De qui parlons-nous au juste ?
De qui le nouveau testament annonce-t-il la conception par la voie de l’ange Gabriel ? La naissance miraculeuse ? La circoncision ? La retraite au désert ? La vie de pénitence et de prière ? La prédication aux foules, les baptêmes, les disciples, enfin l’opposition des pharisiens et des princes des prêtres, puis la condamnation inique et la mort sans résistance ? Il n’y a que deux réponses possibles, deux destins mêlés. La réponse qui vient naturellement à l’esprit : le Seigneur, dont les évangiles racontent la vie, la mort et la résurrection ! Pourtant il est une (seule) autre personne qui corresponde à toutes ces descriptions, celle que l’Église fête aujourd’hui avec faste, le prophète du Très haut : saint Jean-Baptiste, précurseur du Messie !
Une conception miraculeuse
Nous sommes au mois de septembre de l’an -2, à Jérusalem. Plus précisément à la fin du mois, entre le 24 et le 30. Comme chaque jour, un prêtre s’occupe du culte du Temple, il vient offrir l’encens devant l’autel. Ce prêtre se nomme Zacharie, c’est un vieil homme, marié depuis longtemps avec Élisabeth, union malheureusement privée d’enfants. Le prêtre Zacharie est seul pour offrir le sacrifice du soir, quand tout à coup un envoyé du Ciel fait irruption dans le lieu saint : l’ange Gabriel, porteur d’un message de Dieu ! Voilà le récit de l’évangile de saint Luc.
Alors lui apparut l’Ange du Seigneur, debout à droite de l’autel de l’encens. À cette vue, Zacharie fut troublé et la crainte fondit sur lui. Mais l’ange lui dit : “Sois sans crainte, Zacharie, car ta supplication a été exaucée ; ta femme Élisabeth t’enfantera un fils, et tu l’appelleras du nom de Jean. Tu auras joie et allégresse, et beaucoup se réjouiront de sa naissance. Car il sera grand devant le Seigneur ; il ne boira ni vin ni boisson forte ; il sera rempli d’Esprit Saint dès le sein de sa mère et il ramènera de nombreux fils d’Israël au Seigneur, leur Dieu. Il marchera devant lui avec l’esprit et la puissance d’Élie, pour ramener le cœur des pères vers les enfants et les rebelles à la prudence des justes, préparant au Seigneur un peuple bien disposé.”
Zacharie dit à l’ange : “À quoi connaîtrai-je cela ? Car moi je suis un vieillard et ma femme est avancée en âge.”
Et l’ange lui répondit : “Moi je suis Gabriel, qui me tiens devant Dieu, et j’ai été envoyé pour te parler et t’annoncer cette bonne nouvelle. Et voici que tu vas être réduit au silence et sans pouvoir parler jusqu’au jour où ces choses arriveront, parce que tu n’as pas cru à mes paroles, lesquelles s’accompliront en leur temps[1](Lc 1, 11-20).”
Incrédule, Zacharie se trouvait porteur d’une nouvelle extraordinaire, mais dans l’incapacité de la communiquer, condamné pour un temps au silence… Toutefois cela n’empêcha pas l’annonce de se réaliser : et bientôt Élisabeth se retrouva enceinte, contre toute attente !
Une arrivée sous les meilleurs auspices
Six mois plus tard, le 25 mars, une jeune fille de Nazareth reçut à son tour la visite du messager céleste, et à Marie l’Ange Gabriel proposa de devenir mère du Messie, mère de Jésus, mère de Dieu. Et, pour lui prouver que « rien n’est impossible à Dieu », il révèle à Marie la conception inattendue de sa cousine : « Et voici qu’Élisabeth, ta parente, vient, elle aussi, de concevoir un fils dans sa vieillesse, et elle en est à son sixième mois, elle qu’on appelait la stérile[2](Lc 1, 36)”. Aussitôt, elle partit en hâte vers Aïn Karem, où résidait Zacharie et Élisabeth, pour se mettre au service de sa cousine. Et dès son arrivée, l’enfant d’Élisabeth se manifeste in utero, dans le magnifique épisode de la Visitation :
Et il advint, dès qu’Élisabeth eut entendu la salutation de Marie, que l’enfant tressaillit dans son sein et Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint. Alors elle poussa un grand cri et dit : “Bénie es-tu entre les femmes, et béni le fruit de ton sein ! Et comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? Car, vois-tu, dès l’instant où ta salutation a frappé mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en mon sein[3](Lc 1, 42-44).”
Saint Jean-Baptiste commençait ainsi sa mission de prophète, d’annonciateur du Messie venu sur terre apporter le salut, la joie, la paix !
Une mission : devenir prophète du Très Haut
À nouveau, le temps a passé, et cela fait maintenant trois mois que Marie réside auprès de sa cousine Élisabeth ; cette dernière arriva au terme de sa grossesse et mit au monde un fils longtemps désiré. Ce fut une joie pour elle, pour Zacharie, pour leurs amis, que d’accueillir un nouveau-né. Vite, on se rassemble, et vient le jour de la circoncision, où les nourrissons recevaient leur nom. Quel serait celui de l’enfant du miracle ?
Et il advint, le huitième jour, qu’ils vinrent pour circoncire l’enfant. On voulait l’appeler Zacharie, du nom de son père ; mais, prenant la parole, sa mère dit : “Non, il s’appellera Jean.” Et on lui dit : “Il n’y a personne de ta parenté qui porte ce nom !” Et l’on demandait par signes au père comment il voulait qu’on l’appelât. Celui-ci demanda une tablette et écrivit : “Jean est son nom” ; et ils en furent tous étonnés. A l’instant même, sa bouche s’ouvrit et sa langue se délia, et il parlait et bénissait Dieu[4](Lc 1, 59-64).
Zacharie ayant accepté pleinement l’annonce de l’ange, sa langue fut déliée, et il put annoncer à son tour ce que serait cet enfant : un prophète du Très-haut, un précurseur, un guide qui aplanirait les chemins par où passerait le Messie, son cousin Jésus-Christ :
Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut ; car tu marcheras devant le Seigneur, pour lui préparer les voies, pour donner à son peuple la connaissance du salut par la rémission de ses péchés ; grâce aux sentiments de miséricorde de notre Dieu, dans lesquels nous a visités l’Astre d’en haut, pour illuminer ceux qui demeurent dans les ténèbres et l’ombre de la mort, afin de guider nos pas dans le chemin de la paix[5](Lc 1, 76-79).
L’action du précurseur
Nous savons peu de choses de l’enfance de saint Jean-Baptiste. Si rien n’est précisé dans l’évangile sur une rencontre entre les deux enfants, les peintres se sont plu à représenter le Baptiste et l’enfant Jésus réunis, jouant ensemble sous la surveillance bienveillante de la jeune Marie et de la vieille Élisabeth, ce qui est tout à fait possible.
Nous retrouvons ensuite saint Jean-Baptiste pleinement mûr, âgé d’une trentaine d’année. Entre temps, il est probable qu’il ait mené une vie dirigée par les faveurs de Dieu, se tournant très jeune vers la solitude et la retraite du désert. Il n’est pas impossible non plus (c’est du moins une hypothèse plusieurs fois formulée, quoique toujours contestée) qu’il ait fréquenté un temps des communautés esséniennes comme celles de Qumran.
Ce qui est sûr, c’est que vers sa trentième année, il vivait retiré dans le désert, à proximité toutefois de villes comme Jérusalem, et qu’il prêchait aux foules. Les conversions étaient nombreuses. Son franc parler, son style de vie radical, son choix de servir Dieu plutôt que de rechercher la considération des hommes fascinèrent certains, qui devinrent ses disciples ; mais lui attirèrent aussi des ennemis, que la vérité dérangeait. Saint Marc résume ainsi ses activités :
Jean le Baptiste fut dans le désert, proclamant un baptême de repentir pour la rémission des péchés. Et s’en allaient vers lui tout le pays de Judée et tous les habitants de Jérusalem, et ils se faisaient baptiser par lui dans les eaux du Jourdain, en confessant leurs péchés. Jean était vêtu d’une peau de chameau et mangeait des sauterelles et du miel sauvage[6](Mc 1, 4-6)
Quant à son franc parler, voilà à quelle enseigne il accueillait ceux qui ne lui paraissaient pas sincères, comme les pharisiens scrupuleux :
Il disait donc aux foules qui s’en venaient se faire baptiser par lui : “Engeance de vipères, qui vous a suggéré d’échapper à la Colère prochaine ? Produisez donc des fruits dignes du repentir, et n’allez pas dire en vous-mêmes : Nous avons pour père Abraham. Car je vous dis que Dieu peut, des pierres que voici, faire surgir des enfants à Abraham. Déjà même la cognée se trouve à la racine des arbres ; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu[7](Lc 3,7-9).”
Le passage de relais : le baptême du Christ
L’action du Baptiste était très claire : il avait été choisi par Dieu pour préparer l’arrivée du Christ :
Et il proclamait : “Vient derrière moi celui qui est plus fort que moi, dont je ne suis pas digne, en me courbant, de délier la courroie de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés avec de l’eau, mais lui vous baptisera avec l’Esprit Saint[8](Mc 1,7-8).”
Et quand Jésus commença sa vie publique, il le manifesta, lui envoyant ses disciples :
Le lendemain, Jean se tenait là, de nouveau, avec deux de ses disciples. Regardant Jésus qui passait, il dit : “Voici l’agneau de Dieu.” Les deux disciples entendirent ses paroles et suivirent Jésus[9](Jn 1, 35-39).”
En guise de passation de témoin, comment ne pas mentionner la scène du baptême du Christ, où se manifeste tant la puissance divine de la Trinité que la simplicité du précurseur, qui veut diminuer pour que Jésus croisse ?
Alors Jésus arrive de la Galilée au Jourdain, vers Jean, pour être baptisé par lui. Celui-ci l’en détournait, en disant : “C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et toi, tu viens à moi !” Mais Jésus lui répondit : “Laisse faire pour l’instant : car c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice.” Alors il le laisse faire. Ayant été baptisé, Jésus aussitôt remonta de l’eau ; et voici que les cieux s’ouvrirent : il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et voici qu’une voix venue des cieux disait : “Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur[10](Mt 3, 13-17).”
À partir de là, saint Jean-Baptiste quitte les avant-postes, bientôt il sortira complètement de la scène des affaires terrestres pour aller participer au banquet du Ciel.
La fidélité à la vérité, jusqu’à la mort
Notons que ce qui entraîne la mise à mort de saint Jean-Baptiste n’est pas une question théologique ou religieuse. Bien sûr, il a des disciples, il reconnaît que Jésus est « l’élu de Dieu » ; et il est vrai que ses commentaires contre les hypocrites lui ont valu nombre d’ennemis. Mais c’est pour une simple question de morale naturelle qu’il sera arrêté, et finalement exécuté. Voici l’affaire :
C’est qu’en effet Hérode avait fait arrêter, enchaîner et emprisonner Jean, à cause d’Hérodiade, la femme de Philippe son frère. Car Jean lui disait : “Il ne t’est pas permis de l’avoir.” Il avait même voulu le tuer, mais avait craint la foule, parce qu’on le tenait pour un prophète[11](Mt 14, 3-5).
Malgré les protestations de Jean, qui rappelle l’indissolubilité du mariage en général, et en particulier de celui d’Hérodiade et Philippe, Hérode est passé à l’acte ; et pour faire taire cet oiseau de mauvais augure qu’est le Baptiste, il l’a fait emprisonner. De sa prison, saint Jean-Baptiste ne fut pas inactif, il continua d’orienter ses disciples vers le Christ, il tient bon dans sa critique contre le roi, d’où la haine d’Hérodiade qui cherchait tous les moyens d’étouffer cette voix gênante.
L’occasion se présenta enfin :
Or, comme Hérode célébrait son anniversaire de naissance, la fille d’Hérodiade dansa en public et plut à Hérode au point qu’il s’engagea par serment à lui donner ce qu’elle demanderait. Endoctrinée par sa mère, elle lui dit : “Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean le Baptiste.” Le roi fut contristé, mais, à cause de ses serments et des convives, il commanda de la lui donner et envoya décapiter Jean dans la prison. Sa tête fut apportée sur un plat et donnée à la jeune fille, qui la porta à sa mère[12](Mt 14, 6-11).
C’est ainsi que rendit son dernier soupir le Précurseur du Christ, le prophète du Très-Haut, le héraut de Jésus, l’enfant du miracle, c’est ainsi que saint Jean-Baptiste, après une vie d’ascèse, de pénitence et de prédication dans la charité fraternelle, passa du séjour de la terre à l’antichambre des enfers pour y patienter, en compagnie des justes de l’Ancien Testament, que le Christ vient rouvrir les portes du Ciel fermées depuis le péché originel !
En conclusion, reprenons un double jugement sur le baptiste : du Christ d’abord : « Je vous le dis : de plus grand que Jean parmi les enfants des femmes, il n’y en a pas ; et cependant le plus petit dans le Royaume de Dieu est plus grand que lui[13](Lc 7, 28)” ; de saint Thomas d’Aquin ensuite : « Nul ne s’est jamais rencontré qui fut plus grand que saint Jean-Baptiste. Il surpasse tous les autres, il brille au-dessus de tous ; auprès de lui les prophètes et les patriarches ne sont que des ombres, et tout homme né de la femme sera toujours impuissant à l’égaler » (Somme Théologique, IIIa Pars, q. 38, a.1).
Références[+]
↑1 | (Lc 1, 11-20) |
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↑2 | (Lc 1, 36) |
↑3 | (Lc 1, 42-44) |
↑4 | (Lc 1, 59-64) |
↑5 | (Lc 1, 76-79) |
↑6 | (Mc 1, 4-6) |
↑7 | (Lc 3,7-9) |
↑8 | (Mc 1,7-8) |
↑9 | (Jn 1, 35-39) |
↑10 | (Mt 3, 13-17) |
↑11 | (Mt 14, 3-5) |
↑12 | (Mt 14, 6-11) |
↑13 | (Lc 7, 28) |