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La raison est-elle « pro-vie » ?

Claves : Nous avons dévoré et beaucoup apprécié l’excellent ouvrage de Matthieu Lavagna : La raison est pro-vie. Il a bien voulu répondre à nos questions pour présenter son travail et préciser sa démarche. Mais d’abord, cher Matthieu, pourquoi ce livre ?

Matthieu Lavagna : L’avortement est un phénomène massif dans les sociétés modernes, en France, plus de 234400 IVG ont été pratiquées en 2022, atteignant un tiers du nombre total des naissances vivantes. Chaque année on compte environ 73 millions d’avortement dans le monde. Un sujet incontournable, devenu tabou, sur lequel il est apparemment impossible de tenir des propos de raison. C’est pourtant ce que j’ai voulu proposer dans cet ouvrage.

C : Un sujet dont on parle beaucoup (inscription dans la Constitution, etc) mais sur lequel aucune place n’est faite au débat… Un véritable tabou en effet. Pourquoi ?

ML : Il apparaît complètement impensable d’affirmer publiquement aujourd’hui que l’avortement est absolument immoral et qu’il faudrait l’interdire, toute remise en question suscite des réactions agressives. Pour beaucoup de nos contemporains, cette question doit rester de l’ordre de la sphère intime, ne regarde que les concernés. Pour autant, ce relativisme et cet individualisme sont-ils les seules explications de ce tabou ? Je crois qu’il faut aller plus loin : s’il est aujourd’hui impossible de poser raisonnablement la question de la moralité de l’avortement, c’est à cause de ses conséquences sur la sexualité. On refuse bien souvent de se poser la question morale de l’avortement pour pouvoir continuer à pratiquer une sexualité qui fait abstraction de cette responsabilité qui lui est par nature liée.

C : Un livre sur un tabou donc…

ML : L’objectif du livre est justement celui-là : dans une société qui ne sait plus poser calmement une réflexion sur un sujet clivant sans en arriver à des insultes et du mépris, ni raisonner sans se laisser submerger par l’émotion, ni comprendre la position adverse avant de la critiquer, j’aimerais au contraire construire une réflexion rationnelle, passant par l’examen des objections mutuelles, sur un sujet que j’estime très important.

 

C : Pourquoi le sujet est-il important ? Ne faut-il pas que les catholiques arrêtent d’aborder ces sujets moraux qui les mettent constamment en porte-à-faux avec la société ?

 

ML : Certainement pas. Le sujet est incontournable, comme le montrent les interventions répétées et courageuses des papes. L’avortement est un acte banalisé dans nos sociétés modernes, considéré comme anodin, et sur lequel nos contemporains sont pourtant très mal informés. Les catholiques ne peuvent l’accepter, ni l’ignorer, ni baisser les bras, sous prétexte qu’ils auraient d’autres sujets à aborder. Comment une société où la mort est donnée quotidiennement à des centaines de petits êtres humains pourrait-elle un jour être christianisée ? Nous sommes vraiment dans la « culture de mort », les « structures de péché », dont parlait Jean-Paul II, ou encore la « culture du déchet » que dénonce le pape François.

Les catholiques doivent continuer d’avoir une parole courageuse et forte sur ce sujet : premièrement pour éclairer les consciences, sur un drame que rien ne peut excuser ; ensuite parce que tout espoir d’une diminution et d’une interdiction de l’avortement n’est pas perdu – en témoignent les évolutions récentes aux Etats-Unis ; enfin parce que si l’on ne fait rien, les choses peuvent et vont encore empirer, comme en témoignent l’inscription dans la constitution, les velléités de faire de même au niveau européen, les menaces renouvelées sur la liberté de conscience…

 

C : Quel est le plan de votre livre ?

 

ML : Je commence par évoquer des faits, des chiffres, des statistiques : un point de départ qui peut être commun à toute personne prête à discuter sans fermeture d’esprit ; j’apporte ensuite une réflexion philosophique et morale sur le statut du fœtus – le nœud de la question à mon avis ; enfin j’aborde les arguments pro-avortement, les mauvais comme les meilleurs, et les cas les plus difficiles.

 

C : Nous avons été étonné de trouver peu de références à la Bible et au Magistère, de la part de l’auteur de Soyez rationnel, devenez catholique… ?

 

ML : Effectivement, car le propos du livre n’est pas le même. Vous aviez raison de souligner que l’apologétique chrétienne a peu à gagner si elle se laisse enfermer dans le débat exclusivement sociétal : il ne s’agit donc pas ici de défendre la foi, mais tout simplement la nature humaine ! Catholique ou pas, tous doivent défendre la vie innocente. Ce livre s’adresse à tous ceux qui auront la bonne volonté de chercher à comprendre les arguments pro-vie, quelles que soient leurs opinions. Je vais jusqu’à dire que l’argumentation biblique ou théologique est plutôt un mauvais procédé dans ce débat, car elle donne l’impression que la défense de la vie est fondée sur la religion, alors qu’elle est pour tous. À la fin de l’ouvrage, je donne tout de même le point de vue de l’Église et les textes les plus importants.

 

C : Merci Matthieu. Pour résumer, comment pourrait-on présenter votre livre ?

 

ML : Je dirais, en synthèse, qu’il s’agit d’un manuel, qui se veut exhaustif, pour alimenter et nourrir un vrai débat sur la question de l’avortement. On y donne des exemples de question à poser, de réponses à apporter, d’analogies à utiliser ou à éviter, pour un dialogue respectueux et constructif. On propose ainsi de partir de prémisses partagées : des faits scientifiques, des statistiques médico-sociales, des principes moraux communs ; de poser des questions fondamentales : qu’est-ce qu’un avortement, qu’est-ce qu’un bébé, qu’un fœtus, qu’un être humain, qu’une personne ?

 

C : Surtout, votre travail impressionne car vous offrez un niveau d’information et de précision inouï (chiffres, citations, notes de bas de page) : où êtes-vous allé chercher tout cela ?

 

ML : Merci. En effet le livre est résultat d’un vrai travail de recherche et de synthèse. Je suis allé chercher beaucoup d’informations factuelles dans différentes sources officielles ou associatives, dans des articles de presse… Mais j’ai aussi profité de la vigueur intellectuelle du mouvement pro-vie américain, dont certaines figures ont développé une réflexion en profondeur sur le sujet, qui ne fait pas l’économie de ses aspects philosophiques, et qui permet de l’aborder en prenant un vrai recul. Je ne me suis cependant pas limité aux auteurs dont je partage peu ou prou les positions. Je cite ainsi beaucoup d’auteurs de part et d’autre, pour essayer de donner une vision globale.

 

C : Excellent ! C’est effectivement une des grandes richesses de votre ouvrage, que nous avons particulièrement apprécié et que nous recommandons chaudement. Nous reviendrons dans une prochaine interview sur quelques-uns des meilleurs arguments (pour et contre) que vous abordez.
À bientôt !
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