Après la montée de tensions qui marquèrent le milieu de la décennie 1970 et la fin du pontificat de Paul VI, Écône et Mgr Lefebvre se prirent à espérer une détente. En 1984, par le motu proprio Quatuor abhinc annos, Jean-Paul II rendait un (discret) droit de cité à la liturgie traditionnelle. Les discussions reprirent entre Rome et Écône et l’on put envisager un accord.
Entre défiance et confiance
En 1984, Mgr Lefebvre écrivait ainsi, dans sa Lettre ouverte aux catholiques perplexes :
On écrit aussi qu’après moi mon œuvre disparaîtra, parce qu’il n’y aura pas d’évêque pour me remplacer. Je suis certain du contraire, je n’ai aucune inquiétude. Je peux mourir demain, le Bon Dieu a toutes les solutions. Il se trouvera de par le monde, je le sais, suffisamment d’évêques pour ordonner nos séminaristes. Même s’il se tait aujourd’hui, l’un ou l’autre de ces évêques recevrait du Saint-Esprit le courage de se dresser à son tour. Si mon œuvre est de Dieu, Il saura la garder et la faire servir au bien de l’Église. Notre-Seigneur nous l’a promis : les Portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle[1]Lire la Lettre ouverte aux catholiques perplexes.
Dans les années suivantes les discussions furent cependant serrées. La question de la liberté religieuse dans l’enseignement du Concile Vatican II (déclaration Dignitatis humanae, voir par exemple notre article Le Christ-Roi et la liberté religieuse), fut la principale pierre d’achoppement entre Mgr Lefebvre (qui avait pourtant signé la déclaration lors de sa promulgation) et le Vatican. En 1985, l’évêque adressa à Rome une longue lettre formulant des dubia au sujet de Dignitatis humanae. Il reçut en 1987 une réponse de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi qui ne le satisfit pas. Entre temps, le pape avait réuni à Assise une « rencontre spéciale de prière pour la paix », durement dénoncée par la Fraternité Saint-Pie X.
Ces deux événements confortèrent Mgr Lefebvre dans son idée qu’il devrait un jour procéder à des sacres épiscopaux pour assurer la pérennité de son œuvre : « le Bon Dieu demande que l’Église continue. C’est pourquoi, il est vraisemblable que je devrai, avant de rendre compte de ma vie au Bon Dieu, faire des ordinations épiscopales[2]Écône, 29 juin 1987 ».
L’ouverture romaine : le protocole du 5 mai
Mgr Ratzinger réagit cependant en invitant l’évêque de la FSSPX à venir le rencontrer : le 14 juillet, à Rome, il lui fit des propositions larges qui permettraient de garantir à la Fraternité une autonomie, une structure propre, ainsi que de conserver la liturgie et les traditions anciennes. Mgr Lefebvre hésitait mais ne voulut pas rejeter la main tendue par Rome. En octobre, rencontrant à nouveau Ratzinger, il accepta la visite apostolique de sa communauté par le cardinal Gagnon, qui eut lieu du 11 novembre au 8 décembre 1987. Elle laissa une image positive et une indéniable note d’espoir.
Le 4 mai 1988, après discussions et négociations, Mgr Ratzinger et Mgr Lefebvre aboutirent à un Protocole d’accord, qui comportait une déclaration doctrinale garantissant à la Fraternité une voix libre mais positive dans le débat théologique[3]« À propos de certains points enseignés par le concile Vatican II ou concernant les réformes postérieures de la liturgie et du droit, et qui nous paraissent difficilement conciliables avec la … Continue reading, ainsi que de nombreuses dispositions concrètes relatives à la structure de la société et des communautés liées. Il y était surtout prévu que le pape nommerait un évêque choisi sur présentation de Mgr Lefebvre, sans qu’une date soit fixée.
Les deux parties signèrent le protocole le 5 mai, mais dès le lendemain matin, Mgr Lefebvre téléphonait pour retirer sa signature, et écrivait pour fixer au cardinal Ratzinger un « ultimatum » ou un test de sincérité : la date d’une consécration épiscopale devait être accordée au plus tard pour le 30 juin.
Dernières tentatives
Reçu à nouveau le 24 mai, il soumit à Mgr Ratzinger des exigences nouvelles : non plus un mais trois évêques, et une réponse avant le 1er juin. Sans accorder directement ces requêtes, Rome fit savoir que le pape était disposé « à faire accélérer le processus habituel de nomination » d’un évêque, avec en vue la date du 15 août.
Après avoir consulté les supérieurs des communautés amies, Mgr Lefebvre convoqua pour le 15 juin une conférence de presse, lors de laquelle il annonça que « pour sauvegarder le sacerdoce catholique » il allait sacrer quatre de ses prêtres, dont les noms avaient été rendus publics auparavant.
Le 17 juin, le Vatican répondait par un avertissement canonique : Mgr Lefebvre et les évêques sacrés par lui sans mandat encourraient ipso facto l’excommunication latae sententiae réservée au Siège Apostolique. Dans une note publiée la veille, le Saint-Siège laissait une porte ouverte à ceux qui refuseraient de suivre Mgr Lefebvre[4]« Le Saint-Siège a également la préoccupation de faire parvenir un pressant appel aux membres de la Fraternité et aux fidèles qui lui sont liés, pour qu’ils reconsidèrent leur position et … Continue reading.
La rupture
Malgré tout, Mgr Lefebvre procéda le 30 juin 1988 à Écône aux quatre sacres épiscopaux annoncés, en présence d’un grand nombre de fidèles et de journalistes du monde entier. Dès le lendemain, Rome publiait le décret d’excommunication de Mgr Lefebvre, Mgr de Castro Mayer (venu comme co-consécrateur) et des quatre nouveaux évêques, à qui il était ainsi interdit de célébrer et recevoir les sacrements, ainsi que de remplir tout office dans l’Église.
Le 2 juillet enfin, Jean-Paul II promulguait le motu proprio Ecclesia Dei adflicta, déplorant « l’ordination épiscopale illégitime conférée le 30 juin dernier par Mgr Marcel Lefebvre », rendant « vains tous les efforts que le Saint-Siège a déployés ces dernières années pour assurer la pleine communion avec l’Église de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X ». Une telle désobéissance, ajoutait le pape, « constitue en elle-même un véritable refus de la primauté de l’évêque de Rome, constitue un acte schismatique. » Il dénonçait une erreur doctrinale profonde à l’origine de l’acte de Mgr Lefebvre : « À la racine de cet acte schismatique on trouve une notion incomplète et contradictoire de la Tradition [parce que] personne ne peut rester fidèle à la Tradition en rompant le lien ecclésial avec celui à qui le Christ, en la personne de l’apôtre Pierre, a confié le ministère de l’unité dans son Église. »
La reprise du protocole : Ecclesia Dei
Il annonçait ainsi la création d’une commission pour « faciliter la pleine communion ecclésiale des prêtres, des séminaristes, des communautés religieuses ou des religieux individuels ayant eu jusqu’à présent des liens avec la Fraternité fondée par Mgr Lefebvre et qui désirent rester unis au successeur de Pierre dans l’Église catholique en conservant leurs traditions spirituelles et liturgiques, à la lumière du protocole signé le 5 mai par le cardinal Ratzinger et Mgr Lefebvre ».
Or le 2 juillet aussi, l’abbé Josef Bisig, assistant du supérieur général de la FSSPX et d’autres prêtres et séminaristes de la communauté signaient une déclaration regrettant les sacres et affirmant leur désir de vivre dans l’Église, comme société religieuse, en soumission à son chef. Reçus à Rome, ils furent encouragés à fonder une fraternité sacerdotale dans l’esprit du protocole du 5 mai. Réunis à Fontgombault puis à Hauterive (Suisse) au cours du mois de juillet, ils y signèrent l’acte de fondation de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre, mentionnant le protocole du 5 mai 1988. La Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre fut érigée canoniquement le 18 octobre suivant comme société de vie apostolique de droit pontifical. Les communautés traditionnelles fondées dans le sillage du motu proprio Ecclesia Dei se développèrent dans les années suivantes, selon l’esprit du protocole du 5 mai. En 2002, le Saint-Siège permit même la consécration d’un évêque dédié à l’ancienne liturgie : Mgr Fernando Rifan, consacré selon les rites du pontifical traditionnel le 18 août 2002 par le cardinal Castrillon Hoyos et Mgr Rangel (successeur de Mgr de Castro Mayer) et nommé à la tête de l’Administration Apostolique Saint-Jean-Marie-Vianney (Brésil).
Références[+]
↑1 | Lire la Lettre ouverte aux catholiques perplexes |
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↑2 | Écône, 29 juin 1987 |
↑3 | « À propos de certains points enseignés par le concile Vatican II ou concernant les réformes postérieures de la liturgie et du droit, et qui nous paraissent difficilement conciliables avec la Tradition, nous nous engageons à avoir une attitude positive d’étude et de communication avec le Siège apostolique, en évitant toute polémique. » |
↑4 | « Le Saint-Siège a également la préoccupation de faire parvenir un pressant appel aux membres de la Fraternité et aux fidèles qui lui sont liés, pour qu’ils reconsidèrent leur position et que toutes les mesures seront prises pour garantir leur identité dans la pleine communion de l’Église catholique. » |