Il était une fois…
Il était une fois, il y a près de mille huit cent ans, une jeune fille du nom d’Anastasie. Une jeune fille dont on ne sait pas grand-chose : même la référence médiévale en matière de vie de saint, la Légende dorée du bienheureux Jacques de Voragine, apporte peu d’éléments ! Et pourtant, certaines choses sont certaines, et pas des moindres. Lesquelles ?
Tout d’abord, il existe à Rome, depuis le milieu du IVe siècle, une basilique dédiée à sainte Anastasie, or une basilique, c’est plus qu’une simple église. Et c’est là que les papes ont longtemps célébré la messe de l’aurore, le jour de Noël ! Ensuite, depuis le Ve siècle, parmi le “G7” féminin du canon romain – les huit femmes priées d’intercéder pour nous à chaque messe dans la prière du Nobis quoque peccatoribus, il y a sainte Anastasie. À ce titre, elle est plus mise à contribution que sainte Marie-Madeleine ou sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus ! Enfin, depuis des siècles, le jour de Noël, fête de Notre Seigneur, est placé sous le patronage de sainte Anastasie : c’est la seule sainte dont il soit fait mémoire le jour d’une si grande fête (de première classe) ; dans tous les autres cas les saints du jours s’éclipsent pour laisser place au Christ ou à la Vierge.
Conclusion de cette petite enquête : puisqu’il n’y a pas de fumée sans feu, et qu’au nom de sainte Anastasie beaucoup de bruit se fait, c’est que cette sainte n’est pas qu’un personnage de théâtre où de légende. Que sait-on d’elle ? Voilà rassemblés quelques éléments de sa vie :
Il était une foi !
Sainte Anastasie naquit dans une famille romaine noble. Son père était païen, mais sa mère était chrétienne, et elle transmit à sa fille le précieux trésor de la foi. Jeunesse, richesse, beauté, la jeune fille avait tout pour attirer les cœurs : aussi son père la maria-t-il assez tôt à un gentilhomme romain du nom de Publius. Celui-ci refusait de suivre sa femme et de se convertir, aussi pendant quelques temps la foi d’Anastasie dut rester cachée, et son rayonnement de charité fut réduit quant à la visibilité, mais non quant aux efforts de la jeune fille. Une certaine discrétion était d’ailleurs de mise au point de vue politique : il faut dire que nous étions à la fin du troisième siècle ou au début du quatrième, sous l’empereur Dioclétien, de sinistre mémoire, sous lequel périrent nombre de martyrs – dont sainte Lucie.
Charité incarnée : de la bourse à l’action directe.
Régulièrement, à l’insu de son mari, déguisée en femme du peuple et accompagnée d’une seule servante, elle se rendait dans les prisons où, ayant acheté le silence des gardes et sentinelles, elle introduisait vivres et vêtements. Surtout, elle y entrait elle-même, apportant aux chrétiens qui y étaient enfermés des soins et des remèdes qui lui valurent, en Orient, la réputation de « livreuse de potions », de remèdes : cela explique qu’elle y soit invoquée comme soignante.
Visiter ceux qui sont en prison, nourrir ceux qui ont faim, soigner les malades : autant d’œuvres de “miséricorde corporelle” qu’elle accomplissait régulièrement. À la longue toutefois, il devint difficile de garder un tel secret. Et ce qui devait arriver arriva : Publius, son mari, eut vent de l’affaire. Furieux de voir sa femme dilapider ainsi sa fortune, et ne pensant pas une seule seconde aux besoins des pauvres prisonniers, il décida de confiner son épouse : interdiction de sortir de chez elle ; plus encore d’aller dans une prison, de nuire à son honneur, au rang social de la famille, et de dilapider inutilement tout un patrimoine qui devait lui revenir ! Une garde fut mise en place, et sainte Anastasie se trouva limitée dans son aide aux chrétiens. Patiente dans cette épreuve et se confiant à la Providence, elle fut finalement délivrée de ces chaînes par la mort brutale de son mari.
S’encourager entre chrétiens
Au cours de ce confinement, elle avait été soutenue par des lettres et prières de saint Chrysogone, patriarche d’Aquilée (lui aussi mentionné au canon de la messe). Celui-ci se trouvait alors en prison, et pendant près de deux ans sainte Anastasie se dévoua auprès de lui et vint le visiter à son tour, avant qu’il ne subisse finalement le martyre. Après l’avoir enterré, sainte Anastasie partit pour la Macédoine, où les persécutions faisaient rage, afin d’apporter son aide matérielle et spirituelle aux chrétiens menacés.
Elle venait ainsi régulièrement visiter les prisons, quand un jour elle arriva devant une prison vide. Elle savait que des chrétiens s’y trouvaient quelques heures auparavant, grande fut donc sa tristesse de ne pas avoir pu les aider. Les gardes remarquèrent sa mine défaite, et lui en demandèrent la raison : ce à quoi elle répondit la vérité. Les gardes en conclurent qu’elle était chrétienne, et l’arrêtèrent à l’instant.
Traitement de faveur pour une aristocrate de Rome ?
Sainte Anastasie fut menée devant le juge Florus, préfet d’Illyrie. Celui-ci s’enquit d’abord de ses biens : consentirait-elle à les lui donner en échange de sa vie ? Mais Anastasie avait déjà dépensé toute sa fortune pécuniaire en nourriture, soins et vêtements pour les chrétiens emprisonnés. Que lui restait-il ? Des biens fonciers, des terres ? En effet, mais elle refusait de les lui donner. Si celui-ci avait été nécessiteux, elle lui aurait donnés avec joie, mais un préfet de l’empire n’a point de souci financier. En revanche, elle voulait bien intercéder auprès de Dieu pour lui obtenir le bien qui lui manquait cruellement : le bien de la grâce, le bien de la foi.
Consentirait-elle à adorer les divinités romaines, dont l’empereur ? Là-dessus, rien à faire : la réponse de sainte Anastasie était radicale. Au vu de sa noble origine, du rang social de son mariage, de sa fortune réelle, Florus chercha encore un moment à la faire fléchir. Mais ses réponses ne changèrent point pour autant : elle n’entendait adorer qu’un seul Dieu, le Dieu des chrétiens. Lassé par une telle résistance, Florus la condamna finalement à mort, selon la ligne de conduite édictée par l’empereur Dioclétien.
Il y eut tout d’abord une tentative de noyade par sabordage d’un navire, mais le bateau et ses deux cents condamnés arrivèrent – malgré la voie d’eau – jusqu’à la terre ferme. Ce fut l’occasion de la conversion de nombre de ces âmes, qui furent martyrisées quelques jours plus tard. Pour sainte Anastasie, c’est attachée à un poteau et brûlée vive, comme Jeanne d’Arc quelques siècles plus tard, qu’elle partit vers la maison du Père, en l’an 303. Voilà pour les grandes lignes de la vie de sainte Anastasie, dont la foi incarnée, le dévouement auprès des prisonniers et des malades, donne un bel exemple de vie tournée vers le Seigneur.
Encore une raison ?
Il y a peut-être une raison supplémentaire qui explique la place singulière de sainte Anastasie dans la liturgie, raison qui tient dans son prénom. Le nom Anastasie vient du grec, et signifie « né une nouvelle fois, résurrection ». Un tel prénom le jour de Noël, où nous fêtons la naissance temporelle de Notre Seigneur, c’est plus qu’une coïncidence. N’est-il pas là pour nous pousser à dépasser le visible, à vénérer dans l’Enfant de la crèche notre Dieu, notre Sauveur, celui qui par sa Résurrection triomphe de la mort ? De la crèche à la croix, il n’y a qu’un pas, il n’y a qu’un instant, il n’y a qu’une seule et même volonté du Christ : « C’est pourquoi le Christ dit ceci entrant dans le monde: ‘Vous n’avez voulu ni sacrifice, ni oblation, mais vous m’avez formé un corps; vous n’avez agréé ni holocaustes, ni sacrifices pour le péché. Alors j’ai dit : Me voici (…), je viens ô Dieu, pour faire votre volonté’ » (He 10,5-7). Cet enfant Jésus qui naît, c’est notre Sauveur, celui qui nous sauve par sa Passion, sa mort et sa Résurrection ! Pensons-y pendant ce temps de Noël, et pendant la messe de l’aurore, prions sainte Anastasie de nous guérir de nos blessures et de nous communiquer sa foi !