Qu’est-ce qu’un prêtre ? « Sacerdoce », le film événement de Damien Boyer, entreprend de donner un aperçu enthousiaste et contemporain du sacerdoce catholique, en suivant cinq figures de prêtres hauts en couleurs.
Avertissement : le présent article n’entend critiquer ni la démarche du film, ni surtout les prêtres qui ont courageusement accepté de témoigner en toute vérité et d’ouvrir une partie de leur vie et de leur ministère devant la caméra. En ces jours d’ordinations sacerdotales nous prenons toutefois occasion du film pour revenir sur le Sacerdoce.
Des prêtres hors du commun
Le film prend le parti de suivre la figure de cinq prêtres très différents, qui ont accepté d’ouvrir une partie de leur vie et de leur ministère au regard de la caméra. L’un est incardiné dans un diocèse du Sud de la France, dont il sillonne en caravane les villages qui n’ont plus accès au prêtre ; l’autre est curé d’une paroisse semi-rurale vers Orléans ; le troisième est prêtre de la société de Saint-Jean-Marie-Vianney et exerce son ministère auprès des jeunes en organisant des camps en montagne ; la quatrième est prêtre du diocèse de Paris ; le cinquième, originaire de Versailles, est depuis près de deux décennies auprès des enfants des rues à Manille.
Le film suit les cinq prêtres dans plusieurs moments de leur vie quotidienne et en donne une figure très abordable et humaine, avec une large place laissée au témoignage de chacun. Dans la présentation des cinq prêtres cependant, une large place est laissée à un aspect extraordinaire de sa vie ou de son tempérament : l’un vit en caravane, l’autre au milieu des bidonvilles, l’un tutoie les sommets en plein hiver tandis que l’autre sillonne les routes sur son vélo de course…
Qu’est-ce qu’un prêtre ?
La présentation des cinq prêtres en partant de ces facettes inattendues de leur personnalité contribue à les présenter comme abordables et rend le film très sympathique. Il est vrai que le prêtre est aujourd’hui une figure tellement rare et mal connue, qu’une présentation qui met d’abord en valeur ses qualités humaines peut aider certains à faire tomber des préjugés tenaces. On le comprend d’ailleurs venant d’un réalisateur lui-même protestant. Ce contact du prêtre qui insiste sur son aspect humain permet d’ailleurs d’éviter une inopportune sacralisation de l’homme, investi du pouvoir sacramentel sans être pour autant rendu impeccable ou infaillible.
On ne peut toutefois pas manquer de s’étonner que le « sacerdoce » soit presque exclusivement présenté en insistant sur le visage humain du prêtre…
Finalement, la définition du sacerdoce qui semble émerger du film consiste avant tout dans le don de soi : les cinq hommes avec lesquels on fait connaissance à l’écran sont particulièrement intègres, engagés et généreux… ils ont donné leur vie radicalement et sans arrière-pensée.
Une fois encore l’approche est belle et exaltante. Dans un monde qui peine à se lier pour les plus petits engagements, le pas irrévocable du sacerdoce est une bien grande chose. Mais il nous semble qu’il manquerait là encore un aspect primordial, si l’on s’arrêtait à cette définition.
En effet, l’ordre – qui constitue le sacerdoce – est un sacrement : un don de Dieu, absolument transcendant et immérité. Dans l’optique protestante, le « sacrement » est souvent assimilé à un engagement de l’homme ; dans la théologie catholique, il est avant tout un engagement de Dieu. Et l’engagement du prêtre n’est que le corrélatif et la conséquence de ce don, car c’est la grâce, agissant à l’intérieur de l’âme, qui attire certains hommes sur la voie de la conformation au Christ-prêtre, qui les modèle sur le cœur de Jésus et qui soutient jour après jour leur fidélité. Une vraie compréhension du prêtre ne peut donc faire l’économie de la nature sacramentelle et donc transcendante de son état : avant d’être un don de soi, le sacerdoce est un don de Dieu.
Le cœur de notre vie
Ainsi le prêtre, quoiqu’humain, doit mettre au centre de sa vie et de son activité sa profonde conformation au Christ-prêtre, réalisée au plus haut point dans la célébration des sacrements : eucharistie et pénitence, baptême, mariage, onction des malades…
Le sacerdoce, disait le saint curé d’Ars, « c’est l’amour du cœur de Jésus ». Le prêtre, disait Benoît XVI, est « un don du cœur du Christ ». Le contact de ce cœur se cherche et se trouve dans les sacrements, qui sont ce pour quoi le prêtre est fait, avant tout. La distinction essentielle entre le sacerdoce commun auquel participent tous les fidèles en vertu de leur baptême, et le sacerdoce ministériel des prêtres, se trouve justement dans ce service accompli par et pour l’Église, unique canal de la grâce christique à travers les sacrements. Cela ne revient pas à faire du prêtre un « distributeur de sacrements », mais conduit cependant à reconnaître avec humilité qu’il n’est que le « ministre » – c’est à dire le serviteur – du Christ et de sa grâce.
Le centre de la vie du prêtre, c’est donc la messe, renouvellement non-sanglant mais bien réel du sacrifice de la croix, source de la Rédemption et du rachat communiqués dans le baptême, la confession, l’onction des malades… Chaque journée sacerdotale doit avoir en point de mire ce sommet de l’autel, trait d’union mystique avec la Cène et le Calvaire, lieu de la suprême conformation au divin maître.
Quoiqu’homme parmi les hommes, le prêtre doit donc s’efforcer d’être toujours plus « homme de Dieu » : reflet de la bonté du Christ parmi les siens, sacrement de sa présence et canal de sa grâce. « Imitez ce que vous accomplissez » demande l’évêque lors de l’ordination : celui qui chaque jour célèbre les saints mystères de la Passion et de la Résurrection du Seigneur doit faire rayonner dans toute sa vie la lumière paradoxale mais salvatrice de l’amour de la croix.
Voilà cet aspect que nous aurions aimé voir mieux apparaître dans le « Sacerdoce » de Damien Boyer : la messe, l’eucharistie (qui apparaît seulement en quelques images des Philippines, à la toute fin), la confession, l’oraison et la prière personnelle du prêtre, sa quête de Dieu au quotidien dans la Sainte Écriture, sa prière du bréviaire en union avec toute l’Église.
Le sacerdoce au XXIe siècle
Enfin, puisqu’il semble qu’un long-métrage sur le sacerdoce au XXIe siècle pouvait difficilement en faire l’économie, « Sacerdoce » revient sur les abus divers que l’imaginaire médiatique en vient malheureusement à associer à la figure du prêtre. Les prêtres qui s’expriment sont justes, fermes et pudiques dans leurs mots.
Le lien semble cependant marqué (de manière implicite, convenons-en) entre ces abus inqualifiables et la discipline ecclésiastique du célibat : signe de contradiction, témoignage du don total et de l’abandon à Dieu, disponibilité radicale de cœur et d’esprit pour le Seigneur. Outre l’association très contestable de ce thème avec celui des abus sexuels, il nous semble que certaines expressions employées au sujet de la discipline de la chasteté sacerdotale correspondent mal à la réalité spirituelle et la pratique de l’Église : « blessure affective », « frustration », « manque », « privation »… Heureusement ces sons de cloche sont nuancés par le beau témoignage de prêtres qui parlent de la « manifestation d’une vie donnée », d’une « manière originale d’être au monde », d’un « message sur la vie éternelle ».
Outre ces aspects délicats, l’interrogation sur la place du prêtre dans le monde du XXIe traverse tout le film. Il nous semble qu’il en est l’un des enjeux principaux, et que l’approche choisie par Damien Boyer joue en quelque sorte un rôle de révélateur : en insistant largement sur le visage « comme-tout-le-monde » du prêtre à vélo, en tenue de randonnée ou en caravane, le réalisateur nous rappelle l’importance de l’équilibre humain. Le contexte social de notre siècle, avec la situation complexe de l’Église, la raréfaction dramatique des ministres, constitue en effet un défi et un danger pour le sacerdoce. Le nivellement et l’oubli de la dimension proprement transcendante du sacrement de l’ordre ne nous semble pourtant pas être une vraie solution : la crise du sacerdoce au XXe siècle a largement été une crise d’identité. N’est-ce pas aussi en se recentrant sur ce qui fait l’essence même du prêtre que les ministres de demain sauront mieux correspondre à la grâce immense qui leur est faite par le Christ lorsqu’il leur dit : « jam non dicam vos servos sed amicos » – « je ne vous appelle plus serviteurs mais amis ». Il nous semble que c’est le message que voulut mettre en avant le pape Benoît XVI lorsqu’il présenta en modèle pour tous les prêtres du monde (en 2009, à l’occasion de l’année sacerdotale) saint Jean-Marie Vianney, un prêtre dont la journée se passait intégralement dans son église, entre la chaire, l’autel et le confessionnal ?
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