2021. |
↑10 | Thème essentiel, pour l’équilibre des couples : les amis et les époux ont le droit de ne pas être d’accord, ce n’est pas un drame… Cf. IIa IIae, q. 29, a. 3, ad 2 : « L’amitié, remarque Aristote, ne comporte pas l’accord en matière d’opinions, mais en matière de biens utiles à la vie, et surtout des plus importants. […] Pourvu que l’on soit d’accord sur les biens fondamentaux, un désaccord sur des choses plus petites ne va pas contre la charité. […] Pareil dissentiment en matière légère, et portant sur de simples opinions, n’est pas compatible, en vérité, avec la paix parfaite, qui suppose la vérité pleinement connue et tous les désirs comblés. Mais il peut coexister avec cette paix imparfaite qui est notre lot ici-bas. » |
↑11 | Cf. B.-D. de La Soujeole, « “Société” et “communion” chez saint Thomas d’Aquin », RT 90 (1990), p. 587. Pour sa part le pape Jean Paul II affirmera, dans un Discours aux cardinaux et à la Curie romaine, 20 décembre 1990, DC n°2021, 3 février 1991, p. 102-105 : « La communion : c’est là, certainement, une notion-clé de l’ecclésiologie de Vatican II et, aujourd’hui, vingt-cinq ans après sa conclusion, il semble qu’il faille encore centrer notre attention sur cette notion. » Le cardinal Ratzinger reviendra lui-même sur ces thèmes en 2000 dans une conférence donnée au Congrès d’études sur le Concile Vatican II sur l’ecclésiologie de la Constitution conciliaire Lumen Gentium, DC n°2223, p. 303-312, reprochant aux théologiens modernes de se faire un devoir, pour maintenir leur bonne réputation, de « donner une évaluation négative des documents de la Congrégation pour la Doctrine de la foi » (p. 306). |