Laurent Dandrieu, Le roi et l’arlequin
Avec Le roi et l’arlequin, Laurent Dandrieu signe un ouvrage simple et puissant, une hymne magnifique au grand siècle et au théâtre français. À travers le portrait croisé de Louis XIV et de Molière (centré sur ce dernier) on plonge dans l’atmosphère littéraire et artistique des premières décennies du règne du Roi soleil.
Aux côtés de Jean-Baptiste Poquelin, homme de moyenne extraction et que rien ne semblait prédestiner à faire carrière sur les planches (son père lui avait laissé en héritage sa charge de valet de chambre et tapissier du roi), on découvre un roi qui est un vrai artiste. Montrant la fascinante proximité et complicité du monarque et de l’homme de théâtre, qui n’hésite pas à surprendre son souverain jusqu’à l’inclure dans le jeu de certaines de ses pièces ou à concevoir pour lui certains intermèdes de ballet, Laurent Dandrieu donne à voir un visage oublié et pourtant criant de vérité du grand siècle et de son roi.
Molière et Louis XIV, c’est l’immense liberté d’un temps où le roi de France peut chausser ses escarpins de scène pour aller danser devant la cour réunie ou devant le peuple, aux côtés d’un valet sans lettres de noblesse et de sa troupe de comédiens. Mais la liberté du siècle du Roi soleil apparaît aussi à travers l’étonnante créativité de Jean-Baptiste Poquelin, maniant en virtuose les différents degrés d’humour pour divertir en toute légèreté, sans se priver de faire passer entre les lignes de ses alexandrins des messages bien sentis à l’endroit de ses détracteurs ou de certaines catégories sociales. Cette liberté n’est pas moindre chez les adversaires de Molière, qui déploient des trésors d’ingéniosité ou de mauvais esprit pour moucher l’étoile filante du théâtre de Louis XIV. Le portrait que dresse l’auteur ne cache pas en effet les ombres et lumières de la relation entretenue par Poquelin avec ses contemporains, de Racine à Lully et Charpentier en passant par les frères Corneille : entre jalousie, moquerie et ironie, mais aussi souvent (et malgré tout) estime mutuelle et collaboration. Les passes d’armes et duels de vers se font sous les yeux du roi, de la cour et du peuple. Ce dernier n’est en effet pas exclu de la vivacité artistique de son temps, et cet aspect du portrait que dresse Laurent Dandrieu est particulièrement frappant pour le lecteur peu au fait de la véritable atmosphère sociale du grand siècle : sous la plume de l’auteur, on se représente le roi de France dansant et bondissant sur scène (en des figures parfois inventées par et pour lui-mêmes) devant un public courtisan et populaire.
La créativité du grand siècle n’est pas seulement celle de Molière mais de toute l’époque de Louis XIV. Elle apparaît notamment à travers les étonnants progrès des machineries des scène (ainsi de l’impressionnant et déraisonnablement coûteux décor animé conçu pour la représentation de Psyché), les débauches d’inventivité manifestées dans l’ingénierie et les technologies mises au service du théâtre, ce divertissement apparemment futile mais si révélateur de l’esprit du temps.
Le roi et l’arlequin est finalement bien plus qu’une biographie historique ou même qu’un portrait croisé : en découvrant dans la finesse et la tendresse de leurs relations mutuelles deux personnes que tout ou presque aurait dû séparer, on réconcilie bien des aspects paradoxaux du grand siècle. Sous la plume légère et enflammée de Laurent Dandrieu, on découvre finalement que l’on ne comprendra jamais le personnage et l’époque de Louis XIV sans entrer en profondeur dans l’esprit de baroque qui en fait l’essence. Après la mort de Molière, le roi s’assagira et s’installera dans une position plus hiératique qui sera le terreau du classicisme français : cette seconde partie de règne sera cependant moins légère, plus éprouvée par les éléments politiques, climatiques, par les maladies, les complots et les guerres. Pour les première décennies que raconte ici Laurent Dandrieu, la complicité du roi et de l’artiste, la légèreté sans complexe de la plume de Molière, la proximité du souverain, de son troubadour et de son peuple permettent de saisir un peu de l’atmosphère si particulière du règne du Roi soleil.