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Une Église sans pape ? (1/2)

« Souvent, Seigneur, ton Église nous semble une barque prête à couler, une barque qui prend l’eau de toute part »[1]Joseph Ratzinger, chemin de croix du Colisée, 2005. L’Église et sa hiérarchie semblent en crise, mais est-ce encore l’Église ? Une solution facile attire : le sédévacantisme.

Les positions « traditionalistes » et la hiérarchie de l’Église

La position des différents mouvements traditionalistes sur le sujet de l’attachement et de l’obéissance à la hiérarchie ecclésiastique depuis le concile Vatican II témoigne d’une grande diversité.

– pour les uns, l’obéissance bien comprise (ou vertueuse qui exclut de soi la soumission aux abus de pouvoir) à la hiérarchie est un principe qui demeure, même en temps de crise.

– pour d’autres, le principe demeure en théorie, mais ne peut et ne doit pas s’appliquer dans les faits, en cas de crise provoquée par la hiérarchie.

– pour certains enfin, le principe d’obéissance demeure, mais ne s’applique plus, puisque la hiérarchie a cessé d’exister, ou du moins d’être investie de l’autorité divine et de détenir le pouvoir de juridiction.

La première position est celle des communautés traditionnelles restées attachées au siège de Pierre (parfois appelées communautés Ecclesia Dei), la deuxième et la troisième nient, en théorie ou en pratique, le dogme de l’indéfectibilité de l’Église.

Indéfectibilité et perpétuité de l’Église

L’indéfectibilité de l’Église – l’impossibilité de la voir tomber un jour dans l’erreur – est définie de foi catholique par le concile Vatican I, sa négation constituerait donc une matière d’hérésie. La définition est particulièrement explicite quant à la pérennité du primat pétrinien[2]« Pour que l’épiscopat soit un et non divisé et pour que, grâce à l’union étroite et réciproque des pontifes, la multitude entière des croyants soit gardée dans l’unité … Continue reading, implicite quant à celle de la hiérarchie[3]« Dès lors, de ce pouvoir suprême qu’a le Pontife romain de gouverner toute l’Église résulte pour lui le droit de communiquer librement, dans l’exercice de sa charge, avec les pasteurs et … Continue reading, indirectement explicite pour la pérennité de l’Église[4]« Si quelqu’un dit qu’il n’y a pas dans l’Église catholique une hiérarchie instituée par une disposition divine, composée d’évêques, de prêtres et de ministres … Continue reading. Cette indéfectibilité de l’Église équivaut donc à une pérennité de droit, car sa cause – l’assistance divine exercée par le Christ, tête de l’Église, en vertu de sa promesse – rend impossible sa destruction. « Sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’Enfer ne prévaudront pas contre elle[5]Mt 16, 18. » Il ne s’agit donc pas d’un simple fait contingent : si la cause est pérenne, perpétuelle, alors la conséquence l’est aussi. Fondée sur la promesse du Christ faite à Pierre, l’indéfectibilité de l’Église est assurée et perpétuelle.

Précisons que lorsque l’on parle ici d’Église, il s’agit de l’Église militante universelle (non pas seulement l’une ou l’autre Église locale), telle qu’instituée par le Christ, considérée dans ses éléments essentiels : une société religieuse destinée à tous les hommes, ayant une hiérarchie munies des pouvoirs d’enseigner (pouvoir de magistère), de sanctifier (les sept sacrements), de gouverner (pouvoir de juridiction).

Quand on parle de hiérarchie, on désigne d’abord ceux qui ont de droit divin le pouvoir de gouverner dans l’Église. Le primat désigne le pouvoir suprême sur cette hiérarchie, exercé de droit divin par une personne physique unique : saint Pierre, puis ses successeurs. Cette perpétuité signifie que l’Église, conformément à la volonté toute-puissante du Christ, durera sur terre jusqu’au jugement dernier.

Les positions “traditionalistes” impliquant un refus de la hiérarchie…

Certaines communautés traditionalistes considèrent que l’obéissance à la hiérarchie ecclésiastique, qui se manifeste entre autres par une reconnaissance canonique (l’intégration officielle de leur communauté dans la hiérarchie ecclésiastique), ne relève pas de la foi en l’Eglise, mais plutôt de sa discipline qui n’est pas un but en soi et peut subir des entorses en cas de nécessité.

Aussi leurs membres affirment-ils que pour rester fidèles à l’intégralité de la Révélation, il est nécessaire de se soustraire en pratique à la soumission habituellement due à la hiérarchie ecclésiastique (pape et ordinaires des lieux : évêques diocésains…) pour exercer publiquement un ministère sacerdotal.

Enfin, beaucoup d’entre eux pour justifier une telle position vont jusqu’à se considérer comme les seuls détenteurs au moins « par intérim », de la Tradition, considérant que la hiérarchie l’a abandonnée, et que ceux qui s’y soumettent sont au moins complices de cet abandon, se mettant par ailleurs hors d’état d’en faire la nécessaire dénonciation… Cette position est dans les faits assimilable à notre sens à celle des sédéprivatistes, alors même que leurs tenants se targuent verbalement de reconnaître le pape et de prier pour lui ou d’accepter sa juridiction pour donner l’absolution sacramentelle.

En effet les sédéprivatistes ou sedeprivationistes considèrent quant à eux que le pape – bien qu’« apparemment » (matériellement) pape – n’est pas réellement investi de l’autorité qui lui incombe, en raison d’un refus tacite de sa charge, par défaut d’intention de gouverner ou d’enseigner catholiquement l’Eglise (au motif qu’il ne chercherait pas son bien commun).

Paul VI et ses successeurs, bien que canoniquement élus au Pontificat, ne possèdent pas l’autorité pontificale.

En termes scolastiques (…) ils sont “papes” materialiter mais pas formaliter, pour la raison que, ne poursuivant pas le bien de l’Eglise et enseignant l’erreur et l’hérésie, s’ils ne rétractent pas d’abord leurs propres erreurs, ils ne peuvent en aucune façon recevoir de Jésus-Christ l’autorité pour gouverner, enseigner et sanctifier l’Eglise[6]Extrait de la page « Qui sommes-nous ? » de l’institut Mater Boni Consillii : https://www.sodalitium.eu/qui-sommes-nous/ ; consultée le 11 Juillet 2023.

Les sédévacantistes tiennent quant à eux que le siège apostolique est vacant (vide) – pour les uns depuis 1965 (clôture du concile Vatican II), pour d’autres depuis l’élection de Paul VI, voire de Jean XXIII. Cette position s’appuie sur divers motifs (selon les – nombreux – groupes) :

– invalidité des nouveaux rites des ordinations,

– hérésies professées par le magistère de Vatican II ou des papes postérieurs.

– hérésie formelle du candidat élu au souverain pontificat.

Toutes ces positions s’opposent – nous allons le montrer – à la foi en l’indéfectibilité de l’Eglise, car elles se ramènent à un sédévacantisme occulte.

 

…sont des positions qui se ramènent à un sédévacantisme occulte

Nous appellerons ici « sédévacantisme occulte » la thèse qui affirme qu’en dépit des apparences la hiérarchie ecclésiastique – en particulier sa tête – a cessé d’exister. D’après elle, seuls certains seraient au fait de la vacance effective du siège de Pierre, occupé – consciemment ou non – par un usurpateur.

Les différentes postures rapportées ici se ramènent en théorie ou au moins en pratique à ce sédévacantisme occulte, car elles nient la nécessité de la juridiction ordinaire présente dans l’Église, supposant que le Christ supplée directement tout ce qui est nécessaire, sans passer par le pape et la hiérarchie – comme si ces institutions n’étaient pas concrètement toujours nécessaires. 

Cette thèse qui est parfois défendue explicitement (les argumentaires sédévacantistes font florès sur internet, développant avec une cohérence apparente des trésors impressionnants d’érudition historique et théologique), est le plus souvent vécue implicitement (par un refus pratique de considérer et de prendre en compte la nécessité de la juridiction ordinaire dans l’Église).

Si on la pousse à bout, la thèse du sédévacantisme occulte est la suivante : en dépit des apparences, il n’y a plus de pape, ou de pape investi de son autorité pontificale, depuis plus de six décennies. En conséquence, il n’y a plus de succession apostolique formelle, d’unité de gouvernement et d’exercice de vraie juridiction contraignante, de vrai magistère (par défaut d’intention pour les uns, de sujet pour les autres), de vrais cardinaux pouvant élire un vrai pape. Pour en rajouter encore, dans cette impasse, les seuls sacrements certainement demeurés valides dans l’Église latine sont le mariage et le baptême (en raison des réformes liturgiques des rites, ou du doute planant sur l’intention des papes ayant approuvé ces changements)[7]Voir par exemple dans le Courrier de Rome, Mars 2023, pp. 7-12 : « Tous douteux » par l’abbé Jean-Michel Gleize, qui conclut à la page 12 : « C’est ainsi qu’il faut comprendre ce qu’a … Continue reading.

Les principales conséquences de ces positions suffisent à montrer en quoi elles sont contraires au dogme de l’indéfectibilité de l’Église ou à sa pérennité de droit. La conclusion s’impose d’autant plus qu’il est désormais clair qu’aucune personne ayant autorité de droit divin dans l’Église ne se soucie publiquement de remédier à cette prétendue vacance du siège ou à ce défaut d’autorité. C’est ce qui conduit à faire de cette position un sédévacantisme occulte : seuls les tenants de la thèse semblent au fait d’un événement qui représenterait pour l’Église un fait crucial et sans précédent.

Nous montrerons dans un prochain article que ce sédévacantisme occulte nie l’indéfectibilité de l’Eglise, en étant contraire à sa nature de société visible et parfaite, voulue par le Christ, ainsi qu’à la théologie catholique traditionnelle concernant la vacance du siège romain.

Références

Références
1 Joseph Ratzinger, chemin de croix du Colisée, 2005
2 « Pour que l’épiscopat soit un et non divisé et pour que, grâce à l’union étroite et réciproque des pontifes, la multitude entière des croyants soit gardée dans l’unité de la foi et de la communion, plaçant saint Pierre au-dessus des autres apôtres, il établit en sa personne le principe durable et le fondement visible de cette double unité. Sur sa solidité, se bâtirait le temple éternel et sur la fermeté de cette foi, s’élèverait l’Église, dont la grandeur doit toucher le ciel.

Parce que les portes de l’enfer, en vue de renverser, s’il se pouvait, l’Église, se dressent de toutes parts avec une haine de jour en jour croissante contre ce fondement établi par Dieu, Nous jugeons nécessaire pour la protection, la sauvegarde et l’accroissement du troupeau catholique, avec l’approbation du saint concile, de proposer à tous les fidèles la doctrine qu’ils doivent croire et tenir, conformément à la foi antique et constante de l’Église, concernant l’institution. Le caractère perpétuel et la nature de la primauté du Siège apostolique, sur lequel reposent sa force et la solidité de toute l’Église, et aussi de proscrire et de condamner les erreurs contraires, si pernicieuses pour le troupeau du Seigneur. » Vatican I, Pastor Aeternus, 2

3 « Dès lors, de ce pouvoir suprême qu’a le Pontife romain de gouverner toute l’Église résulte pour lui le droit de communiquer librement, dans l’exercice de sa charge, avec les pasteurs et les troupeaux de toute l’Église, pour pouvoir les enseigner et les gouverner dans la voie du salut. » Vatican I, Pastor Aeternus
4 « Si quelqu’un dit qu’il n’y a pas dans l’Église catholique une hiérarchie instituée par une disposition divine, composée d’évêques, de prêtres et de ministres : qu’il soit anathème. » Concile de Trente, sess. XXIII, DS1776 ; « De même que l’autorité de Pierre est nécessairement permanente et perpétuelle dans le Pontife romain, ainsi les évêques, en leur qualité de successeurs des Apôtres, sont les héritiers du pouvoir ordinaire des Apôtres, de telle sorte que l’ordre épiscopal fait nécessairement partie de la constitution intime de l’Église. »  Léon XIII, Satis cognitum, 29 juin 1896
5 Mt 16, 18
6 Extrait de la page « Qui sommes-nous ? » de l’institut Mater Boni Consillii : https://www.sodalitium.eu/qui-sommes-nous/ ; consultée le 11 Juillet 2023.
7 Voir par exemple dans le Courrier de Rome, Mars 2023, pp. 7-12 : « Tous douteux » par l’abbé Jean-Michel Gleize, qui conclut à la page 12 : « C’est ainsi qu’il faut comprendre ce qu’a dit Mgr Lefebvre lors de la cérémonie des sacres du 30 juin 1988. Parlant des évêques conciliaires, il a déclaré que leurs sacrements « sont tous douteux » et la raison qu’il en a donné est que « l’on ne sait pas exactement quelles sont leurs intentions ». Précisément, leurs intentions sont douteuses dans la mesure exacte où les nouveaux rites réformés par Paul VI sont douteux. Nous savons qu’il y a un doute, concernant la validité, pour les deux sacrements de l’extrême-onction et de la confirmation, en raison de la matière . Il y a aussi un doute pour le sacrement de l’eucharistie, pour la messe, en raison de l’ambiguïté du nouveau rite, qui peut fausser l’intention du célébrant. Quant au sacrement de l’ordre, la problématique, s’il en est une, est analogue à celle de la messe : on ne saurait juger de la validité qu’au cas par cas des célébrations concrètes ».
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